Piazza aperta, le nouvel album de La Buonasera – Germana Mastropasqua & Xavier Rebut

Place ouverte à tous les voyages, invitation à la joie de chanter, de jouer, de danser, désir de nous faire entrer dans la fête des sons, des rythmes et des mélodies inspirées de chants traditionnels de l’Italie du Sud, telle est cette Piazza Aperta, issue de la formation La Buonasera créée en 2018 par Germana Mastropasqua et Xavier Rebut, dont sont partie prenante Anne-Sophie Chamayou (violon et voix), Maïeul Clairefond (contrebasse et voix) et Sébastien Spessa (guitare folk et chitarra battente[1]). Dans ce quintette composé d’un duo vocal et d’un trio à cordes, les échanges vocaux et instrumentaux sont en totale osmose pour nous offrir leur qualité d’accueil, de partage, pour s’adonner à la joie de vivre ensemble la musique.

Les treize titres qui composent l’album ont en commun un ancrage “amoureux” dans la diversité des univers populaires de l’Italie du Sud, de la Calabre à la Sardaigne, des Pouilles à la Sicile, du romanesco au napolitain ou au sicilien, et surtout dans le désir, explique Xavier Rebut, de faire passer les textes à travers le prisme d’un regard contemporain, d’une pratique musicale actuelle ; c’est pourquoi l’on trouve, à côté des textes issus de la tradition orale dont il signe les compositions musicales, deux chansons entièrement de sa main : paroles et musique. Il cosigne également avec Germana Mastropasqua les transcriptions et les arrangements de certaines d’entre elles.

Tous deux nous font ainsi explorer les thèmes lyriques universels : la naissance de l’amour, l’angoisse de la perte, le sentiment de solitude, la relation à la nature, la frénésie de la danse, la soif de liberté – les revisitant avec une profonde empathie – et nous invitent à entrer dans leur propre univers poético-musical avec la complicité des trois remarquables instrumentistes qui sont non pas de simples accompagnateurs mais des acteurs à part entière de ce qui se joue dans chacun des morceaux, les parant de leurs couleurs, de leurs rythmes, de la richesse mélodique de leurs préludes ou de leurs contrechants.

Ainsi, les deux quatrains construits sur deux rimes (rosa/viso ; s’aposa/miso ; rosa/paraviso ; cosa/occiso) qui composent la poésie napolitaine Matina rosa sont entièrement chantés a cappella et à trois voix, deux féminines et une masculine, la troisième (celle d’Anne-Sophie Chamayou) venant en contrechant du dialogue entre les deux premières dans la pure tradition polyphonique qui a profondément marqué la poésie du dolce stil novo : y aurait-il là une discrète référence à la tierce rime dantesque et au concert de voix angéliques qui conduisent le poète vers Béatrice ? Peut-être ce rapprochement est-il hardi, mais lorsqu’on entend les vers : ’Int’a ’stu pietto vuosto c’è ’na rosa / Rosa rusella de lu paraviso (“Sur ta poitrine il y a une rose / Rose, petite rose du paradis”), l’impression se confirme d’une délicate correspondance entre la métaphore évocatrice et la forme vocale que le compositeur a choisi de donner à la chanson.

La Buonasera – Piazza Aperta – Photo Yannick Doublet

Il est bien évident que le chant a cappella fait depuis longtemps partie des recherches privilégiées par Germana Mastropasqua et Xavier Rebut, comme en témoignent les enregistrements et les concerts du Quartetto Urbano ainsi que leur étroite collaboration avec Giovanna Marini ; mais il n’est pas anodin que pour la première chanson de cet album ils aient fait précisément ce choix, absent des autres titres. Or c’est elle aussi que l’on retrouve juste avant le finale mais sous une autre forme, c’est-à-dire à deux voix en dialogue avec le trio à cordes. Là, c’est le violon qui introduit et joue le thème, accompagné de la chitarra battente, puis qui laisse l’ensemble s’épanouir dans la deuxième strophe. Deux regards différents portés sur un même texte, deux modes d’expression musicale qui se répondent avec une subtile variété de tons caractéristique, du reste, de tout l’album. Tantôt – par exemple dans Una sola cosa – le compositeur colore le texte dont il est l’auteur d’une atmosphère à la fois contemporaine et arabo-andalouse à laquelle il ajoute des citations en grec de Calabre qui soulignent l’héritage de ce qui s’est longtemps appelé la Grande-Grèce ; tantôt nous sommes entraînés dans une “Tarantella di buonasera” où éclate le plaisir de la danse ; ou encore, c’est avec des accents de bel canto – dans Quanno passo – que le chanteur fait une cour malicieuse à sa belle pour la faire paraître à son balcon (et plus si affinités…) : ni Romeo ni Pelléas, mais simple paysan, gouailleur et impertinent, qui va droit au but ; et la jeune fille, loin d’être timorée, le gratifie à la fin d’un grand éclat de rire.

Mais cette légèreté fait place par moments à la gravité, celle de l’amoureux prisonnier de son amour – que disent la voix de Germana, dont le timbre clair est si chargé de souffrance, et les sonorités profondes, lancinantes, de la contrebasse de Maïeul Clairefond dans Li carciari to ; celle aussi du poème de Xavier, Ora, qui commence par un constat désabusé : Sulla strada ora niente ideale, (“Sur la route à présent plus d’idéal”) et qui égrène de couplet en couplet, dans une sorte de psalmodie, les raisons de se décourager mais les accompagne d’un refrain au rythme vigoureux trois fois repris, où voix et instruments sont unis dans le désir de voir triompher “le calme et les libertés”.

Cette prise en compte du temps présent, comme on a pu le voir déjà dans les albums précédents : D’amanti e d’emigranti et D’amanti e d’anarchisti, est aussi l’affirmation de leur engagement face au monde qui les entoure et le lien qu’ils entendent créer avec la tradition dans laquelle ils puisent sans relâche mais sur un mode qui n’a rien de passéiste, bien au contraire : avec une immense vitalité.

Danièle Robert

Sur YouTube, présentation de l’album Piazza aperta:

Site officiel de La Buonasera.

En écoute, par exemple aussi sur YouTube, La via d’ la funtanella, d’un album précédent.


[1] La chitarra battente, dite parfois “italienne” par opposition à la guitare classique espagnole ou française, est typique de l’Italie du Sud (Calabre, Pouilles, Basilicate, Campanie, Molise) et son origine remonte au XIVe siècle. En constante évolution depuis le modèle initial de la guitare baroque, elle se caractérise par sa forme semblable à un huit allongé. (Liuteria Etnica – strumenti).

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Danièle Robert
Autrice ("Les Chants de l’aube de Lady Day", "Le Foulard d’Orphée"), critique et traductrice, entre autres, de Cicéron, Catulle, Ovide (prix Laure-Bataillon classique et prix de traduction de l’Académie française), Paul Auster, Billie Holiday, Ramón Gómez de la Serna, Michele Tortorici, Antonio Prete, Guido Cavalcanti (prix Nelly-Sachs), elle a également donné à Actes Sud, de 2016 à 2020, une traduction de "La Divine Comédie" en trois volumes (édition bilingue) qui a fait l’objet d’un remarquable accueil critique et se trouve désormais rassemblée en un volume monolingue dans la collection “Babel”. Elle est membre de la Société dantesque de France.

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