‘Une neige fine venait de tomber. Paris en 1948‘ – roman de Serge Bassenko. Le choix d’Eléonore Mongiat pour Un libro Una città:
Un document captivant sur un Paris aujourd’hui disparu, et vécu de l’intérieur par ses habitants. Ici, des jeunes gens en première année d’université. Vie turbulente et chaleureuse des étudiants du Quartier latin ; vie animée et gaie des quartiers ; vie populeuse et élégante du Paris des monuments, des spectacles et des grands magasins ; vie paisible des squares et d’autres recoins cachés ; vie insolite des artistes et des petits métiers, des Puces et des fêtes à Pasteur.
Le héros s’est épris de Dryade, venue de sa Savoie natale pour étudier à la Sorbonne, et lui fait découvrir la capitale. Dans la dernière partie du roman, c’est lui qui ira en Savoie, et sa découverte de la province servira de contrepoint à la vie parisienne.
Et nous lecteurs, nous nous mettons à rêver à l’atmosphère intime et gaie d’un Paris où l’on vivait ensemble et où l’on avait le temps…
Eléonore Mongiat
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Extraits du roman de Serge Bassenko:
[Incipit]
Une neige fine venait de tomber. La rue vite traversée dans les rafales froides du vent, je retrouvai la tiédeur devenue familière du grand café tout proche de la Sorbonne, qu’emplissait la rumeur animée des étudiants qui en étaient les visiteurs assidus.
La rentrée, ma première rentrée à l’Université, me paraissait déjà lointaine, et pourtant, il n’y avait que depuis fort peu de temps que je hantais les profonds amphithéâtres du monumental édifice.
Libre. Je me sentais libre. Libre de combler ma curiosité. Libre de choisir, de choisir ce qui pouvait me convenir, me plaire; ce qui pouvait servir. Je n’étais plus éduqué, comme au lycée, je me dirigeais seul.
*
[Chez le héros]
– Quand nous chanteron-ons… le temps des ceri-ises… Et gai rossigno-ol… et merle moqueu-eur… Seront tous en fê-ê-ête…
Elle passait souvent dans ma petite rue en impasse, toute en terre; elle chantait, d’une voix qui n’était plus celle de sa lointaine jeunesse, elle chantait des chansons depuis longtemps oubliées. On lui jetait quelques pièces de monnaie, enveloppées dans du papier. […]
Le soleil est déjà bien levé. La douceur de cette journée vient annoncer un printemps qui n’a plus qu’un mois pour chasser l’hiver. Au milieu de ma petite rue en impasse, toute en terre, Loulou et Mounette profitent de cette belle journée pour jouer à la marelle – noble jeu où j’excellais en mon temps! Le piano d’un voisin – il donne des concerts! – m’accompagne…
Le soleil a rendu les passants de bonne humeur. Alerte sur sa bécane, un jeune livreur pédale en sifflotant d’un air gai; deux Parigots, tout en marchant allègrement, se lancent de vives plaisanteries; un automobiliste, voyant un piéton s’attarder sur la chaussée, lui jette, riant à moitié : « Alors, t’as d’la colle aux pattes! »
Le métro tarde un peu à la Convention. Les deux poinçonneurs qui se font face, chacun sur son quai, parlent du dernier film qu’ils ont vu; le chef de gare est venu se mêler à la conversation. La station est presque vide.
*
[Petit dialogue entre les deux amoureux, qui arrivent à Montmartre]
– Lorsque nous sommes arrivés, j’ai vu un téléphérique; il y a donc une montagne à Paris?
Je ne compris pas du premier coup :
– Une montagne?
Ah oui! Le Funiculaire! Je pris un ton didactique :
– Sans contredit! Le Mons Martis, sur le sommet duquel se trouve le Templum Martis, à cent trente mètres d’altitude. Cette montagne étant escarpée, les Romains avaient laissé pendre une corde pour aider les gens à monter – funiculus en latin. C’est cette corde que tu vois; et comme aujourd’hui les gens sont paresseux, on y a accroché des wagons. On l’appelle, en parisien, Le Funiculaire…
Elle m’interrompit vivement :
– Montons à pied; c’est trop dangereux!
– Une montagnarde! Trop dangereux!
– Justement! Quand nous allons en montagne, nous ne prenons pas de petites cordes, nous prenons des cordes solides.
Elle ajouta, avant que je pusse réagir :
– Funes en latin…
Je fis une mine de circonstance… au fait, quelle circonstance? Elle me serra le bras en souriant gentiment :
– Ne te fâche pas!… Tu sais, grâce à toi, je ne regarde pas seulement Paris, je regarde aussi la vie…
Elle resta songeuse un moment :
– On ne la voit pas toujours quand on est seule…
UNE NEIGE FINE VENAIT DE TOMBER. Paris en 1948 – Roman de Serge Bassenko – Version papier ou e-book.
Serge Bassenko, photographe et écrivain, pour découvrir son travail visitez son site: Lupusae