Pantelleria, joyau méditerranéen préservé

Entre la Sicile et la Tunisie, marquée par son littoral spectaculaire, l’île de Pantelleria regorge de beautés, avec des airs de bout du monde bien peu fréquenté. Une excellente idée de destination de vacances pour les amoureux d’Italie (publié en 2019).

Une mer cristalline, des fonds marins très poissonneux, mais une côte qui ne se laisse pas aborder facilement. Parce qu’il n’y a pas de plage sur l’île de Pantelleria. Entre criques et falaises, la roche domine partout. Une roche noire déchiquetée, cassante, âpre, avec laquelle il faut négocier toujours (Songer à prendre une paire de sandales ou des méduses; à défaut, on en trouve dans n’importe quelle boutique, même dans les bureaux de tabac.)

Marina di Suvaki

C’est sans doute l’une des raisons qui ont épargné Pantelleria des flots touristiques, bien plus que les heures de transport enquillées (sauf à s’y rendre en avion, depuis Milan Linate, Rome ou Palerme, à des prix prohibitifs), sachant qu’il faut, de Paris, se rendre d’abord à Palerme, gagner Trapani en bus ou en voiture, et compter au minimum deux heures trente de bateau (en aliscafo) pour rejoindre le débarcadère de cette « perle noire de la méditerranée ». C’est long, c’est très long – surtout à comparer avec les îles Egades ou éoliennes.

A dire vrai, cette « perle noire » ne commence pas au débarcadère. Chef-lieu de l’île, Pantelleria est une petite ville laide. Un ratage architectural et urbanistique complet. Reconstruite au lendemain de la Seconde guerre mondiale, sans plan ni réflexion, elle aligne, en dépit du bon sens, au-dessus de la mer, des immeubles de trois ou quatre étages grimpant la falaise autour de la barbacane, château fortifié sous Frédéric II. Il n’y a guère que le port de plaisance qui fasse illusion.

Sur cette terre volcanique, où la câpre le dispute à l’olive et au raisin, l’enchantement est ailleurs. Sur le littoral et dans les terres. A fortiori si l’on prend comme camp de base ou point de départ les gros bourgs tels Tracino et plus encore Scauri, bien vivants, avec leurs alimentari, leurs negozi et autres restaurants, avec leurs cafés fréquentés par les anciens qui viennent faire la commère ou le ramier au seuil du troquet. Scauri, où l’on se baigne aisément, possède aussi son petit port de pêche et de plaisance, tandis que les cafés surplombent le paysage.

Port de Scauri

Si le chef-lieu a raté son architecture, toute l’île se distingue par ses maisons typiques, appelées les « dammusi », nom d’origine arabe (liée à l’occupation après celle des Phéniciens, des Carthaginois, des Romains et des Byzantins), comme nombre de villages habillant l’île (Khamma, Rakhali ou Bugeder). Le dammuso est une maison cubique, bâtie en pierre noire, avec un toit terrasse à la forme d’un dôme au centre pour recueillir les eaux de pluies. A l’origine, le dammuso se partageait en deux pièces, l’une pour la famille, l’autre pour les animaux. Aujourd’hui, il n’est pas rare d’en trouver transformés en somptueuse villa, certaines reliées les unes aux autres, dominant les fronts de mer ou repliées dans la campagne. Le même type de pierre noire sert d’enclos à ce qu’on nomme les « jardins panteschi », abritant du vent les potagers, ou encore à renforcer les cultures en terrasse sur une île qui a tôt fait de savoir son goût pour les reliefs escarpés.

Un dammuso à Pantelleria

On s’en rend compte notamment si l’on prend la direction de la Montagna Grande. Culminant à 836 mètres au-dessus de la mer, entre la cité de Pantelleria et l’aéroport, elle domine toute l’île. On accède au sommet au bout d’une route sinueuse, asphaltée mais parfois endommagée, grimpant, traversant une pinède, martyrisée récemment par des incendies. Si la route s’achève sur une zone militaire, un sentier, plus haut sur la droite mène à une petite chapelle et à la grotte des Brigands, fraîche et spacieuse, ainsi baptisée pour avoir servi de refuge à quelques hors-la-loi dans le passé. En montant, comme en descendant, la montagne offre une variété de panoramas, tout en longeant de remarquables dammusi.

Le Tour de l’île, de la Marina di Suvaki au lac Specchio di Venere

C’est l’un des lieux les plus amicaux de Pantelleria : la Marina di Suvaki, à une quinzaine de minutes en voiture, au sud du chef-lieu. C’est encore de la roche, mais facile d’accès. Une route terreuse de quelques mètres conduit au parking du bar restaurant Shurhuq, construit presque sur l’eau. L’établissement a même disposé une poignée de parasols, tables, chaises et transats (location à la journée). Un lieu peu fréquenté et pourtant charmant.

Marina di Suvaki

A trois kilomètres au sud du village de Scauri, toujours en longeant la mer, la Punta di Nica s’étire sauvagement au pied d’un dammuso qui paraît abandonné. Se garer en contrebas de la route. Dix minutes à pied (compter le double pour l’âpre remontée) suffisent pour plonger dans cet écrin de lave fouetté par les vagues. Y aller de préférence tôt le matin pour profiter du soleil.

Quittant la mer pour l’intérieur des terres, une autre route mène à Rekhale, quatre cents mètres au-dessus des eaux. Les maisons de ce petit bourg tranquille s’alignent au fil d’un entrelacs de ruelles. A l’entrée du village, seule une alimentari semble donner un peu de vie aux lieux. En réalité, c’est à la sortie de Rekhale, dans la direction de Piana Ghirlanda que le bourg est animé, dans le va et vient et le tout-venant du café tabac restaurant U’Trattu, 1957. Un de ces lieux improbables comme il n’en existe qu’en Italie (quoique). Terrasse le long de la route, plongeant sur le paysage maritime et vaste salle à l’intérieur. La cuisine est entre les mains expertes de Piero Catalano.

Calamar dégusté au restaurant U Trattu

Au déjeuner, trois ou quatre plats annoncés, simples, efficaces, selon le marché du jour (spaghetti aux moules, calamars farcis, pasta al ragù, salade de seiches). Au dîner, une carte aux allures gastronomiques à un prix de trattoria, dans une ambiance amicale et familiale. Tartare du chef (thon, seiche, poissons de roche), couscous de poissons, seiches grillées, pâtes aux légumes, spaghetti al pesto pantesco, thon à la palermitaine, lièvre cuit à basse température aux petits légumes de Pantelleria, veau local à la plancha et crème de Parmesan… Assurément le meilleur restaurant de l’île.

Couscous de poissons. Restaurant U Trattu

Regagnant la côte, la Balata dei Turchi est l’un des lieux préférés des Panteschi. A ce bémol près : quittant la route asphaltée, on y parvient au bout d’un sentier difficile, semé de trous, de cailloux et de pierres, sinueux, après une bonne vingtaine de minutes (et de sueur froide). Après le parking, il reste encore cinq minutes à pied pour se baigner au pied de falaises vertigineuses. C’est aussi là, dans ce décor étroit, que les Sarrasins venaient accoster discrètement sur l’île.

Arco dell’Elefante

Dans le prolongement de la route asphaltée, l’Arco dell’Elefante se veut la carte postale de l’île, accessible, là encore, au bout d’une sentier pentu. Si ce n’était la flore et la lumière, on se croirait presque à Etretat, dans les creux des falaises découpées au scalpel. Le site doit évidemment son nom à sa forme, empruntant les contours de la tête et de la trompe d’un pachyderme. Y venir tôt le matin est toujours un gage de paix.

Cala Levante

Poursuivant le pourtour de l’île, la Cala Levante est un petit port, très prisé par les familles parce qu’une plateforme bétonnée plonge dans les eaux, tandis que des échelles permettent de se baigner directement sans passer par le jeu d’équilibriste imposé habituellement par la roche volcanique. Du coup, le week-end, les familles viennent s’entasser, tandis que la musique du bar au-dessus de la Cala couvre le bruit des vagues… Au nord de la Cala Levante se niche le charmant petit port de pêche de Gadir, privilégié également par les plongeurs. Toujours au nord, et à quelques kilomètres s’avance dans la mer le phare de la Punta Spadillo. Un sentier relie le phare au Laghetto delle Ondine, suivant un relief accidenté. Difficile, sinon impossible de s’y baigner. On y vient pour le paysage et, dans le meilleur des cas, pour faire une trempette dans le lac, petite vasque en pierre de lave encadrée par les falaises et giflées par les vagues rafraîchissantes.

Véritablement caché par les montagnes, à quelques encablures de l’aéroport, du Phare et de Pantelleria, à quelques hectomètres du hameau Khaddiuggia, le Lago Specchio di Venere est d’une autre dimension.

Lago specchio di Venere

Signifiant littéralement le lac du miroir de Venus, parce que la déesse se serait plu à s’y regarder pour comparer sa beauté à sa rivale Psyché, le lac, d’un vert intense est un havre de paix, limpide et propre, prisé encore une fois par les locaux et les familles, mais finalement peu fréquenté. Sa partie occidentale renferme une source d’eau sulfureuse. Nombre de visiteurs viennent pour s’y enduire de la boue du lac, bénéfique paraît-il pour la peau et les os. On croise ainsi pas mal de baigneurs tout entiers recouverts de boue, de la tête au pied, se laissant sécher au soleil comme des statues de terre cuite, ou bien faisant le tour du lac (compter environ vingt minutes).

Ultime escale peut-être, dans cette île qui mérite d’y prendre son temps, et en toute saison, celle de la grotte Benikulà, aux portes du village de Siba, au cœur des terres, au sauna naturel, où la température augmente au fur et à mesure que l’on s’avance dans la grotte. Durant l’été, sous le soleil écrasant, la visite n’est sans doute pas indispensable. A moins de retourner aussitôt à la Marina di Suvaki pour se rafraîchir… ou entamer un tour de l’île en bateau, selon les propositions et les prestations qui ne manquent pas dans chaque petit port.


La Cantina Basile

A quelques jets de pierre du hameau de Bukkuram, installés dans un dammuso du XVIIIe siècle, Simona et Fabrizio Basile ont ouvert au public et à la visite leur petit domaine viticole, La Cantina Basile (à peine dix hectares). Loin du marketing, la maison produit là environ 32 000 bouteilles par an. Si les rouges Sciusciù et Trate sole (l’un merlot, l’autre cabernet franc), paraissent puissants et denses, le blanc Sora Luna, est joliment raffiné. La cantine produit également un remarquable passito, sous l’étiquette de Shamira (un vin doux, fabriqué à partir du zibibbo, un cépage de raisin recueilli et séché au soleil, à même le tufo, plus ou moins quinze jours). Dégustation copieuse (pain, fromages, olives, tomates, crostini de courgettes et caviar d’aubergine) autour de quatre verres (11h-13h et 17h-20h).


Carnet pratique

Se rendre à Pantelleria : De Palerme à Trapani, en bus, compagnie Segeste, une liaison toutes les heures, aller retour (compter 1h45 environ). Bus directs également de l’aéroport de Palerme pour Trapani (compter une heure).

Trapani-Pantelleria : avec la compagnie Liberty Lines, au départ de Trapani. 1 seul aliscafo par jour. Départ 13h40, retour 16h10 (compter 2h20 de trajet). Avec la compagnie Siremar (entre 5 et 6 heures de trajet, 2 bateaux par jour, l’un de jour, l’autre de nuit).

Location de voitures : Policardo autonoleggio, vicolo Messina, 31. Tél. +39 0923 91 28 44. Dans une ruelle à deux pas du port. En moyenne, environ 30 euros par jour la location d’une voiture (modeste, mais exactement ce qu’il faut pour conduire sur les routes défectueuses de l’île). Location de scooters également.

Lido Shurhuq, ristorante bar, 9h-23h. Tel. : +39 366 978 1658.

U’Trattu 1957, ristorante-bar-enoteca, via Gabriele 2, Rekhale. Tel. : +39 092 369 7001.

Jean-Claude Renard
(texte et photos)

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Jean-Claude Renard
Jean-Claude Renard, journaliste à Politis et auteur, amateur passionné de gastronomie, a notamment écrit : avec Michel Portos, "Michel Portos. Le Saint-James en 65 recettes", (Flammarion, 2011) ; avec Yves Camdeborde, "Simplement bistrot" (Michel Lafon, 2008) ; avec Emmanuelle Maisonneuve, "Mots de cuisine" (Buchet-Chastel, 2005) ; "La Grande Casserole" (Fayard, 2002). "Arrière-cuisine" est paru aux éditions de la Découverte en 2014. Il a également publié "Marcello" (Fayard, 2002), "Céline, les livres de la mère" (Buchet Chastel, 2004), "Italie. Histoire, société, culture" (La Découverte, 2012), avec Olivier Doubre et "Si je sors je me perds" (éditions L'Iconoclaste, janvier 2018). Nous avons appris avec grande tristesse le décès de Jean-Claude, survenu le 31 octobre 2022 (https://www.politis.fr/articles/2022/11/en-memoire-de-jean-claude-renard-journaliste-a-politis-44997)

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