L’immigration italienne en France et dans le monde: dates, lieux et repères chronologiques.

Qu’entend-on par “diaspora italienne”? Quelle a été l’évolution de l’immigration italienne en France du 18ème au 20ème siècle? En quoi l’actuelle “fuite des cerveaux” diffère-t-elle des anciennes vagues migratoires? L’article cherche à fournir un cadre aussi complet et exhaustif que possible de l’émigration italienne durant la période choisie et à faire la lumière sur les dynamiques historiques, économiques, sociales et politiques du phénomène.

VERSION EN LANGUE ITALIENNE ICI

Angelo Tommasi, Gli emigranti, 1896 © Rome, Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea BD
© Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna e Contemporanea BD

Les données statistiques relatives aux migrations italiennes dans le monde à l’époque moderne et contemporaine sont issues des recherches de la Professeure Marta Margotti de l’Université de Turin. En ce qui concerne les Italiens en France nous faisons référence aux recherches de la Professeure Paola Corti de Altreitalie (Université de Turin). Enfin, pour ce qui est du phénomène de la «fuite des cerveaux», les sources sont directement citées dans le texte.

Le début de “L’odyssée”

Au XIXème siècle, les migrants italiens, outre le fait de parcourir des distances plus longues, notamment le long des routes transocéaniques, devinrent également plus sédentaires, préférant d’autres métiers aux traditionnels emplois saisonniers. A cheval entre le XIXème et le XXème siècles, le phénomène prit les proportions d’une émigration de masse qui concerna, de 1876 à 1900, plus de 27 millions d’italiens et donna naissance à une véritable “Italie hors de l’Italie”. Ce changement fut la conséquence des transformations politiques et socio-économiques du Pays mais aussi du reste de l’Europe, comme le développement industriel et la plus grande rapidité des transports.

La crise économique du nouvel Etat unitaire

A l’origine de cette grande émigration, nous retrouvons principalement la crise économique qui s’abattit sur l’Italie dans les décennies qui suivirent son unification (1861). La classe dirigeante italienne avait imaginé que la simple suppression des barrières douanières aurait naturellement stimulé le décollage de l’économie du pays, alors dépourvu d’infrastructures et fortement divisé en son sein pour des raisons géologiques, culturelles, linguistiques et économiques. Le recouvrement d’un impôt foncier visant à remettre à flot les caisses de l’Etat avec l’argent des propriétaires terriens, qui détenaient dans les années 1860, 57% de l’économie nationale, eut pour effet de mettre à genou de nombreuses régions du centre et du Sud de l’Italie dont la production agricole était à peine suffisante à la subsistance des familles.

Résultat ? Le taux de pauvreté augmenta et l’émigration se présenta alors à de nombreux italiens comme l’unique solution de survie.

La “diaspora italienne”

La «diaspora italienne» se réfère à l’émigration, de 1876 au début du XXème, d’hommes en bonne santé, non professionnalisés et disposés à exercer n’importe quel travail. Ces derniers ne furent rejoints que dans un second temps par leurs familles, ce qui donna lieu à la fameuse “émigration de masse”. Le départ de l’émigrant visait à l’obtention d’une occupation bien rétribuée ou tout du moins suffisante pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille, grâce à l’envoi conséquent d’argent en Italie appelé “rimesse” (littéralement “remises”). Les liens traditionnels entre provenance régionale, travail effectué, et destination migratoire qui avaient jusqu’alors déterminé les flux disparurent petit à petit.

Les destinations de départ furent alors essentiellement conditionnées par la création d’un nouveau réseau de contacts qui accompagna le développement de communautés et de villages dans les pays d’accueil, similaires dans les habitudes et les traditions à celles de la patrie d’origine.

Quelles furent les destinations ?

Les destinations initialement préférées furent la France, l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse; en revanche, dans les années 1890, les italiens suivirent davantage les routes transocéaniques de la “Old migration”, celles des migrants irlandais et anglais.

Un autre aspect à ne pas oublier, est le rôle clé que jouèrent l’augmentation exponentielle de la consommation de périodiques (conséquente au développement de l’Edition) et l’invention de la radio dans les dernières décennies du XIXème siècle, contribuant à créer chez ceux qui étaient restés, une perception, bien qu’assez restreinte et partiale, de ce que pouvait être le monde en dehors des frontières nationales.

Mesures nationales pour la sécurité de l’émigrant.

L’année 1901 est une année cruciale pour le ‘décollage’ de l’émigration italienne grâce à la loi n° 23 du 31 janvier qui, reconnaissant la nécessité d’accompagner et de protéger le voyage migratoire, donna naissance au «Commissariat général en charge de l’émigration». Comme première initiative, ce dernier exigea des agents des compagnies maritimes l’obtention du «permis de transporteur». L’intervention de l’Etat donna un nouveau souffle aux départs qui entre 1900 et 1914 augmentèrent avec une moyenne annuelle de 600 000 personnes, jusqu’à rejoindre le nombre de 873 000 départs pour la seule année 1913.

Le chiffres et les dynamiques de l’immigration italienne en France à travers les siècles

Tout en reconnaissant les origines antiques des flux migratoires d’entrée et de sortie entre l’Italie et la France, nous nous limiterons ici à un cadre historique précis allant du XVIIIème au XXIème siècle. Si, dans la première moitié du XVIIIème siècle, principalement seuls les marchands italiens d’épices, de tissus et de soie se rendaient périodiquement en France à l’occasion des foires commerciales de la Champagne, à partir de la deuxième moitié du siècle ce furent des professionnels liés aux activités financières et au prêt d’argent, comme les usuriers et les banquiers, d’abord lombards puis toscans, ligures et vénétiens qui prévalurent. C’est alors que les premiers épisodes de xénophobie à l’encontre des italiens virent le jour et devinrent encore plus fréquents lors de l’exode italien du XIXème siècle.

A ces activités financières, les plus visibles car soutenues par les autorités publiques françaises, s’ajoutèrent d’autres métiers comme ceux de musiciens, de marchands ambulants, vitriers, joueurs d’accordéon, modèles d’artistes, cireurs de chaussure et ramoneurs.

Si la présence italienne n’était donc que «faiblement perçue» (cit. Corti) en France jusqu’à la moitié du XIXe siècle, à partir de cette époque-là, on commença à parler de véritable invasion, comme le décrit l’écrivain Bertrand Louis dans son livre «L’invasion». Dans l’Etude d’Altreitalie de 2003 (revue spécialisée sur la présence de la population italienne dans le monde), il est en effet affirmé que la présence des Italiens en France entre le XIXème et le XXème siècle augmente exponentiellement, passant de 163 000 présences en 1876 jusqu’à constituer en 1911 1% de la population française totale et 36% du total des immigrés, confirmant ainsi la place des Italiens comme premier peuple étranger vivant dans l’Hexagone.

Une question économique mais pas seulement…

Dans l’entre-deux-guerres, les Italiens qui fuirent – plus ou moins légalement – leur pays pour la France furent de plus en plus nombreux, d’une part pour échapper aux persécutions fascistes mais aussi en raison des politiques transocéaniques restrictives visant à dissuader, voire à empêcher, leur arrivée sur le nouveau continent : le premier fut l’ «immigration act» américain de 1917 qui, imposant un «literacy requirement» (exigence d’alphabétisation) visait principalement les italiens, en majorité analphabètes.

Typologie migratoire et inclusion sociale au 20ème siècle.

Si dans les dernières décennies du 19ème siècle ce furent essentiellement les habitants du nord et du centre nord de l’Italie qui immigrèrent, l’entre-deux-guerres vit ceux des régions centrales et méridionales de la péninsule les rejoindre en masse.

Les Italiens, dans la période cruciale de transition de l’entre-deux guerres, constituèrent pour la France une précieuse main d’œuvre à bas coût, contribuant aussi à la croissance démographique du Pays, souffrant alors d’une baisse des natalités due aux lourdes pertes de la première guerre mondiale et à la «Grande Dépression» des années 1920 et 1930.

Durant le fascisme et au cours de la seconde guerre mondiale, le nombre d’exilés politiques italiens en France augmenta et beaucoup d’entre eux combattirent dans les franges partisanes de la résistance, favorisant ainsi une inclusion sociale naturelle.

Immagine rappresentando un gruppo di italiani immigrati con le loro valige
Image représentant un groupe d’italiens émigrant avec leurs valises, source web

La diminution des flux de départ de l’Italie

Dans les années 1950 et 1960, le développement économique italien améliora la qualité de vie, provoquant ainsi une diminution des expatriations et transformant l’Italie de terre d’émigration en destination migratoire. La seule exception à cette tendance fut la “doctrine Mitterrand” de la moitié des années 80 qui permit à de nombreux activistes politiques et terroristes italiens d’extrême gauche de rejoindre la France.

Une nouvelle vague migratoire : “la fuite des cerveaux”.

Depuis une dizaine d’années l’Italie fait cependant l’objet d’une nouvelle émigration, différente des précédentes et communément appelée “fuite des cerveaux”. Les chiffres de cette nouvelle vague migratoire – comparés à ceux de la fin du 19ème siècle – ne sont pas énormes (78 941 départs selon l’ISTAT en 2012), mais ils sont significatifs de la situation économique du pays.

En effet, en l’absence de guerres, les raisons qui poussent à l’émigration sont généralement de nature économique. Dans le cas italien, nous pouvons souligner: la non augmentation du P.I.B, le fort taux de jeunes sans emploi (arrivé en 2014 à 42,3%), le phénomène du précariat et les coupes budgétaires dans la recherche. Tout cela a conduit à l’émigration desdits “cerveaux”, à savoir les jeunes diplômés ayant l’ambition de trouver une occupation professionnelle correspondant à leur domaine d’étude ou de contribuer professionnellement à l’évolution de la recherche.
De tels préalables ont bien sûr étés favorablement reçus par les pays d’accueil qui n’ont pas laissé passer l’occasion de profiter de diplômés hautement spécialisés. Ces jeunes sont généralement issus d’une classe sociale moyenne-haute capable de leur offrir une aide économique initiale pour «tenter leur chance ailleurs». Dans le cas des «cerveaux», l’objectif n’est pas la survie, qui leur est assurée par la famille, mais bien celui de travailler et réussir dans la carrière professionnelle choisie, résultat des investissements économiques et des ambitions de leur famille. La conjonction économique défavorable qui a vu défiler de 2008 à aujourd’hui pas moins de quatre gouvernements, les dynamiques clientélistes, le népotisme et le manque de transparence des concours publiques, ont créé chez les jeunes un sentiment généralisé de défiance envers les dynamiques sociales et les institutions politiques du pays.

… et pas seulement !

Et ces «cerveaux» ne sont pas les seuls à émigrer! Le démontre la forte augmentation de bien plus jeunes italiens qui, à l’issue même de leurs études secondaires, ont choisi l’Europe du Nord, le Canada ou l’Australie comme lieux de leur première expérience professionnelle, afin d’éviter de passer un seul jour sans emploi dans leur pays d’origine. Le départ représente ainsi pour eux l’unique voie vers une réalisation professionnelle et une certaine autonomie vis-à-vis de la situation financière difficile de leur famille (situation continuellement à risque en raison de licenciements soudains et de plafonnements des retraites).

Les dernières estimations

Bien que, selon le Rapport de la fondation Migrantes de 2015, la France se trouve en seconde position derrière le Royaume-Uni comme destination privilégiée par les diplômés italiens, selon les statistiques de l’AIRE relatives à la demande de résidence à l’étranger (en parallèle avec la recherche ou l’obtention d’un travail), la France est en réalité placée seulement en quatrième position derrière le Royaume Uni, l’Allemagne et la Suisse. Ce qui laisse penser que la crise économique a également touché la France, qui reste, cependant, une des destinations historiquement et culturellement privilégiées par le peuple italien.

(Traduction de l’italien par Baptiste Le Goc)

© Altritaliani

(publié le 3 avril 2017)

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Giulia Del Grande
Giulia Del Grande, toscana di origini, dopo una lunga permanenza in Francia, dal 2018 risiede stabilmente a Copenhagen. Dopo aver ottenuto la laurea in Relazioni Internazionali ha specializzato la sua formazione nelle relazioni culturali fra Italia e Francia in epoca moderna e contemporanea lavorando a Bordeaux come lettrice e presso varie associazioni e istituti del settore, svolgendo, in ultimo, un dottorato in co-tutela con l'Università per Stranieri di Perugia e quella di Toulouse 2 Jean Jaurès. Collabora con Altritaliani dal 2016.

6 Commentaires

  1. grazie che bel lavoro… sono nata a Parigi e cresciuta con i nonni piemontese, ho sofferto da piccola del « racisme » antiitaliano, e da sempre vivo qualche mese in Piemonte… quindi mi sento ITALIANA, anzi Parigina-piemontese, Salve a tutti

  2. J aimerai savoir à quelle date mon grand est arrivé en France je ne sais pas où m adresser n ayant plus personne de vivant pour me l expliquer
    Merci pour toutes ces explications c etait très intéressant

  3. L’immigration italienne en France et dans le monde: dates, lieux et repères chronologiques.
    merci de votre travail, qui nous fait sentir les acteurs d’une histoire commune et qui rend hommage à nos parents et grand-parents.

    Enfant d’émigrés en France rentrés en Italie, j’ai toujours été orgueilleuse de ma double identité, que je n’oublie jamais de cultiver et qui a fait de moi une européenne et une européiste sans réserve.

    A’ quand l’exposition en Italie?

    ….voir aussi Jean Luc de Ochandiano « Lyon à l’italienne »

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