Les Manouchian au Panthéon. L’affiche rouge, Spartaco Fontanot l’«Italien communiste»

Le 21 février 1944, le résistant d’origine arménienne Missak Manouchian et 22 de ses camarades (dont cinq italiens) sont exécutés au Mont-Valérien par les nazis.  Ce mercredi 21 février 2024, quatre-vingts ans jour pour jour après leur exécution Missak et Mélinée Manouchian font leur entrée au Panthéon. Une reconnaissance envers le chef du réseau de «l’Affiche rouge», mais aussi un hommage de la Nation à tous les résistants étrangers. Manouchian est le premier résistant étranger et le premier résistant communiste à entrer au Panthéon.

A l’occasion de cette panthéonisation, on reparle ainsi de l’affiche rouge, une affiche placardée dans Paris par les nazis et les collaborationnistes durant l’Occupation par milliers d’exemplaires pour dénoncer une “armée du crime”, composée de résistants étrangers, censés incarner un péril pour la France et discréditer celles et ceux qui se battaient pour la liberté. Parmi les dix visages emblématiques de l’affiche, Missak Manouchian bien sûr, le chef du groupe, plusieurs juifs d’origine hongroise ou polonaise, mais aussi  Celestino Alfonso “l’Espagnol rouge” et Spartaco Fontanot “l’Italien communiste”.

C’est l’occasion de se souvenir sur Altritaliani des émigrés italiens qui ont souvent payé de leur vie leur participation à la Résistance française. Notre ami Alberto Toscano évoque les noms et actions de plusieurs d’entre eux dans son livre «Les Italiens qui ont fait la France», paru en français en 2019 et en italien en 2020. Parmi eux figurent notamment les Frioulans Spartaco Fontanot et Rino Della Negra, Cesare Luccarini, Antoine Salvadori, Amedeo Usseglio, tous membres du réseau Manouchian exécutés au Mont-Valérien.

(Evolena)

Nous vous proposons cet extrait.

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les italiens qui ont fait la France Toscano

«La Résistance française est riche en histoires de personnages italiens. En voilà une. Le Toscan Eusebio Ferrari est né en 1919 à Piteglio, en province de Pistoia. Il arrive en France en 1923 avec sa famille d’antifascistes, déterminée à quitter l’Italie pour des raisons politiques. Les Ferrari s’établissent à Fenain, dans le Nord. Le père trouve un emploi à la mine, à Anzin. Eusebio est l’un des meilleurs élèves de l’école communale de Fenain. Il entre dans la Jeunesse communiste à l’époque du Front populaire et s’engage dans le mouvement de solidarité avec les Républicains espagnols. Sans oublier les luttes syndicales. Eusebio Ferrari, désormais au travail, est parmi les organisateurs des grèves des mineurs en 1937. En 1940, il est en solitaire le protagoniste d’actions de propagande contre l’occupation allemande. Il imagine des attentats contre les forces nazies et collaborationnistes. Eusebio Ferrari est donc l’un de ceux qui, le moment venu, sont tout à fait prêts à passer à l’action. Il est l’un des premiers à mettre en place dans le Nord la structure des FTP (Francs Tireurs et Partisans), l’organisation créée par le PCF en 1941. Il fait partie du groupe de feu qui abat deux officiers allemands en août 1944 à Lille et aussi des commandos qui réalisent les attentats à la centrale électrique de Dechy, sur des écluses, des ponts et des lignes de chemin de fer (en faisant sauter des trains transportant des militaires allemands et du matériel de guerre).

Les Allemands et les collaborationnistes lancent plusieurs opérations pour le capturer. Ils organisent un piège pour le pousser à quitter sa planque. Eusebio Ferrari tombe, armes à la main, le 18 février 1942, tué par la balle d’un gendarme français. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur à titre posthume. Drôle de destin pour quelqu’un qui n’a jamais obtenu sa naturalisation. Gino Ferrari, frère d’Eusebio (lui aussi Résistant communiste), aura à son tour la Légion d’honneur. Naturalisé français en 1946, Gino Ferrari meurt en 2013 à l’âge de 90 ans après avoir été maire de Fenain de 1978 à 1984. Lilla Ferrari, cousine d’Eusebio et de Gino, se marie en 1933 avec un autre immigré toscan, Egidio Seghi, qui sera membre des Brigades internationales en Espagne et ensuite résistant en France. Après la Libération, ce militant s’engage à fond dans les grèves des mineurs parmi lesquels on trouve beaucoup d’Italiens et de Français d’origine italienne. Il est expulsé de France en 1948 en raison de son engagement syndical.
«Ce sont les Français qui me livrent, mais je crie : Vive la France ! Ce sont les Allemands qui m’exécutent et je crie : Vive le peuple allemand et l’Allemagne de demain !», écrit le 30 avril 1942 Guido Brancadoro à ses parents, qui recevront cette lettre d’adieu après sa mort, au Fort du Vert-Galant (Nord). Il est né en 1921 dans un village plein de charme de la province de l’Aquila, dans la région des Abruzzes. Quand il est exécuté, ou plutôt assassiné, par les nazis, il n’a pas encore 21 ans. Sa famille s’est installée à Fenain, comme celle d’Eusebio Ferrari. Lui aussi est un jeune communiste. Il est condamné aux travaux forcés pour sabotage, mais on l’utilise comme monnaie d’échange. Comme l’instrument d’un chantage : il est l’un des résistants qui seront fusillés en représailles en cas de mort d’un militaire allemand. Avril 1942, au lendemain d’un attentat qui tue à Lille un soldat des troupes occupantes, dix résistants sont fusillés. Parmi eux l’Italien Guido Brancidoro. Sa photo signalétique est émouvante. Regard doux, visage d’enfant.

On pourrait continuer longtemps à parler des Italiens de la Résistance française.

Les trois Fontanot. Spartaco à gauche.

Voici l’histoire de la famille Fontanot ; des Frioulans allés vivre dans les Hauts-de-Seine. Beaucoup d’habitants de Nanterre ne savent certainement (et malheureusement) pas pourquoi une rue de leur ville s’appelle « rue des trois Fontanot ». L’histoire est bien triste. Fontanot (en prononçant haut et fort la consonne finale, s’agissant de frioulan et pas de français) est un patronyme typique de Trieste, de Monfalcone et d’autres localités de cette partie d’Italie, à l’actuelle frontière avec la Slovénie. Si vous cherchez les Fontanot dans un annuaire téléphonique de Trieste, vous en trouverez un grand nombre. Notre Fontanot à nous s’appelle Spartaco, il est né à Monfalcone (province de Gorizia) en 1922, il arrive en France en 1924 avec sa famille et il vit à Puteaux et à Nanterre. Déjà en Italie, les Fontanot sont des militants communistes de la tête aux pieds. En France trois jeunes de cette famille, trois cousins, meurent comme des héros. Nerone (Néron) Fontanot quitte Nanterre en 1942 pour devenir ouvrier à Châtellerault. Dans cette ville de la Vienne, il prend contact direct avec le PCF, sur la base (on peut facilement l’imaginer) d’indications qui lui ont été déjà données. En 1943, il vit dans la clandestinité dans la Vienne et est l’un des responsables des opérations du FTP-MOI (Main d’œuvre Immigrée) à Poitiers. Il devient délégué pour la Vienne de la direction nationale du FTP. On lui trouve un nom de guerre qui laisse imaginer un jeu de syllabes en verlan : Néron devient René. Le résistant René est l’un des plus déterminés et courageux du département. Il participe à des opérations contre les Allemands et leurs trains militaires. Nerone Fontanot est arrêté le 23 juillet 1943 à Orléans avec « Pierrette », nom de bataille de Gabrielle Thébault, dont le mari, Camille Thébault, personnage fondamental de la Résistance dans les Deux-Sèvres, vient de mourir sous la torture dans la prison de Poitiers. Déportée, Gabrielle Thébault, rentrera en France après la guerre. Un autre membre, le plus important, de leur unité de Résistance est capturé avec eux : le lieutenant-colonel Jean Petit, dit « Maurice ». Jean Petit et Nérone Fontanot font partie des 128 résistants fusillés à La Butte de Biard, près de Poitiers. Jean Petit et Nérone Fontanot sont tués respectivement les 22 et 27 septembre 1943. Nérone est âgé à ce moment-là de 22 ans. Son frère Jacques est interné à l’âge de 16 ans, en 1943, dans un centre de rétention dans la Vienne. Comme il vient d’une famille de militants, le pouvoir de l’époque préfère le priver de sa liberté d’action. L’action de la Résistance pour libérer les internés de ce camp se solde en 1944 par une chasse à l’homme. Jacques, qui avait pris la fuite, est massacré par les Allemands et par les collaborationnistes. Il a 17 ans.

Spartaco Fontanot, cousin germain de Nerone et de Jacques, est membre du « Groupe Manouchian », très importante unité de la Résistance. Il participe, le 23 juin 1943, à l’attaque à la grenade d’un groupe de militaires allemands, sortant de la caserne Guynemer de Rueil-Malmaison. C’est à lui de lancer la grenade. Dans sa fuite, il est protégé par un autre Frioulan, Rino Della Negra, né en 1923 dans le Pas-de-Calais. Dans le « Groupe Manouchian » les femmes sont fondamentales pour les actions de repérage et pour transporter les armes sur le lieu des actions. Parmi elles on trouve la Roumaine Olga Bancic (nom de bataille « Pierrette ») et la Française Madeleine Oboda (« Catherine »). Parmi les Italiens, il y a Cesare Luccarini, Antonio Salvadori et Amedeo Usseglio. Les Allemands essaient par tous les moyens d’en finir avec les activités du  «Groupe Manouchian». Ils y arrivent. Le nom et la photo de Spartaco Fontanot paraissent sur l’affiche rouge, que les nazis et leurs amis pétainistes font circuler en France qui condamnera les 23 membres de l’organisation FTP-MOI à la peine capitale.

Le message de l’affiche rouge est clair : ceux qui se présentent comme libérateurs des Français ne sont pas français, ce sont des Juifs, des communistes ou des étrangers (parfois les trois ensemble), qui frappent la France par des attentats sanglants. On y voit donc dix photos avec des didascalies que les communicateurs nazis considèrent comme très efficaces de leur point de vue. Quelques exemples : « Arménien, chef de bande », « Juif polonais », « Juif hongrois », « Espagnol rouge » et pour Spartaco Fontanot « Communiste italien ». Quand on lui demande la raison de son engagement pour un pays qui n’est pas le sien, Spartaco Fontanot répond : « Pour un ouvrier, le pays où il se trouve est sa patrie. » Peu avant son exécution, il écrit à son père, sa mère et sa sœur une lettre pour dire : « Je vous en prie, ne pleurez pas » parce que dans une guerre, la mort est quelque chose de tragiquement normale. Il a été torturé, mais il est fier d’écrire qu’il n’a jamais eu un moment de faiblesse. Parmi les membres du « Groupe Manouchian », fusillés le 21 février 1944 au Mont-Valérien, il y a aussi des Français, mais sur l’affiche rouge on ne voit que des photos d’étrangers.»

(Alberto Toscano)

LIENS EXTERNES SUGGÉRÉS:

Quand Aragon et Eluard rendaient hommage au « groupe Manouchian, un article France-Culture

– Sur Youtube, mercredi 21 février 2024, au Panthéon, l’émouvante reprise par Arthur Teboul et le groupe français Feu! Chatterton de la chanson « L’Affiche rouge », composée par Léo Ferré à partir d’un poème de Louis Aragon.

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Alberto Toscano
Alberto Toscano est docteur en Sciences politiques à l’Université de Milan, journaliste depuis 1975 et correspondant de la presse italienne à Paris depuis 1986. Ex-président de la Presse étrangère, il est l’un des journalistes étrangers les plus présents sur les chaînes radio-télé françaises. A partir de 1999, il anime à Paris le Club de la presse européenne. Parmi ses livres, ‘Sacrés Italiens’ (Armand Colin, 2014), ‘Gino Bartali, un vélo contre la barbarie nazie', 2018), 'Ti amo Francia : De Léonard de Vinci à Pierre Cardin, ces Italiens qui ont fait la France' (Paris, Armand Colin, 2019), Gli italiani che hanno fatto la Francia (Baldini-Castoldi, Milan, 2020), Mussolini, "Un homme à nous" : La France et la marche sur Rome, Paris (Armand Colin, 2022)

1 COMMENTAIRE

  1. L’Ambasciata di Francia a Roma manda alla nostra redazione questo comunicato in italiano e le diffondiamo volentieri.

    Su volontà del Presidente della Repubblica Emmanuel Macron, mercoledì 21 febbraio alle 18.30, le spoglie di Missak Manouchian e di sua moglie Mélinée entreranno solennemente al Panthéon di Parigi, dove risposano le grandi personalità della Patria. Poeta, ex-operaio di Citroën, Manouchian si rifugiò in Francia nel 1925, dopo avere scampato al genocidio armeno, nel 1943 si arruolò nella resistenza comunista contro l’occupante tedesco e i collaborazionisti di Vichy. Entrato nei gruppi armati dei Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI) ne divenne presto uno dei leader, coordinando azioni di sabotaggio, attentati e agguati contro i gerarchi e le forze di occupazione naziste e i collaborazionisti francesi di Vichy, nell’area di Parigi.

    Arrestato nel 1943, sarà fucilato dai tedeschi il 21 febbraio 1944 al Mont-Valérien, insieme a 22 dei suoi compagni di lotta. La moglie Mélinée riuscì a sfuggire alla cattura, trascorrerà tutta la sua vita in Francia, dove mori nel 1989. In modo simbolico, con l’iscrizione dei loro nomi su una targa, faranno ingresso al Pantheon anche i suoi compagni di lotta, stranieri morti per la Francia al suo fianco. Fra loro, al Mont-Valérien, 5 italiani furono uccisi dai soldati nazisti: Rino Della Negra, Spartaco Fontanot, Cesare Luccarini, Antoine Salvadori, Amedeo Usseglio. Di seguito i loro ritratti : https://bit.ly/GruppoManouchian

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