Bien plus qu’un jardin potager, “l’Orto Giardino del Redentore” est un jardin “vivant”, une oasis de beauté et de méditation. Cet éden, qui s’étend du canal de la Giudecca à la lagune, vient d’ouvrir au public. Marguerite Pozzoli nous invite à le découvrir et à nous y promener avec elle.
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Chaque fois que je vais à Venise, ma nièce Gabriella et son mari Ermanno, qui connaissent la ville sur le bout des doigts, me font découvrir des lieux inattendus ou méconnus. Ainsi, en ce mois de novembre, Gabriella m’a offert une promenade nocturne inoubliable à la découverte de deux jardins dans le sestiere de Cannareggio : le «Parco Groggia», qui donne sur la lagune et où, en été, ont lieu des concerts très populaires auprès de la jeunesse vénitienne, et le «Parco Savorgnan», où elle avait l’habitude d’organiser des pique-nique pour ses filles quand elles étaient petites. Elle m’a aussi conseillé d’aller voir l’«Hortus Redemptoris», qui venait d’ouvrir à la Giudecca depuis un peu plus d’une semaine. C’est sans doute le plus beau souvenir que je garderai de ce séjour.
J’y suis allée en fin de matinée, par un temps incroyablement beau, un ciel bleu et pur qui a rendu cette promenade encore plus paradisiaque.
Derrière l’église du Rédempteur s’étend un hectare de jardin monacal, auquel on accède en passant par une cour toute simple, une pelouse plantée d’oliviers : une façon de s’éloigner de la ville et de ses touristes, un lieu austère qui, déjà, vous incite au silence et au recueillement. La lumière filtre délicatement entre les feuilles, on avance à pas feutrés. On entre ensuite dans le jardin lui-même, et me voilà entourée d’oliviers chargés de fruits, face à une série d’allées rectilignes, certaines surmontées d’une longue pergola en bois de châtaignier sur laquelle grimpent de la vigne et des plantes à fleurs roses qui ressemblent à des bignones.
De part et d’autre, des rectangles plantés d’herbes aromatiques, de salades que des jardiniers sont en train d’arroser, de fleurs comme les œillets d’Inde et les capucines. Au centre, un bassin rectangulaire ornés de papyrus et entouré de pensées. Je m’assieds sur un banc (j’apprendrai ensuite que l’on peut adopter un banc ou un arbre pour la modique somme minimale de 3000 euros). Et j’offre mon visage au soleil, toute à mon bonheur. Un petit grenadier chargé de fruits se prélasse lui aussi, veillé par l’église du Rédempteur.
Au fond de moi, je rends grâce aux moines capucins qui ont eu la générosité d’ouvrir ce jardin, fermé depuis cinq siècles, et réaménagé en trois ans, dans le respect de son esprit de simplicité franciscaine, par le grand architecte Paolo Pejrone. En 2019, Venise avait connu pire que l’acqua alta, l’acqua granda qui avait occasionné des dégâts épouvantables, y compris dans ce potager. Difficile d’imaginer cela aujourd’hui.
Je poursuis ma promenade et, en voyant les tables du petit bar-restaurant dressées, je demande s’il est possible de déjeuner, mais un «événement» est prévu, ce sera pour une autre fois. Dommage, les produits du potager, y compris les courges majestueuses qui s’y prélassent, m’auraient bien tentée…
Au bout du jardin, on se retrouve face à la lagune, paisible, immobile, scintillante ; les grands et monstrueux bateaux de croisière, de nouveau autorisés, paraît-il, ne se montrent pas encore pour défigurer la ville.
Je rentrerai à regret, en lorgnant la serre où j’entrevois, justement, des alignements de courges dodues et prometteuses.
Mon bonheur s’est prolongé dans un petit restaurant sur le quai, non loin de l’arrêt du vaporetto Palanca et, si ma mémoire est bonne, il porte le nom de cet arrêt. Il n’y avait pas de menu «touristique», seuls des gens du cru étaient là, des ouvriers, et cela m’est apparu comme un bon signe. Les pâtes à la tomate fraîche et au thon frais, accompagnées de gros câpres, étaient exquises, et tout aussi exquis, les incontournables biscuits vénitiens en forme de “s” (appelés, justement, esse), trempés dans du vin santo, du vin doux. Le risotto au noir de seiche, ce sera chez Gabriella, le dernier jour…
Marguerite Pozzoli
Née à Venise (et du coup, j’ai payé moitié prix l’entrée au jardin. Cela me donne un sentiment, sans doute ridicule, de fierté. Mais j’assume !).
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