Ils sont fous, ces Italiens! Macronix contre Dimayox, de Stefano Benni.

Nous sommes en Armorique, en 50 av. J.-C. Un village gaulois au bord d’une rivière. Les poubelles de tri sélectif et les chevaux garés en double file témoignent d’une démocratie millénaire.

Un petit homme coiffé d’un drôle de chapeau fume des Paléogitanes. De l’autre bout du village arrive à grands pas un géant torse nu, portant d’énormes braies en tissu fastueux, rose fuchsia.
—Merde, s’exclame-t-il, très énervé, ils sont fous, ces Italiens! Je vais leur donner une bonne leçon.
—Du calme, du calme, répond Astérix. Mais qu’est-ce que tu as fait de tes pantalons à rayures bleues et blanches ?
—Désormais je préfère ceux-ci, c’est un modèle de chez Gucci, dit Obélix en caressant une de ses tresse avec affectation. Tu sais, nous, les Français, on a acheté toutes les marques de luxe italiennes : Gucci, Bulgari, Fendi, etc…
—Je t’aimais mieux avant. Mais pourquoi es-tu tellement en colère ?
—Les Italiens n’arrêtent pas de s’en prendre à nous. Sans parler des Romains de César. D’où ils sortent, ceux-là ?
—Je ne les connais pas très bien, dit Astérix. Je sais qu’un de leurs chefs s’appelle Dimayox, il change d’avis toutes les dix minutes et cause sans arrêt. Il m’a demandé pardon pour son mauvais français, puis il est passé à l’italien et c’était encore pire. Je n’ai rien compris.
—Et ensuite ?
—Ensuite, il y a le Président du Conseil qui s’appelle Contepourdubeurix ; enfant, il est tombé dans la marmite de l’oubli et donc, quand il parle, personne ne l’écoute.
—Et le type moustachu ?
—C’est Salvinix, le ministre de l’Internet, il est extrêmement susceptible et n’admet pas les critiques, il est connecté en permanence pour répondre à ceux qui ne sont pas de son avis. Il adore se déguiser en centurion, en Viking ou en CRS, et surtout, il ne supporte pas les migrants.
—Si ce n’est que ça, nous non plus.
—Oui, mais nous, on est plus malins : les Italiens les arrêtent en pleine mer, nous dans la neige, comme ça personne ne le sait.
—Mais grâce aux migrants, on a remporté les championnats du monde de ballon rond…
—Alors que les Italiens ont été éliminés, et ça leur est resté en travers du gosier.
—Et qu’est-ce qu’il y a encore ?
—Il y a encore Berluscodonosor !
—Celui qui est venu avec la délégation égyptienne des embaumeurs ? Ce n’est pas possible…
—C’est possible, il est en grande forme et attend la prochaine occasion.
—Et la gauche italique ?
—La gauche prépare la reconquête et présentera bientôt une liste fortement unitaire.
—Bientôt… ça veut dire quand ?
—Disons, dans deuxmillesoixantequinze ans.
—Et ils ont quelqu’un de comparable à notre Marinelepénix ?
—Non, le gouvernement est presque à 100% masculin. Mais assez de questions, je te dis qu’on ne doit pas détester les Italiens. On est toujours en compétition mais nos cultures se sont souvent rencontrées et estimées.
—Non, je veux leur foutre une rouste, rugit Obélix, j’irai à cheval jusqu’à Lyon et je franchirai le trou dans la montagne jusqu’à Taurinum…
—Tu ne peux pas… de leur côté, c’est fermé, tu t’écrabouillerais contre le rocher.
—Et ça ouvrira quand ?
—Même le druide Panoramix ne le sait pas…

Ils restèrent silencieux. Le soir tombait, dans le village, une délicieuse odeur de soupe se répandait. Quelques Normands buvaient du calva. Au loin, on entendait fredonner Les feuilles mortes.
—Eux, ils n’ont personne de comparable à Yves Montand, ricana Obélix.
—Il s’appelait Ivo Livi et c’était un immigré italien, comme les parents d’un de tes créateurs, Albert Uderzo. Allons, Obélix, calme-toi. Nos deux pays ont les mêmes problèmes. Nous, on a les gilets jaunes et le franc CFA, eux, une économie flageolante. Eux, ils ont la mafia, nous on en parle un peu moins mais on l’a aussi. Les grandes banques et les agences de notation nous surveillent de la même façon.
—Mais par mille sangliers, je…
—Assez de jérémiades… et puis, on est deux des plus beaux pays du monde. Nous, on a Paris et Marseille, eux, Rome et Venise. Eux, la mer de Sardaigne, nous, la Camargue. Nous, Orsay, eux, les Offices. Nous, Monet, eux, Piero della Francesca.
—Nous, la Joconde.
—Non, celle-là, on la leur a piquée.
—D’accord. Alors, nous, on a le champagne, le roquefort, la madeleine.
—Eux le barolo et le gorgonzola, et le Nutella.
—C’est vrai, nous avons plein de choses merveilleuses, dit Obélix avec un soupir. Les châteaux de la Loire, le Tour de France, la youtubeuse Marion Seclin…
—Justement. Cher Obélix, nos pays, qui sont limitrophes, ont une multitude de problèmes à résoudre. Au lieu de ça, nous sommes toujours en campagne électorale, et tous les prétextes sont bons pour nous faire des vacheries et nous débiner mutuellement. Et on se balance à la figure des tonnes de clichés. Même une démocratie millénaire finit par vieillir. Regarde Macronix : quand il a gagné, il ressemblait à un jeune Jedi ; à présent, il ressemble à Yoda.
—D’accord, je renonce à la vengeance, mon ami… Il faut toujours être en bons termes avec les Italiens…
—Pas toujours, on se disputera et on se moquera encore les uns des autres, mais il faut respecter leur grande Histoire et la nôtre. Regarde : nous, par exemple, en 1789… Mais arrêtons d’imaginer le futur, va manger ton sanglierburger. Et change de pantalons, ceux-ci ne te vont pas du tout.
—Je peux mettre un short en cuir de chez Fendi ?
—Non, remets tes vieilles braies. Et enlève à Idéfix ce petit manteau en lamé.
—Entendu, marmonna Obélix. Bon, j’y vais, j’ai des trucs à faire…
—Où vas-tu ?
—En ce moment économique difficile, je vais stimuler les échanges commerciaux entre les pays européens.
—C’est-à-dire ?
—Je cherche un légionnaire romain et je le cogne jusqu’à ce qu’il me donne tout son fric.
—Tu es incorrigible, soupira Astérix.

Et il regarda Obélix s’éloigner dans la lumière du crépuscule des Gaules, beaucoup plus beau, d’après les Français, que son homologue italien.

© Stefano Benni

VERSIONE ORIGINALE IN ITALIANO

(publié avec l’aimable autorisation de l’auteur, traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli)
Cet article a été mystérieusement déprogrammé par le journal Libération.

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Stefano Benni
Stefano Benni vit à Rome. Auteur de romans, de nouvelles, de poèmes et de pièces de théâtre, il est également acteur depuis quelques années. 'Chers monstres', 'De toutes les richesses', ''Achille au pied léger' et 'La Compagnie des Célestins' ont été publiés aux éditions Actes Sud et traduits par Marguerite Pozzoli. 'Blues en seize' a été publié aux éditions Phi et traduit par Jean Portante. Son dernier roman 'Prendiluna' est publié chez Feltrinelli.

3 Commentaires

  1. L’amico Benni, conosciuto al tavolo di un Caffè a Trastevere almeno 10 anni fa, merita un ‘cavalierato’ in Italia e, contemporaneamente una ‘mention d’honneur’ in Francia per la sua strabiliante leggerezza d’esprit e la sua ironia travolgente. Grazie, splendido Stefano.

  2. Bonjour, merci de votre message.
    C’est un texte inédit. Altritaliani a été ravi de le publier car le regard décalé de Stefano Benni est « drôlissime ». Pour l’instant, nous a dit sa traductrice, il n’est pas encore publié en Italie mais il est probable qu’il le soit prochainement dans un grand journal de la Botte. Stefano Benni tenait à ce qu’il puisse être aussi lu par des Français ou Italiens de France.

  3. Bonjour,

    je trouve le texte de Benni très interessant pour travailler sur la crise franco italienne actuelle avec mes auditeurs adultes. Savez vous ou je puisse me le procurer ?
    Association culturelle Franco italienne en Drôme Ardèche
    le président
    Alexandre Covelli

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