Nous sommes ravis de publier cette contribution de Michèle Teysseyre, qui réside à Toulouse, dans le cadre de notre rubrique estivale “Un quadro per l’estate”. Cette écrivaine française est notamment l’auteur de plusieurs passionnants ouvrages consacrés à Venise. Elle se souvient ici pour les lecteurs d’Altritaliani d’une toile de Leonardo Cremonini, un peintre italien qu’elle a découvert en 1983 lors d’une exposition que lui avait consacré la Ville de Carcassonne.
*****
PAESAGGI ASSOLATI (Paysages ensoleillés)
de Leonardo Cremonini
Les rencontres ont toujours lieu par hasard. Ainsi dans la pénombre fraîche d’un musée de province, une portion d’été qui s’impose à vos yeux. Abrupte, frontale. Une falaise de bleu pur surchauffé. Un grand carré de plage. L’air brûlant, la sandalette en suspens à l’aplomb du sable, l’odeur des planches de la cabine de bain, les pattes grêles des chaises longues tendues de toile aux couleurs vives.
Le peintre est italien. De lui, j’ignorais tout. Même son nom. Jusqu’à ce jour, jusqu’à cette heure (dans les années 80, il me semble) où je suis entrée dans cette salle des Tours Narbonnaises au mois d’août. Ces grands carrés, ces rectangles (je me souviens aussi d’un tondo où je crois figurait un visage) étaient de grands miroirs solaires. Le prolongement de ce que nous avions laissé au-dehors : le coup d’assommoir du soleil à midi, la lumière zénithale et tout ce que l’on devinait de l’ombre à venir. Tant on sait combien est implacable celle que la lumière du sud jette sur les chemins blancs.
Cet éclat de fournaise était celui d’un été absolu. Celui de l’enfance sur les plages méditerranéennes : le corps nu percuté par la vague, l’écume salée à pleine bouche, l’appel lointain des baigneurs ricochant à la crête de l’eau. Mais sur ces murs, qu’y avait-il vraiment ? L’été des Primitifs, l’éternité heureuse ? Non, ce n’était pas l’Eden que l’on voyait là. Vous direz : « Pourtant, ce ciel angélique, cette mer radieuse, ce sable lumineux, ces couleurs de berlingot ! »
Entretemps, tant de choses ont eu lieu. La carrière de Cremonini – tel est son nom – commence après la Seconde guerre mondiale, Hiroshima et Nagasaki. Voyez… l’escamotage des regards, la fragmentation de l’espace, des visages et des corps, la couleur de la peau proche de l’écorchure. Ce baigneur, dont on devine à la posture qu’il regarde l’horizon, contemple un au-delà que la lumière désintègre, une immensité où toute forme se dissout, un vide inéluctable. Car tel est l’été trompeur des plages de Leonardo Cremonini.
Leonardo Cremonini est né à Bologne en 1925. Il s’est formé à l’Académie des beaux-arts de Bologne, puis à celle de Brera à Milan. Ses œuvres sont conservées dans de nombreuses collections publiques à travers le monde. Moravia, Calvino, Eco ont écrit sur la peinture de cet artiste vivant entre l’Italie et Paris, où il est mort en 2010. L’exposition dont il est fait mention dans le texte est celle que lui a consacrée la ville de Carcassonne en 1983.
Michèle Teysseyre, 22 juillet 2025
POUR APPROFONDIR: Une rétrospective d’une cinquantaine de ses œuvres a été organisée en 2017 à Paris. Altritaliani en a parlé à ce lien :
https://altritaliani.net/a-paris-une-exposition-rend-hommage-a-leonardo-cremonini/
LINK INTERNI PER PARTECIPARE E INFORMARSI: 😊
