Une enquête de Flavio Foscarini à glisser dans vos valises.
Connaissez-vous l’éditeur-écrivain Robert de Laroche ? Ancien chroniqueur et journaliste, personnification de l’Honnête Homme comme les temps d’avant en produisaient, il vient souvent à Venise qu’il connait comme sa poche et où il a beaucoup d’amis. La plupart sont de vrais vénitiens, tous des gens simples et authentiques dont l’histoire comme le quotidien forment la véritable essence de la ville depuis ses origines. Bernard Delvaille aimait à rappeler combien se trompent ceux qui voient seulement du romantisme et du sentimental dans cette ville unique qu’il considérait comme aussi réaliste que Londres. Trop souvent ceux qui prennent la Sérénissime comme décor de leurs fictions ne gardent d’elle que les fanfreluches inventées d’un XVIIIe siècle de pacotille. C’est dans son expérience vénitienne de quarante ans que Robert de Laroche puise le décor et les personnages de son roman qui parait ces jours-ci. «La Vestale de Venise, une enquête de Flavio Foscarini» se déroule dans une Venise réelle, palpable et vivante où les protagonistes prennent naturellement vie sous nos yeux. Un vrai régal.
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Si Venise est une ville extraordinaire au sens littéral du terme, les rencontres que l’on y fait le sont souvent aussi. Laissez-moi vous donner un exemple. Du vécu. Robert de Laroche et moi, nous nous sommes longtemps croisés, fréquentant les mêmes lieux, sans que jamais le hasard nous fasse nous rencontrer. Et puis c’est arrivé. Une reconnaissance mutuelle, cette impression de nous connaître déjà et de reprendre une conversation interrompue des années ou des siècles auparavant. Et puis cet indéfectible lien qui nous lie tous deux à la Sérénissime et aux mots, à l’atmosphère unique de la ville lagunaire et aux livres. Voilà pour les circonstances qui m’ont fait découvrir “La Vestale de Venise”.
Ecrire un roman noir (en Italie on parle de Giallo pour ce genre de littérature) qui se déroule sur la lagune, cela a déjà était fait. Qui n’a jamais lu les aventures du commissaire Brunetti de l’inénarrable Donna Leon ? Mais, situer l’action en 1740, en plein carnaval, mêlant aux personnages inventés des femmes et des hommes qui ont véritablement existé, cela relève du défi. Aucune erreur, aucune approximation ne saurait être tolérée. Les thuriféraires de la Sérénissime existent et sont aux aguets. On ne peut pas écrire n’importe quoi sur cette ville, encore moins lorsqu’il s’agit de mêler une intrigue à la réalité vraie. Il fallait donc du talent et une grande maîtrise de cette ville-Etat et de son âme pour écrire ce livre passionnant. Deux qualités que l’auteur possède, bien que modestement, car il se défend de bien connaître Venise et son passé…
«La Vestale de Venise» vient à peine de sortir que déjà les libraires demandent un réassort au distributeur. Visiblement l’auteur qui nous régale dès les premières lignes, s’est lui-même régalé à écrire cette première aventure du jeune Flavio Foscarini. L’action se situe sous le règne du doge Pisani, au moment où déjà la Dominante se délitait, se savait gangrénée mais ne voulait pas croire à son agonie rampante. Le monde était en train de changer. Les espions de la République envoyaient de partout des alertes. En plein carnaval, un tueur insaisissable exécute plusieurs membres du gouvernement de la Sérénissime de manière particulièrement spectaculaire et atroce. La police se montre incapable de résoudre l’énigme. Le nobiluomo Flavio Foscarini, brillant jeune patricien curieux de nature, Assin sa belle épouse, et son ami l’écrivain Gasparo Gozzi, vont se lancer à la poursuite du mystérieux meurtrier, tenant le lecteur en haleine tout au long des 282 pages du roman (292 avec le glossaire et les sources).
Tandis que le vieux doge Alvise Pisani, terrorisé, soupçonne un complot étranger contre la cité, Flavio et Gasparo s’interrogent. Une société secrète serait-elle à l’origine de cette vague d’homicides ? L’enquête entraîne les personnages dans les théâtres, les casinos privés, chez les dames de la noblesse et les courtisanes, dans les îles de la lagune, au palais Ducal et dans les bouges d’une Venise crépusculaire, tour à tour séduisante et inquiétante, jusqu’à un dénouement particulièrement diabolique. Un thriller historique qui passionnera les amoureux de la Sérénissime en pleine glorieuse décadence.
Est-ce un roman policier, un polar historique ? Un roman fantastique ? Ce livre est tout cela à la fois et c’est assez rare de nos jours. Robert de Laroche a visiblement beaucoup travaillé pour que rien ne choque ni ne cloche dans sa description de la Venise du carnaval. Au fil des pages, l’impression d’être aux côtés des protagonistes devient de plus en plus naturelle. Quel bonheur que de se retrouver à Venise, en 1740 ! Le rythme enlevé, la finesse des descriptions, la lumière très particulière de Venise, l’atmosphère unique de son carnaval, la pesanteur de son administration figée et déliquescente, le lecteur en est vite imprégné et dès les premières pages, l’envie vient d’en lire davantage.
Une fois commencé, il m’a été impossible de poser le livre. Une longue nuit et quasiment une journée sans rien faire d’autre que suivre l’enquêteur, son jeune ami Gasparo Gozzi et sa splendide jeune épouse sorienne. Comment laisser, pour les activités triviales de notre époque insipide, la flamboyante compagnie de tous les personnages du roman, ceux nés dans l’imaginaire de l’auteur mais aussi ceux qui ont vraiment existé, comme la célèbre pastelliste Rosalba Carriera. On les voit s’animer au fil des pages comme si par un charme secret, emportés à travers les fibres du papier, nous étions réellement dans cette Venise palpitante que Robert de Laroche décrit à merveille. Les lieux, l’atmosphère, les sons, même les odeurs et les parfums, tout devient vrai, palpable. On sursaute, on a peur, on rit, on s’agace avec les personnages. Tout se tient, tout est plausible. N’est-ce pas à cela qu’on reconnait un vrai roman policier ?
Et puis Robert de Laroche, fou de Venise et qui connait bien cette Venise masquée, a poussé le souci de précision jusqu’à se plonger pendant des mois dans des ouvrages documentaires, des récits authentiques, pour mieux décrire ce qu’il maîtrisait un peu moins bien. Cela donne un travail très élaboré, digne de ces historiens qu’il a bien connus et parmi lesquels sa connaissance de Venise ne déparerait pas. C’est érudit sans jamais être ennuyeux, sérieux autant que drôle. Un bonheur, vraiment.
Le hasard m’a fait passer l’autre jour dans des endroits où se situent des scènes du roman. Incroyable sensation, certes liée à la magie de Venise et à son atmosphère unique : partout je m’attendais à croiser nos deux inséparables nobiluomini qui mènent leur enquête, mais aussi les figurants qu’on croise au fil des pages… Un livre rempli de clés qui ouvrent des portes inconnues derrière lesquelles se trouvent la matière de plusieurs autres livres ! Vivement la suite des aventures du brillant Flavio Foscarini, ce XVIIIe flamboyant ne manque pas de sujets possibles à lui mettre sous la dent. Mon petit doigt me dit que l’auteur s’est d’ores et déjà attelé à un second opus…
Lorenzo Cittone
Le livre:
Robert de Laroche
La Vestale de Venise : une enquête de Flavio Foscarini
Editions du 81
Coll. Romans noirs historiques
292 pp. juin 2019 – 19€
ISBN 978 2 915543 54 4 – disponible dans les bonnes librairies, la Fnac, La Libreria et la Tour de Babel à Paris.
Brève biographie de l’auteur:
Né à Paris, Robert de Laroche vit depuis de longues années entre la Normandie et Venise. Longtemps journaliste dans les domaines du spectacle, de la nature et des animaux de compagnie, également producteur et animateur de radio, il a écrit des livres consacrés à ses thèmes de prédilection : les chats (Parole de chat !, Chats de Venise), le music-hall et le cinéma (Paris chante et danse, Arletty paroles retrouvées), et bien sûr Venise, présente dans plusieurs ouvrages, notamment sur les aspects insolites de la cité, le Café Florian, la lagune et l’histoire du carnaval.
Tout en créant et animant depuis 2008 en Normandie une maison d’édition, La Tour Verte, Robert de Laroche est revenu à l’écriture à travers plusieurs recueils de nouvelles fantastiques (Trompe-l’œil, Venise sauvée par ses chats, Manières noires) et un roman (Méphisto vit toujours à Venise). La Vestale de Venise est son premier roman policier
historique. Il est nourri de sa longue connaissance d’une cité qu’il continue à parcourir avec une curiosité intacte, en quête de tout ce qu’elle peut recéler de mystérieux.