Arièle Butaux nous parle, dans sa nouvelle chronique vénitienne du 30 avril 2020, de ses espérances bienveillantes pour l’avenir de la Sérénissime, durement touchée d’abord par l’“Acqua alta” de novembre dernier puis par le coronavirus. Venise, si dépendante, trop dépendante du tourisme de masse, connaît depuis plusieurs mois un long hiver. L’expérience d’avoir été rendue temporairement à ses habitants (100 000 il y a quelques décennies, 55 000 seulement aujourd’hui) et à sa splendeur nue sera-t-elle l’occasion de reprendre en main son avenir, de repenser l’accueil de ses visiteurs, de choyer davantage ses artisans, d’imaginer pour elle de nouveaux modèles de développement?
A l’annonce du confinement, alors que beaucoup d’habitants des villes cherchaient une retraite au vert, les vénitiens sont restés à Venise. Faisant corps avec leur ville, comme l’équipage d’un navire au coeur de la tempête. Venise s’en est montrée reconnaissante, déployant pour eux seuls des sortilèges que la folie du tourisme de masse avait fini par occulter. Alors qu’elle n’a jamais été aussi inaccessible, les photos de sa splendeur nue font le tour du monde, redorant son image et suscitant à l’extérieur le désir légitime de s’y précipiter dès que possible.
Alors que nous entrons dans une longue convalescence, les vénitiens font face à une situation cornélienne. Retombé amoureux d’une Venise rendue à ses habitants, à ses enfants, à sa langue, à son calme, leur coeur ne peut se résoudre sans douleur à être de nouveau dépossédé de sa ville par un tourisme sans foi ni loi. La raison, quant à elle, rappelle que Venise est dramatiquement dépendante du tourisme et qu’il va bien falloir se résoudre à la partager. Mais plus à n’importe quel prix.
Durant les prochaines semaines, Venise va donc peu à peu renouer avec le reste du monde. Mais il faudra sans doute longtemps avant que le reste du monde revienne en nombre à Venise. Ce sursis ne sera pas de trop pour penser autrement le tourisme et la réflexion, pour être fructueuse, devra être menée des deux côtés, par les vénitiens et par ceux qui souhaitent leur rendre visite.
Venise est un amplificateur d’émotions. Ceux qui l’aiment et la connaissent savent certainement de quoi je parle : si l’on y arrive simplement heureux, elle vous rend euphorique. A l’inverse, un vague sentiment de tristesse peut s’y transformer en désespoir. En exacerbant notre sensibilité, Venise nous rend réceptifs à tout ce qu’elle a à offrir, inspire ceux qui ont vocation à créer.
Ce que l’on vient chercher à Venise, c’est la ville elle-même avec son histoire, son héritage artistique ou culinaire, ses artisans dont le savoir-faire perpétue des traditions nées dans la lagune et dont Venise n’a jamais cessé d’avoir besoin pour conserver ou restaurer son patrimoine. Ce que l’on vient chercher, c’est aussi un cosmopolitisme foisonnant qui fait partie de l’histoire de la ville et qui, longtemps, a nourri sa créativité et fait sa richesse dans un échange perpétuel de savoirs, d’idées, de marchandises.
Pour survivre, Venise doit choyer ses artisans. Ceux dont elle a absolument besoin pour prendre soin de son patrimoine. Ceux qui aujourd’hui ne trouvent personne à qui transmettre leur art dont on manque déjà cruellement lorsqu’il s’agit de restaurer un lustre, une tenture, un palais… Ceux qui, il y a vingt ou trente ans encore, portaient loin au-delà des frontières de Venise la réputation de ses étoffes, de ses dentelles, de ses verreries que les grands noms de la mode ou de la décoration adoptaient pour leurs propres créations. Ceux qui permettaient aux touristes de ramener chez eux une nappe brodée à la main ou un verre soufflé à la bouche dont ils ne se lassaient jamais car ceux-ci étaient un petit morceau de l’âme de Venise et leur rappelaient pour toujours l’éblouissement de leur séjour.
Pour survivre, Venise doit accueillir ses visiteurs comme des invités et les encourager à se comporter comme tels.
On rêve de voir disparaître tant de lieux sans âme où celui qui dort ou mange est traité comme un mouton à tondre entre deux marathons dans des «calle» bondées où les vendeurs de pacotilles le grugent. On rêve de voir fleurir des boutiques où vénitiens et visiteurs auraient le même intérêt à trouver des produits de qualité, on rêve d’une Venise où vénitiens et visiteurs pourraient partager leur amour commun pour elle.
On rêve aussi d’une ville où, à la faveur des nouvelles technologies ou du développement du télétravail, d’autres activités non touristiques pourraient se développer, créant emplois et attirant de nouveaux habitants.
On rêve que Venise redevienne la ville des musiciens, des peintres, des écrivains, des sculpteurs, nourrissant de leur inspiration des oeuvres à ajouter au patrimoine d’une ville qui ne doit devenir ni un parc d’attraction ni un musée.
On rêve de ne pas être, au sortir de cette crise, la génération qui achèvera de détruire en moins d’un quart de siècle la merveille des merveilles édifiée il y a plus de mille ans. Aucun vénitien, aucun amoureux de Venise d’où qu’il soit ne peut vouloir cela.
©Arièle Butaux, 30 avril 2020
Source : Facebook page d’Arièle Butaux (publié avec son consentement).
Page d’auteur et autres chroniques vénitiennes d’Arièle Butaux sur Altritaliani
Chère Arièle Butaux, Venise est ma ville d’adoption depuis Février 1993 et je me suis fiancée avec la ville posée sur l’eau en Fév 1994. Je porte en témoignage une alliance décotée d’un tout petit diamant. Elle a été crée par un joaillie dans son échoppe de Calle di Mezo dopo il ponte Rialto maid cette échoppe n’existe plus depuis longtemps. D’après mes infos, travaillait là un frère de Stefani de l’autre orificeria de strada nuova située après le ponte du campo santi Apostoli où j’ai aussi parfois acheté. Bref, mon envoutement est toujours présent même quand je travaille chez moi dans la beauté présente cérébralement en moi envahissant mon esprit continuellement. je fus envoutée par la ville depuis début Février 93 : 40 séjours au cours du temps pour ma création artistique (textes et photos pas seulement à Venise mais à Paris, du figuratif à l’abstrait). Cela était nullement prévu par mon premier déplacement. Une révélation envoyée par des anges gardiens ? au San Marco ? ou qui donc ? … et un rêve -réalité présent à vivre in continuo sachant de suite m’isoler en dehors des trajets standards donc du côté de la Madonna dell’Orto pour parler aux vénitiens et aux chats. Ils comprennent très bien la démarche d’une amoureuse puriste de leur lieu merveilleux depuis des siècles et ont plaisir à me voir pour m’apprendre leur vécu quotidien.