Peut-on être “rital” et en même temps source d’orgueil national français ? Qui sont les Italiens qui ont marqué l’histoire intellectuelle, artistique et sportive française ? Dans cet article, nous rappellerons les origines italiennes de certaines célébrités françaises tout en questionnant leur capacité d’intégration et les raisons qui les ont poussées à émigrer en France.
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En 1908, Jules Claretie (historien et journaliste, ancien membre de l’Académie française) a adressé les mots suivants à Raniero Paulucci di Calboli (diplomate italien à Paris en 1898) qui les a retranscrits dans la préface du livre intitulé Larmes et sourires de l’émigration italienne (Société de l’édition et de Publications, Librairie Félix Juven, 1908).
Il y a bien longtemps que je n’ai rencontré dans la rue de ces petits Italiens pleurant devant des statuettes de plâtre, brisées ou invendues. Qui n’a pas vu ce triste spectacle ? Des figurines alignées sur le rebord de quelque logis, et, essayant vainement d’attirer l’attention des passants, un pauvre petit colporteur de ces plâtres, se désolant à l’idée de rentrer chez le patron mains vides et panier plein. «Comment ! Tu nous rapportes ta marchandise, imbécile qui n’a pas su vendre ! Tu te coucheras, ce soir, sans manger !»
Ces rencontres pitoyables se font plus rares, parce qu’en faveur de ces enfants martyrs un homme de cœur est intervenu et a mis son talent au service d’une cause juste : la protection des petits. (…) Paix aux morts ! Larmes aux victimes ! Messine et Reggio et tous ces villages souriants sous les orangers sont un linceul. Mais les petits exilés de la terre italienne souffrent toujours à travers le monde et ce sont leurs pleurs qu’il faut essuyer – pleurs dont s’inquiète encore là-bas, j’en suis sûr, le marquis Paulucci di Calboli, dans «le grand deuil » de la patrie italienne, deuil et douleur qu’ont ressentis fraternellement les cœurs français. Paris, 31 Décembre 1908.
(Ndr : Version corrigée du texte original qui comportait des erreurs typographiques et des fautes d’orthographe).
A la vue de ces pauvres petits travailleurs italiens, de nombreux Français furent certes – et c’est tout à leur honneur – scandalisés ou pris de « pitié et compassion » mais ce genre de sentiments a nourri chez les migrants l’impression d’être décalés socialement par rapport à leur pays d’accueil. Dénoncer le travail des mineurs, par exemple, pouvait défrayer la chronique et engendrer des préjugés discriminants, de sorte que tous les Italiens pouvaient passer pour des profiteurs sans scrupule, des délinquants, prêts à prostituer leur femme et à envoyer leurs enfants travailler dans la rue. C’était une vision partielle et péjorative des choses, qui tendait à la généralisation et que vint renforcer une certaine littérature (le roman L’invasion écrit par Louis Bertrand en 1907 en est une illustration) [[« Dans le roman L’invasion publié en 1907, l’auteur Louis Bertrand accumule les clichés xénophobes et racistes sur les immigrés italiens à Marseille, qui constituaient alors un cinquième de la population de la ville. Le roman exprime non seulement la peur de l’“invasion” du territoire français par des étrangers, mais reflète aussi la progression d’idées que Bertrand – ultranationaliste et antidémocrate, considérait comme dangereuses pour le bon peuple travailleur et respectueux. » (Isabelle Felici – Université Paul Valéry, Montpellier 3).]]
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Les Italiens arrivés en France, entre la fin du XIXe siècle et les premières décennies du XXe, afin d’accélérer le processus de leur intégration sociale, apprirent le français, renoncèrent à enseigner le dialecte, la langue de leurs origines, à leurs enfants et adoptèrent très souvent des noms et prénoms français.
Résultat ? Le professeur Antonio Bechelloni de l’université Charles de Gaulle de Lille 3, dans une interview sur Fréquence Paris Plurielle (au cours de l’émission radiophonique Envie d’Italie du 4 février 2013*) a déclaré que quatre millions de Français ont au moins deux grands-parents sur quatre d’origine italienne. Le calcul de A. Bechelloni est encore plus surprenant s’il est rapporté au nombre de franco-italiens et naturalisés français qui ont accédé à la célébrité à partir des années 1930.
Grâce à l’afflux massif d’Italiens qui se sont installés durablement en France, les différences entre ces nouveaux citoyens et les natifs se sont atténuées sans pour autant être complètement gommées, car les Italiens continuèrent à cultiver leur richesse identitaire, unique et inimitable. Le fait de réaliser qu’un tel bagage culturel était quelque chose de précieux permit aux immigrés de faire de nécessité vertu, et ce en trouvant de nouvelles clés d’intégration sociale.
C’est ainsi que virent le jour de grands artistes franco-italiens qui se distinguèrent par leurs qualités exceptionnelles dans divers domaines, en particulier celui du cinéma, de la musique ou du sport. Citons-en quelques-uns connus de tous :
Les origines franco-italiennes du célèbre homme politique Léon Gambetta (Cahors, 1838 – Ville-d’Avray, 1882) témoignent que la rencontre entre les deux peuples avait déjà débuté au début du XIXe siècle : en effet, Gambetta est né de père italien (de Gênes) et de mère française.
Si l’on parcourt rapidement l’histoire, le premier Italien naturalisé Français du XXe siècle fut l’acteur et boxeur Angiolino Giuseppe Pasquale Ventura, mieux connu sous le nom de Lino Ventura, né en 1919 à Parme, en Emilie-Romagne et mort à Saint-Cloud en 1987 ; il émigra avec ses parents à Paris en 1927. Toujours dans la catégorie des acteurs, il y a Yves Montand (Ivo Livi), né en 1921 à Monsummano Terme en Toscane et mort à Senlis en 1991, dont les parents socialistes durent fuir les persécutions fascistes en se rendant à Marseille. Et il faut bien sûr citer le grand comique français Coluche (nom de baptême : Michel Colucci) né à Paris en 1944, de père italien originaire de Frosinone dans le Latium.
Ensuite, il y a de nombreux chanteurs et compositeurs-interprètes. Citons-en quelques-uns par ordre chronologique de naissance : Rina Ketty (Cesarina Picchetto), née en 1911 à Sarzana en Ligurie et morte à Cannes en 1996 ; elle est arrivée à Paris dans les années 30 pour rendre visite à ses tantes qui avaient émigré en France depuis longtemps. Attirée par les mondanités parisiennes, elle décida d’y rester. Encore plus célèbre qu’elle et mondialement reconnue comme étant l’une des plus grandes chanteuses françaises, il y a Edith Piaf (Edith Giovanna Gassion), née en 1915 à Paris et morte en 1963 à Grasse, de père français et de mère italienne (chanteuse elle aussi, connue sous le pseudonyme de Line Marsa, Annetta Giovanna Maillard est née en 1895 à Livourne et morte en 1945 à Paris). Léo Ferré, chanteur, poète et écrivain, est né de père français et de mère italienne dans la principauté de Monaco en 1916 et mort en 1993 à Castellina in Chianti, en Toscane ; il n’est revenu vivre en Italie qu’en 1969 où son épouse et ses enfants le rejoignirent. Serge Reggiani (Sergio Reggiani) est né à Reggio Emilia en 1922 et mort à Paris en 2004 ; il est arrivé en France en 1930 pour les mêmes raisons que Montand (ses parents avaient fui le fascisme). Pendant toute sa carrière, il a chanté aussi bien en français qu’en italien, sans jamais cacher son fort attachement à sa patrie d’origine. Claude Nougaro, chanteur lui aussi, est né à Toulouse en 1929 de père français et de mère italienne, professeure de piano (Liette Tellini).
Si l’on remonte à la moitié du XXe siècle, on retrouve Iolanda Cristina Gigliotti, mieux connue sous le nom de Dalida, née en 1933 au Caire de parents calabrais originaires de Serrastretta (son père était premier violon à l’Opéra de la capitale égyptienne). Nino Ferrer (Agostino Arturo Maria Ferrari) est né à Gênes en 1934 de père italien et de mère française. On terminera la liste (même si elle n’est bien entendu pas exaustive) avec un chanteur-compositeur, encore vivant, Christophe (Daniel Bevilacqua, né en 1945), fils d’un entrepreneur italien immigré en France.
Passant à la catégorie des “intellectuels”, on se replonge dans le XXe siècle avec l’écrivain, journaliste, essayiste et critique littéraire français Emile Zola (Paris, 1840 – Paris, 1902), de mère française et de père italien (Francesco Zolla, naturalisé Français sous le nom de François Zola, d’origine vénitienne et officier de la Légion étrangère française).
Auteur du fameux livre Les Ritals, il y a aussi François Cavana (Paris, 1923 – Créteil, 2014), écrivain, journaliste et dessinateur humoristique ; son père était originaire de Bettola, en Emilie-Romagne. Un autre chercheur et historien français spécialiste du phénomène migratoire italien en France, c’est Pierre Milza (Paris, 1932) qui, comme Cavana, est né de père italien et de mère française ; il est l’auteur du livre intitulé Voyage en Ritalie (roman historique e autobiographique où il raconte son voyage en Italie à la découverte de ses origines padanes).
Nous terminerons par le sport : tout le monde se souvient du joueur de football français de renommée internationale Roger Piantoni, né en 1931 à Etain dans la Meuse, fils d’immigrés italiens. Il a grandi dans la ville minière de La Mourière et cela n’a rien d’étonnant car de nombreux Italiens y trouvèrent du travail comme mineurs. Vient ensuite le dirigeant sportif, entraîneur, ex joueur de foot et président de l’UEFA de 2007 à 2016 : Michel Platini (Joeuf, 1955) né dans une famille italienne originaire du Piémont émigrée en France ; son grand-père maçon est devenu restaurateur, son père était en revanche professeur de mathématiques, joueur et entraîneur de foot. Enfin, le plus jeune de tous, le chroniqueur et ancien pilote automobile Jean Alesi (Giovanni Roberto Alesi) est né à Avignon en 1964 de parents siciliens émigrés en France.
A cette liste, il faut ajouter d’autres Italiens naturalisés Belges qui eurent également un énorme succès en France, comme Frédéric François, né en 1950 à Lercara Friddi en Sicile : son père était mineur en Belgique dans le bassin houiller de Liège ; sa femme le rejoignit avec ses enfants en 1951, à Tilleur.
Dans le répertoire de Frédéric François, il y a le beau titre Je t’aime à l’italienne (à écouter ICI). Cela dit, le texte le plus représentatif de la question migratoire est sans doute Le Rital de Claude Barzotti , chanteur et compositeur né en Belgique à Chatelineau en 1953 de parents italiens :
Je suis rital et je le reste
Et dans le verbe et dans le geste
Vos saisons sont devenues miennes
Mais ma musique est italienne.
Je suis Rital dans mes colères
Dans mes douceurs et mes prières
J’ai la mémoire de mon espèce
Je suis Rital et je le reste…
Ces personnalités d’origine italienne de l’histoire française du cinéma, de la musique, de la littérature et du sport qui viennent d’être citées sont un très bel exemple d’intégration culturelle réussie parce qu’ils sont le fruit de cette double identité italo-française capable de parfaitement coexister dans l’intime.
Giulia Del Grande
(article traduit de l’italien par Christel Sabathier)
© Altritaliani
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Merveilleux, cet article !
J’ai moi aussi les deux nationalités, et je suis aussi fière de l’une que de l’autre. Oui, les Italiens ont tissé une grande partie de l’Hexagone ! Ils sont la fierté de leur pays d’origine et de leur pays d’accueil.
Mon père était arrivé en France entre les deux guerres, à une époque où l’émigration était bien surveillée et où les immigrés savaient s’adapter aux us et coutumes de leur nouveau pays, et ce, dans le plus grand respect. Il ne s’était pas fait naturaliser français. Et je le comprends. Car, à moins que ce ne soit pour de sérieuses raisons, renoncer à sa nationalité doit tout de même coûter. Ce n’est pas simplement renoncer à une paperasse, mais à son identité, à tout ce qui a façonné la personnalité.
Ayant conservé la nationalité italienne, mon père n’avait pas le droit de vote en France, mais ne s’en est jamais plaint. Jamais il ne lui serait passé par le tête d’y voir une injustice. Pour lui, aucun signe de discrimination, aucun désir de revendication, ni même aucune entrave sur son chemin professionnel, parvenant à créer une entreprise qui le mettait en contact direct avec toutes les classes sociales y compris les personnalités de la ville.
Par ailleurs, ayant quitté son pays sous Mussolini – bien avant la naissance de la République italienne en 1946 – alors que le système électoral n’existait pas encore, papa n’avait même pas voté en Italie. Ce qui lui faisait dire avec humour qu’il n’avait jamais voté de sa vie !
Blague à part, on aurait pu le qualifier d’hybride italo-français qui ne participait pas à la vie civique du pays. Je ne pense pas aller trop loin en affirmant que mon père, malgré quelques insultes inévitables, était parvenu à se faire une âme française. Il avait à cœur la politique de la Nation et était un grand admirateur du Général de Gaulle.
Il est indéniable qu’une si longue présence dans l’Hexagone – de vingt et un ans à soixante et onze ans – y fondant famille et entreprise, y établissant de multiples relations au cœur de mille et une vicissitudes, l’avait modelé au plus profond de son être. Il devait aimer la France.
Avoir deux patries veut aussi dire n’en avoir aucune pleinement, mais c’est une richesse dont personne ne peut nous dérober.
Les Italiens sont les cousins joyeux des Français !