Mario Cavatore: Le Geste du semeur

Envie d’Italie? consacre son émission mensuelle au thème délicat des Roms (en ré-écoute sur Altritaliani). Pour poursuivre la réflexion, nous vous proposons la lecture d’un roman d’une grande force narrative « Le Geste du semeur » de Mario Cavatore, gagé sur une sinistre réalité historique, la chasse aux tsiganes en Suisse à l’époque de l’Allemagne nazie. Il a fait l’objet de louanges unanimes de la presse italienne à sa sortie. « Une ou deux fois par an, je tombe sur un livre à recommander à un ami. Aujourd’hui, c’est sur “Il seminatore”, a écrit Erri De Luca.

À partir d’événements qui se sont produits avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, Mario Cavatore a construit une fiction mettant en scène un personnage emblématique, Lubo Reinhardt, Tsigane et citoyen suisse dont la femme a été assassinée et les deux enfants enlevés pour être placés dans un établissement censé donner aux petits tsiganes une éducation «correcte».

L’Œuvre de bienfaisance “Pro Juventute” et son corollaire, “Kinder der Landstrasse”, ont agi ainsi en toute légalité dès l’année 1926 et des milliers d’enfants ont été arrachés à leurs familles puis déportés dans des centres ou des familles «d’accueil», certains dans des asiles psychiatriques, sans jamais revoir leurs parents.

L’arrière-histoire

photoklein.jpgC’est un article très documenté de Laurence Jourdan paru dans Le Monde diplomatique en octobre 1999 et intitulé «Chasse aux Tsiganes en Suisse» qui a attiré l’attention de l’auteur et donné naissance à ce roman. La journaliste rappelait les diverses politiques mises en place dans toute l’Europe et poursuivies durant l’entre-deux guerres afin de répondre, avec l’approbation de l’Allemagne nazie, aux exigences d’une “nouvelle science”, née dans les années 1920 – l’eugénisme – et d’éradiquer ainsi de la société tous les individus considérés comme déviants sociaux, dégénérés et irrécupérables. Telle fut la “mission” que se donna le docteur Alfred Siegfried (1890-1972), directeur et fondateur de l’Œuvre dite des “Enfants de la grand-route”, qui écrivait : «Celui qui veut combattre efficacement le nomadisme doit essayer de faire exploser la communauté des gens du voyage. Aussi dur que cela puisse paraître, il doit mettre un terme à la communauté familiale. Il n’y a pas d’autre solution.» Il prit ainsi de force sous sa tutelle un grand nombre d’enfants tsiganes auxquels il infligea les pires sévices, y compris sexuels, jusqu’à ce que l’hebdomadaire suisse Der Schweizerische Beobachter dénonce le scandale en 1972, provoquant la dissolution de l’Œuvre.

La trame romanesque

Lorsque le héros du roman de Mario Cavatore, Lubo Reinhardt, apprend ce qui vient d’arriver à sa famille, il décide de répondre à cette ignominie de façon particulière : on lui a pris ses deux enfants, il va séduire le plus grand nombre de femmes croisant sa route et donner naissance au plus grand nombre possible d’enfants. Ainsi, en chacun d’eux coulera du sang tsigane et sa communauté, sa culture ne seront pas anéanties.

CouvGeste3.jpgLe roman se déroule sur près de trente années et, après le premier geste de Lubo, suit le destin de l’un de ses fils, Hugo, autour duquel évoluent sa mère, son demi-frère, Hans, et plusieurs figures secondaires mais très importantes, campées avec une maîtrise avérée du portrait et du dialogue. Le narrateur, après une première partie qui pose l’intrigue et la traite sur le mode du roman policier, laisse la parole à Hans qui, à son tour, la laissera, sous forme de lettres, à Hugo : deux confessions, deux témoignages déchirants de frères victimes d’une violence qui les a traversés et les dépasse tous deux.

Mario Cavatore donne, avec Le Geste du semeur – son premier livre, écrit à cinquante-six ans –, un roman d’une précision et d’un suspense implacables; un texte sobre, direct, ne versant jamais dans le pathos ou le manichéisme. L’ouvrage a remporté le prix du Premier Roman 2004 en Italie.

Ha letto il romanzo Erri De Luca e ha scritto :

Parti per il servizio militare. A casa tua viene la polizia, porta via i tuoi figli per affidarli a istituti, a famiglie. Te li tolgono per sempre. Tua moglie reagisce, la uccidono. Che cosa hai fatto per meritare questo? Niente, sei uno della randagia famiglia umana degli zingari, e la legge che esegue questa procedura appartiene alla civile nazione svizzera. Di là dai confini inizia l’Europa. Il tempo, anzi il maltempo, è quello dell’espansione nazista. Di là dai confini la questione zingara è appendice dello sterminio razziale. Tu ora non hai più niente, sei chiuso in una divisa e non ti uccidi perché più forte del dolore è il sentimento di vendetta. Come puoi punire un’intera nazione, un intero codice di leggi che ti ha strappato i più preziosi affetti? Vogliono cancellare gli zingari a partire dai figli. Guasterai i loro piani: profitterai della tua sfrontata bellezza e inseminerai duecento donne svizzere, mettendo al mondo più di duecento purissimi bastardi. Erediteranno la tua vendetta e le tue forme. Te ne hanno tolti due, gliela farai pagare cento volte. Ti hanno ucciso la moglie, tu ingraviderai duecento loro donne. Questa è la storia, all’inizio cruenta, del seminatore. Non è una parabola, è un’inseminazione a tappeto, praticata consensualmente, per via di seduzione. È la storia di una vendetta civile da parte di un uomo di un popolo libero e indomito.

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Non è una parabola, niente di quell’Europa lo era. È una storia dannatamente vera, di un tempo in cui la notizia scientifica del millenovecento produceva teorie sulle razze inferiori e istigava pratiche di sterilizzazione forzata contro migliaia di cittadini di nazioni civili, dalla Svezia agli Stati Uniti. Non è poi così spiazzante constatare che leggi razziali naziste sono state prese da codici di nazioni democratiche. La scienza, sempre approssimata per difetto, per un buon periodo del secolo scorso predicò l’indegnità alla vita dei non iscritti a un suo canone di sanità e purezza. Si chiamò eugenetica. La storia del seminatore, perfetto esordio di uno scrittore adulto, scorre veloce grazie a un ritmo stringato e stringente degno di paragone con Leonardo Sciascia. Una o due volte all’anno mi capita sotto i sensi un libro da raccomandare a un amico. Stavolta questo è il mio contributo alla diffusione del morbo di leggere : Il“ seminatore”, di Mario Cavatore.

Vanity Fair, 22 luglio 2004

L’auteur

Mario Cavatore est né à Cuneo en 1946. Électronicien et preneur de son (notamment auprès de Gianmaria Testa dans le cadre de ses concerts et de ses enregistrements), il a également été animateur d’émissions de radio, critique musical et chroniqueur politique. “Il seminatore”, publié en 2004 par Einaudi, a fait l’objet de louanges unanimes de la part de la presse italienne, de La Repubblica à La Stampa en passant par L’Espresso, Il Manifesto et Il Corriere della Serra. Le roman, traduit par Danièle Robert sous le titre “Le Geste du semeur”, est paru en mars 2011 aux éditions chemin de ronde.

Mario Cavatore
Le Geste du semeur
traduit de l’italien par Danièle Robert
les éditions chemin de ronde
collection « Stilnovo »
128 pages, 12 €
diffusion-distribution Vrin: http://www.vrin.fr/html/main.htm#
www.cheminderonde.net

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Danièle Robert
Autrice ("Les Chants de l’aube de Lady Day", "Le Foulard d’Orphée"), critique et traductrice, entre autres, de Cicéron, Catulle, Ovide (prix Laure-Bataillon classique et prix de traduction de l’Académie française), Paul Auster, Billie Holiday, Ramón Gómez de la Serna, Michele Tortorici, Antonio Prete, Guido Cavalcanti (prix Nelly-Sachs), elle a également donné à Actes Sud, de 2016 à 2020, une traduction de "La Divine Comédie" en trois volumes (édition bilingue) qui a fait l’objet d’un remarquable accueil critique et se trouve désormais rassemblée en un volume monolingue dans la collection “Babel”. Elle est membre de la Société dantesque de France.

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