Naples. Le Maestro Roberto De Simone est mort et sa légende est née.

Le monde de la culture napolitain, et italien, a subi une perte irrémédiable, car personne n’est – et ne sera sans doute jamais – à la hauteur de Roberto De Simone. Musicien, compositeur, musicologue, dramaturge, metteur en scène, ethnologue et écrivain, il volait si haut dans tout ce qu’il entreprenait qu’il était impossible de le rattraper. Il était unique dans le firmament culturel, unique comme le soleil.

Son inspiration il la tirait de l’humus incroyablement fertile des traditions populaires antiques de sa ville natale et de sa région, la Campanie, qui sont en elles-mêmes un monde d’une richesse incomparable, un trésor d’Ali Baba accumulé au fil de presque trois millénaires, resté caché jusqu’à ce qu’un génie ne découvre la formule magique pour le décrypter à force de fouilles incessantes dans des archives éparpillées aux quatre vents, à Naples, en Italie, en Europe. Mais aussi dans les campagnes, micro et carnet à la main pour noter les contes et les chants jamais écrits, jamais enregistrés.

Ensuite, il pétrissait, amalgamait, fusionnait ses trouvailles à l’aide de son inépuisable créativité pour l’instiller dans de mémorables et inégalables pièces musicales, concertos, opéras, mises en scènes, livres… Mais il ne restait surtout pas figé dans le passé, loin de là, il était au contraire très moderne et il osait tout mélanger d’un coup de baguette magique : le jazz, la musique latino-américaine, la chanson contemporaine… le tout savamment saupoudré de notes et paroles antiques. En somme, il rendait présent le passé.

De Simone a laissé un héritage colossal de créations, de manuscrits, essais, romans, et même d’objets d’art populaire, car c’était toujours la culture du bas qu’il aimait anoblir.

Roberto De Simone au Théâtre San Carlo de Naples

Et pourtant, NON, le Maestro n’est jamais devenu une « célébrité », même s’il était appelé dans les grands théâtres d’un peu partout dans le monde, même s’il était adoré par Muti, Fellini, Pasolini (pour n’en citer que quelques-uns). Car il refusait d’un revers de la main les offres mercantiles et la quincaillerie honorifique qu’il jugeait bonne pour la poubelle. Quant aux marionnettistes institutionnels toujours en quête de courbettes et baise-pieds, ils abhorraient son franc-parler, et les quarante-quatre vérités qu’il balançait dans la presse citadine et nationale. Alors il était puni et marginalisé, se voyant même refuser un théâtre, un musée qu’il voulait remplir de sa merveilleuse collection d’art populaire. Oui, le Maestro était on ne peut plus entier et intransigeant avec les élus et les chargés de ceci ou cela, méprisant avec les faux intellectuels, les aristocrates prétentieux, les snobinards à la lippe dédaigneuse face à sa bouche édentée (il avait une phobie incurable des dentistes).

Mais oh combien aimable et humble avec ses acteurs et ses musiciens ! Et quelle courtoisie et gentillesse avec ceux qu’il jugeait sincères ! Avec moi par exemple, qui ai eu l’immense bonheur d’être reçue chez lui à plusieurs reprises, (je lui avais été présentée par un ami commun). J’en rêvais depuis tellement longtemps ! Quel enchantement de l’écouter raconter des faits divers d’il y a quatre cents ans ! Tout content de déguster les bonbons de Milly-la Forêt que je lui apportais, le sachant gourmand.

J’étais tombée littéralement amoureuse de lui lorsque, dans les années ’70, j’avais vu et revu trois fois son succès planétaire « La Gatta Cenerentola ». Depuis lors, j’ai vu et lu presque tout ce qu’il a créé et qui était à ma portée (moi qui n’ai jamais eu d’idoles même adolescente !). Son livre « Le signe de Virgile » sorti en seulement 100 exemplaires dans les années ’80, est mon grimoire à moi, de mon magicien à moi. Et que dire de tous les chants antiques revisités et arrangés grâce à son génie -, qu’il faisait chanter à un groupe de jeunes, « La Nuova Compagnia di Canto Popolare » ? Un merveilleux voyage en musique dans l’imaginaire campanien.

Mais NON, il n’est pas connu à l’étranger et pas beaucoup plus en Italie, car il n’est pas facile de trouver ses livres ou les vidéos de ses créations. La raison en est simple : le Maestro refusait de représenter des répliques de ses succès théâtraux, de céder les droits pour en faire des vidéos, de consentir à rééditer ses ouvrages épuisés (généralement très vite). Il a même dissous au bout de quelques années seulement « La Nuova Compagnia di Canto Popolare ». Malgré le succès immédiat et fulgurant de ce groupe engagé pour des tournées dans le monde entier, il a été inébranlable face aux prières de ses collaborateurs et de ses nombreux admirateurs : à la longue, disait-il, toute chose, même la plus belle, se corrompt, finit par être galvaudée. En revanche, il acceptait que des chanteurs, amateurs ou non, interprètent ses créations et ne réagissait aucunement si l’on diffusait des vidéos de ses œuvres ou des extraits de ses livres. Il avait produit de la culture pour tous et non pour amonceler des billets de banque.

C’était tout cela Roberto De Simone que les Napolitains, les vrais, même les plus humbles, avec tous les vrais passionnés de culture, de musique, pleurent à chaudes larmes aujourd’hui, même s’il avait 91 ans et que l’on savait qu’il devait partir. Il est mort le Maestro, mais il vivra toujours en nous tous qui l’avons aimé comme on peut aimer un chantre qui a dévoilé les perles que recelait notre passé, en rajoutant une médaille d’or à l’histoire du Sud.

Maria Franchini


QUELQUES LIENS pour mieux connaître Roberto De Simone et une partie infime de sa production:

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Maria Franchini
Maria Franchini aime se définir une femme du Sud. Née à Naples, elle y a vécu jusqu’à son arrivée en France (pour suivre son mari), où elle habite physiquement, car son cœur est toujours agrippé aux pieds du Vésuve bercé par le chant de la sirène, mère de Neapolis. Amoureuse inconditionnelle de sa terre natale et des chevaux, elle leur consacre ses pensées et ses écrits. Sans rapport apparent, le cheval incarne à la perfection l’âme napolitaine, si facile à dominer mais impossible à dompter, si amicale avec les bienveillants et si redoutable avec les malveillants. Naples et le cheval, victimes de leur beauté, attirent toutes les convoitises, mais ils résistent à toutes les blessures en restant libres même en esclavage. Naples et le cheval ont inspiré (et inspirent) les poètes et les artistes par milliers sans qu’aucun d’entre eux n’ait jamais pu en percer le secret. Nul être au monde n’aurait pu mieux que le cheval indompté être brodé sur le blason de cette ville/monde. Parmi ses publications: "Dictionnaire insolite de Naples (Ed Cosmopole, 2015), "Naples, insolite et secrète" (Ed Jonglez).

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