Le napolitain est une langue à part entière. Elle n’est ni une déclinaison de l’italien, ni du latin, contrairement à d’autres langues régionales. Six millions de personnes la parlent, même si la langue officielle enseignée dans les écoles est l’italien. Elle a une littérature, une grammaire. En 2013 l’Unesco a publié une liste de langues en danger de disparition et qui méritent d’être protégées. Le napolitain est parmi elles et a été classé patrimoine Unesco.
Quelques exemples de la richesse linguistique du napolitain: 150 mots pour traduire «idiot», 60 pour «argent», 200 pour désigner les parties du corps, 6 000 locutions (contre 3 000 répertoriées dans le reste de l’Italie). Dante en personne qualifiait le parler du Sud de juste milieu entre sermo rusticus (langue rustique) et sermo illustris (langue illustre). Le napolitain, langue romane au même titre que le toscan (devenu langue officielle à partir de l’unification de l’Italie en 1861), est donc le deuxième idiome de la Péninsule. Il inclut les variétés régionales, des Abruzzes jusqu’à la Calabre.
Datée de 960, la «Sentence de Capoue», un acte de vente, est à ce jour le document le plus ancien rédigé non en latin mais dans un italien vulgaire très proche du napolitain.
Les œuvres littéraires, théâtrales et musicales en langue napolitaine foisonnent, et ce à partir du XIIIe siècle. Gambattista Basile écrit au XVIIe siècle le Pentameron, un recueil de cinquante contes pour enfants, premier ouvrage du genre en Europe [[Le réalisateur Matteo Garrone s’en est inspiré pour son dernier film présenté en 2016 au Festival de Cannes: Il racconto dei racconti – A tale of tales]]. Des traductions en napolitain de la Bible, des classiques grecs, latins et italiens remontent pour la plupart au XVIIIe siècle. De même, on ne compte plus les dictionnaires et les grammaires parus dès cette époque.
Le XIXe marque l’essor des chansons, toutes écrites en napolitain, qui se répandent dans le monde entier. Au XXe, des monstres sacrés comme Eduardo De Filippo (théâtre), Roberto De Simone (musique), Totò, Massimo Troisi, Vittorio De Sica (cinéma) ont contribué à faire du napolitain la langue la plus connue parmi celles toujours vivantes en Italie.
Et l’on doit l’ouvrage moderne le plus imposant à un professeur de Cambridge, Adam Ledgeway, auteur d’une “Grammaire diachronique napolitaine” de 1045 pages parue en 2009.
Il existe même une version napolitaine du logiciel Word.
Cela dit, dans le Sud de l’Italie, lorsqu’un enfant des classes sociales aisées s’avise de parler la langue de son pays natal, on le sermonne en lui intimant de «parler comme il faut», alors que le bilinguisme est une richesse. Mais la force des habitants de Naples en particulier est dans leur résistance à toute dictature, et ils continuent donc à parler la langue de la sirène, au nez et à la barbe de ceux qui voudraient la tuer. Seule la partie des classes aisées la plus conformiste (et aussi la moins attachée à sa propre culture) la snobe.
Les auteurs contemporains de pièces de théâtre et de chansons n’ont pas cessé non plus d’écrire en napolitain. A Naples, certaines écoles et associations proposent depuis quelques années des cours de napolitain, une heureuse initiative qui redonne ses lettres de noblesse à une langue qui, avant la (mal)unité italienne, était parlée même par la famille royale.
Mais les sarcasmes des adeptes de la langue toscane visant les “napoletanophones” ne datent pas d’hier. La preuve en est qu’à la fin du XVIIe siècle, lorsque le très érudit haut prélat apulien, Pompeo Sarnelli, auteur de quarante œuvres on ne peut plus sérieuses, décida d’écrire « la Posilicheata », des contes populaires en napolitain, il eut droit à de sévères critiques. L’évêque de Bisceglie, nommé assistant d’études du pape Benoît XIII, ne se laissa toutefois pas démonter : il rendit la pareille à ses détracteurs en écrivant une introduction truculente dont voici un extrait que j’ai traduit du napolitain (on peut lire la version originale intégrale ICI).
«Vous picotez le fondement à la terre entière avec votre langue toscane ! Un mot napolitain tout rond vaut bien tous les vocables de la Crusca (Académie de la Crusca, équivalent de l’Académie française.) : et à quel autre idiome pourrait-on le comparer ? Qui oserait dire que le parler latin n’est pas un grand parler ? Et pourtant quand Pompée le Grand vint à Naples, il tomba amoureux de notre parler et abandonna le latin ; et quand Cicéron lui passa un savon sans eau, Pompée répondit que Cicéron ne savait pas ce qu’il disait, car s’il avait demeuré un peu plus longtemps à Naples, il aurait laissé tomber lui aussi le latin pour le napolitain : lequel n’est qu’un mélange de grec et de latin, heureuse combinaison faite pour adoucir la bouche, le palais et la gorge (…) Et puis, quelle est cette impertinence de dire que le parler napolitain ne sert qu’aux pitres dans les comédies ? Ces propos sont le fait d’étrangers qui n’ont pas approfondi notre langue, autrement ils sauraient que nos mots sont aussi beaux que les leurs sont laids. (…)
Tu ne sais pas ce que l’on raconte ? Qu’un jour un brave homme de notre pays quitta Naples, où le pain s’appelle « pane », et arriva dans une ville du nord où le pain s’appelait «pan» ; un peu plus haut on l’appelait «pa» ; alors, il dit à son compagnon de voyage: «rentrons chez nous mon ami, que si nous montons plus haut, nous ne trouverons plus de pain et crèverons de faim» (…)
Celui qui s’est acoquiné avec les Toscans pour parler leur langue devra me pardonner: moi je ne l’ai pas fait, et je veux parler la langue de mon pays. Et si l’on ne veut pas m’entendre, que l’on se bouche les oreilles, ou… les cinq lettres».
Et je suis de son avis.
Maria Franchini
POUR APPROFONDIR, quelques liens:
En français:
La langue napolitaine
En italien:
Giovanni Boccaccio (Boccace), bien que toscan, parlait et écrivait le napolitain, en voici un exemple: Epistola napoletana: dal napoletano di Boccaccio alla Napoli odierna
Un autre article intéressant de Angelo Forgione :
Salviamo la lingua Napoletana, patrimonio dell’Unesco
(publication 2016 mise à jour)
Sì, W il Napoletano! Anziché, però, disquisire (spaccando il capello in quattro e facendone un… « taluorno ») se definirlo « lingua » o « dialetto », cominciamo a rispettarne l’ortografia: simme… parlammo… Napulitane… ‘O…
Lei ha pienamente ragione, però: 1) l’a