La MEP, Paris 4e, présente Eblouissements 1960 – 2010, la première rétrospective de l’œuvre de Mimmo Jodice, photographe majeur de la scène italienne.
Incontournable !
Les grands artistes sont souvent d’une simplicité désarmante, Mimmo Jodice n’échappe pas à cette règle.
L’homme, économe de paroles, paraît heureux de faire partager sa passion. Il ressemble à son œuvre, en Noir et Blanc.
Napolitain avant tout, et doublement :
«Je suis né à Naples, et j’ai aussi choisi cette ville, qui me l’a bien rendu. C’est elle qui m’a suggéré les images ! Naples, c’est la photographie».
Le photographe du silence (à mille lieues du cliché du volubile napolitain) m’entraîne dans le parcours de l’exposition.
Pas de chronologie pour cette rétrospective mais une déclinaison des thèmes majeurs qui jalonnent son œuvre. Il sculpte la lumière en virtuose, joue avec, se délecte du clair obscur. Il répond avec une gentillesse non feinte et sans l’ombre d’une fausse modestie à mes questions :
«J’ai commencé à m’intéresser sérieusement à la photographie assez tard. J’avais déjà 27 ans et c’est l’achat d’un petit agrandisseur qui m’a permis de me lancer dans cette voie de façon plus professionnelle. J’étais designer, je peignais et sculptais pour mon plaisir».
Dans les années 60, je me suis lancé dans une expérimentation linguistique des recherches techniques et esthétiques. Je voulais trouver une nouvelle dimension expressive. Je me suis ingénié à faire tout ce que je ne devais pas faire ! (Il rit)
Je faisais beaucoup de tirages et travaillais avec un Nikon».
Surimpressions, flous, lacérations, déformations, photogrammes, déchirures
Elena, 1966 © Mimmo Jodice
regard cubiste (fragments);
travail sur la lumière (glass);
incursion dans le conceptuel : il s’amuse avec la définition de la photographie que l’on trouve dans le dictionnaire : «Sert à reproduire la réalité». (Vera Foto,1978)
En parallèle il photographie les hôpitaux psychiatriques, les prisons, les quartiers déshérités de Naples. Ce n’est pas du reportage mais une recherche sur la condition sociale, la souffrance et la pauvreté. Regard accusateur, vision politique, témoignage engagé, dans la période troublée des «années de plomb» :
«On espérait un changement … ». (Il soupire)
Les fêtes et les rituels retiennent également son attention. Avant que toutes ces traces du passé ne disparaissent, c’est en anthropologue qu’il les observe, évacuant pittoresque ou folklore.
Vient ensuite un lent détachement du réel, qui s’estompe; son approche devient métaphysique, la figure humaine se dissout dans le paysage.
L’intemporel sollicite son attention.
Refus du présent, désillusion à l’égard de ses contemporains et d’un monde dans lequel il se sent de plus en plus marginal, étranger ?
Ruines archéologiques, plongée dans les mythes et origines de la civilisation antique, les clichés des années 90, travaux de la maturité,
Demetra d’Ercolano 1999 © Mimmo Jodice
donnent chair à ces corps de marbre et ces visages rongés par les temps qu’il magnifie. L’artiste utilise un Asselblad, dont le format presque carré élimine tout le hors champ des souvenirs lointains.
«Le monde a changé. J’ai du mal à vivre dans cette réalité-là. Moi j’ai besoin de réflexion. Tout le monde court alors j’ai besoin de respirer un autre air. Les villes se sont métamorphosées, les sentiments eux n’ont pas changé. Je voyage dans l’histoire. La peur, l’angoisse, l’effroi existent toujours, comme il y a 2000 ans. La vie est toujours pareille. Nombre de ces statues n’ont plus d’yeux, plus de visage mais elles nous regardent.
Les yeux sont la métaphore de mon regard».
Métaphore présente tout au long des salles : portes murées, fenêtres fermées, voiture recouverte d’une bâche tel un blanc linceul, autant de visages abstraits qui peuplent un monde désert, irréel .
Vue de Naples, 1980 © Mimmo Jodice
Pas de vie, écho du silence.
«La réalité est précise, définie, mais il n’y a aucune possibilité de la retrouver. Il n’y a plus d’espoir. Je ne suis pas pessimiste, mais pas non plus si optimiste que ça !
J’ai conscience que dans la vie il y a de moins en moins d’espace pour penser».
On sent que pour lui l’important n’est pas de reproduire la nature mais de l’exprimer .
«Quand vous voyez mes images, vous voyez mes pensées…»
Jodice ne travaille ni dans la vitesse, ni dans la précipitation. Il n’y a pas pour lui d’ «instant décisif», pas d’urgence. Son école, celle de la réflexion, l’amène à tourner longuement autour du sujet avant de se lancer. Lorsqu’il est prêt une prise de vue suffit la plupart du temps; parfois il multiplie les axes mais il ne mitraille pas à tout va.
Esthète perfectionniste il tire lui-même TOUS ses négatifs. Suffisamment rare pour mériter d’être relevé !
Un homme immobile, agrippé à une cireuse qui s’agite et tressaute sans qu’il semble y prendre garde, a l’air happé par l’objet de sa contemplation.
On ne passe pas devant les photos de Mimmo Jodice, on se noie dedans.
Paestum, 1986 © Mimmo Jodice
De ces images déconnectées du quotidien trivial naît une mystérieuse poésie.
Tout semble normal mais sourd une obscure inquiétude. Abstraction, vibration, éloignement, dégradations.
Il y a toujours un au-delà que l’on pressent dans ses photos. Jodice donne à voir l’invisible.
L’artiste se lance dans une relecture du monde : capitales abandonnées, lieux de villégiatures voués à la décrépitude, solitude, émotion.
Aubes éternelles, crépuscules froids, les ciels à la Lorrain se font tour à tour soit menaçants soit rassurants.
Flots tumultueux ou apaisés,
La Mer enfin, comme un ultime tombeau.
«Pour moi c’est l’horizon, une fuite : le ciel et la mer. Une inquiétude, une attente».
Strombolicchio, 1999 © Mimmo Jodice
L’homme est toujours là avec sa cireuse et essaye de se faire oublier. Je lui demande ce qu’il pense de l’exposition, il est gêné, bafouille et comme une évidence :
«C’est beau tout simplement» !
Marie SOREL
Renseignements pratiques :
Rétrospective 1960-2010 Mimmo Jodice
Du 14 avril au 13 juin 2010
Ouvert du mercredi au dimanche inclus
Fermé lundi, mardi et jours fériés
Informations : 01 44 78 75 00
Maison européenne de la photographie
5/7 rue de Fourcy
75004 Paris
Métro : Pont-Marie ou Saint-Paul
www.mep-fr.org