André Maurel. Un voyageur français en Calabre, dans un livre d’A.-C. Faitrop-Porta

L’Italie a toujours intéressé et même fasciné nombre d’écrivains et voyageurs, mais qui connaît aujourd’hui André Maurel (1863-1943)? Un nouvel ouvrage d’Anne-Christine Faitrop-Porta, Professeur honoraire des Universités, spécialiste de l’œuvre de Corrado Alvaro, permet de redécouvrir cet homme de lettres, essayiste et journaliste parisien, injustement oublié dans l’Hexagone.

Le livre est intitulé André Maurel. Un viaggiatore francese in Calabria. Sorti avant l’été chez Lyriks, jeune maison d’édition indépendante calabraise, en version bilingue italien-français, il est d’un petit format raffiné, sa présentation est élégante et originale.

Wagnérien et dreyfusard, André Maurel fut en relation avec des écrivains et artistes de son époque comme Marcel Proust, Gabriele D’Annunzio, Stéphane Mallarmé, André Gide et Maurice Denis, dont les lettres et témoignages figurent dans le volume. Enrichissent également l’ouvrage une galerie de photographies et de portraits retrouvés au cours de ses recherches par l’autrice du volume.

Mais Maurel est aussi un voyageur littéraire et, parmi sa riche production, a publié 18 livres (!) sur l’Italie de 1906 à 1929 (cf. la base de données de la BNF).

voyageur français en CalabrePassionnée par les contacts culturels entre la France et l’Italie fin du 19e, début 20e, et par l’influence que l’Italie a exercée durant cette période sur des écrivains voyageurs comme Ernest Renan, Emile Zola, René Bazin, Anne-Christine Faitrop-Porta s’est attelée à la lecture attentive des 18 livres sur l’Italie d’André Maurel, puis les liens forts qu’elle entretient avec la Calabre l’ont amenée à se concentrer et approfondir le voyage qu’y a effectué l’écrivain au début du 20e.

 

Précédé d’une introduction générale érudite et bien menée sur cet admirateur de l’Italie, son livre Un viaggiatore francese in Calabria réunit ainsi les deux premiers chapitres du tome IV des Petites villes d’Italie, Calabre-Sicile d’André Maurel (Hachette, 1911), deux textes qu’elle a traduits en italien, commentés et annotés. Ils portent le titre de : Avec les chèvres (In compagnia delle capre) et Les noces de Cana (Le Nozze di Cana).

A lire sa présentation, les itinéraires de Maurel dans la péninsule constituent un ensemble unique. L’Histoire guide ses visites plus que la réalité sociale de chacune des villes qu’il décrit. Dans le domaine de l’art, elle nous le montre hostile au gothique et au baroque  «de Modène à Rome, de Naples à Lecce, dont les églises transformées en “gâteau de noces” aux décorations de “carton-pâte” suscitent la plus fière indignation contre cet art qui représente la pompe et le faste de souverains et de pontifes asservissant leurs peuples», alors qu’il apprécie au plus haut point le Quattrocento.

Lorsque Maurel, venant de Naples, Pompéi, Paestum,  «s’aventure» en Calabre pour gagner la Sicile, il obéit à son projet de décrire chacune des régions italiennes. Étonnamment (et le lecteur est un peu frustré de son manque de curiosité), cet admirateur de la Grande Grèce n’y fait que deux étapes : la première à Cosenza, la seconde à Paola, alors qu’il consacrera les 10 chapitres suivants du même livre à la Sicile.

A Cosenza, dans le chapitre Avec les chèvres, il enfreint sa méthode d’évocation historique, n’évoquant que  brièvement la ville et son passé, mais relève, sans indulgence aucune, ses miasmes et sa puanteur. En revanche, en une superbe page, il évoque l’allure altière des femmes et s’extasie de la beauté et de la richesse de leurs costumes colorés, soulignant le contraste entre les soies, damas et brocarts de leurs robes et la pauvreté de celles qui, pieds nus, les portent avec dignité. De Cosenza qu’il juge «trop peu hospitalière» et où il finit par se réfugier auprès des chèvres qui «lui paraissaient embaumées», ce bourgeois français s’évade («l’automobile», écrit-il, «est une bien belle invention») sans avoir réussi à retrouver la trace d’un homme qu’il admire davantage que Murat : Paul-Louis Courier, consacrant une longue digression au personnage et ses expéditions militaires en Calabre au début du 19e.

L’étape de Paola, où Maurel est accueilli avec un sens de l’hospitalité propre à la Calabre, est décrite dans le chapitre Les noces de Cana. La nuit qu’il passera au monastère fondé par François de Paule, sera pour lui une révélation puissante. Admirateur de l’harmonie créée par la pensée grecque, en quête d’une religion dépouillée et attentive aux humbles, il y redécouvre l’insouciance enfantine, la capacité de s’abandonner, la fraternité qui sauve les hommes de la solitude. Si touché et reconnaissant de cette expérience qui a ravivé sa jeunesse, alors que ses pas déjà le portent en Sicile, il terminera le récit par ces mots :  «La Calabre restera l’un des plus chers et purs souvenirs de mes vagabondages.»

André Maurel. Un viaggiatore francese in Calabria est la redécouverte d’un « cœur italien » tombé dans l’oubli. Espérons que ce joli petit livre, les efforts de son autrice et de son courageux éditeur susciteront la curiosité des lecteurs tant français qu’italiens, et suggérons-leur de poursuivre l’aventure. Un second tome consacré au voyage de Maurel en Sicile serait très bienvenu !

Evolena

Sur le livre :
Site des éditions Lyrics (p. 174, format 15×15, prix pour l’Italie € 15.00)
https://lyriks.it/edizione/andre-maurel/

Sur l’autrice :
Anne-Christine Faitrop-Porta, professeur honoraire des Universités, commandeur des Palmes académiques, a reçu divers prix littéraires, publié 19 livres et de nombreux articles sur les contacts culturels entre la France et l’Italie fin du 19e, début 20e, et sur l’influence que l’Italie a exercée sur des écrivains voyageurs comme Ernest Renan, Emile Zola et René Bazin. En découvrant la première traduction en Italie de Marcel Proust par le romancier calabrais Corrado Alvaro (1895-1956), dont elle connaissait déjà bien la région de naissance, elle s’est attachée à son œuvre et a consacré huit de ses livres à ses voyages en France, Allemagne, Turquie et Russie, ainsi qu’à ses vers et ses nouvelles sur la première guerre mondiale. À René Bazin et ses voyages en Italie, à la fin du 19e siècle, elle a consacré deux livres, des conférences ou communications.

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Evolena
Michèle Gesbert est née à Genève. Après des études de langues et secrétariat de direction elle s'installe à Paris dans les années '70 et travaille à l'Ambassade de Suisse (culture, presse et communication). Suit une expérience associative auprès d'enfants en difficulté de langage et parole. Plus tard elle attrape le virus de l'Italie, sa langue et sa/ses culture(s). Contrairement au covid c'est un virus bienfaisant qu'elle souhaite partager et transmettre. Membre-fondatrice et présidente d'Altritaliani depuis 2009. Coordinatrice et animatrice du site.

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