La famille Fontanot dans la tourmente de la guerre et la Résistance, une histoire franco-italienne

L’Association France-Frioul, présidée par Patrizia Bisson, en partenariat avec la Maison de l’Italie à la Cité universitaire de Paris, a organisé le 15 mars dernier une rencontre dédiée à la famille Fontanot, des italiens originaires du Frioul, qui se sont engagés avec courage et audace dans la guerre et la Résistance, aussi bien en Italie qu’en France.

Dans cette famille héroïque, notamment trois cousins, militants communistes, émigrés pour fuir le fascisme de Mussolini, sont particulièrement emblématiques de la participation que les enfants de l’immigration italienne en France ont prise dans les combats de la Résistance : Spartaco, Nerone (dit René) et Jacques, partis vivre dans les Hauts-de-Seine, sont morts en héros pour la France pendant la Seconde guerre mondiale.

Nerone et Jacques étaient frères, le premier a été fusillé à 22 ans par les nazis près de Poitiers le 27 septembre 1943, le deuxième massacré par les allemands et les collaborationnistes en juin 1944 à l’âge de 18 ans. Quant à leur cousin Spartaco, soldat volontaire de l’armée française de libération FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée), membre du célèbre groupe « Manouchian » et l’un des dix de l’Affiche rouge, il a été fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien. (cf article Altritaliani ici : Les Manouchian et l’Affiche rouge)

Un grand merci à Patrizia Bisson pour toutes les précieuses informations historiques qu’elle nous a adressées afin de permettre à qui n’a pas pu assister à la conférence de mieux connaître cette période complexe et cette famille de militants d’un courage et d’une générosité hors du commun. Cette rencontre a suscité l’intérêt d’un large public et il nous a semblé important d’en laisser une trace écrite.

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  • Cadre historique:

L’extraordinaire aventure humaine et politique de la famille Fontanot se déroule du début du XXe siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale et couvre la moitié de l’Europe. Ouvriers, socialistes et anarchistes, puis communistes, les Fontanot s’installent à Monfalcone (actuellement province de Gorizia, dans la région autonome du Frioul-Vénétie Julienne) et commencent à travailler dans les chantiers navals alors que la ville fait encore partie de l’Empire austro-hongrois.

Ce n’est qu’à la fin de la Première guerre mondiale que la région entrera dans le royaume d’Italie. Les sacrifices faits par tant d’ouvriers et de paysans dans les tranchées et l’exemple de la révolution soviétique semblaient être le début d’un changement social, rien ne devait être comme avant.
Mais c’est à cette époque que les milices fascistes appuyées par les organes de l’Etat italien, suscitent une vague de violences pour faire plier la classe ouvrière qui demande travail et pouvoir. Des violences qui dans la région n’apportèrent que des morts, des blessés, des destructions de sièges politiques et coopératifs.

L’importance de Monfalcone s’est accrue au début du XXe siècle, grâce à la réalisation d’infrastructures importantes, telles que le chemin de fer Venise-Trieste, le canal de drainage Valentinis, l’implantation de nombreuses industries et le chantier naval qui ouvre ses portes en avril 1908 sous l’impulsion de la famille Cosulich changeant le paysage économique local avec une augmentation significative de la population, qui atteint en 1914 12 500 habitants.

Le 9 juin 1915, la ville de Monfalcone est prise par l’armée royale devenant ainsi une cible pour les Autrichiens. Fin octobre 1917, après la terrible bataille de Caporetto et la retraite italienne vers le Piave, Monfalcone est reprise par les Autrichiens, qui la conservent jusqu’à la fin de la guerre. Ce n’est qu’après l’armistice de 1918 que Monfalcone sera reconquise par les troupes italiennes.

Une des 1ères conséquences de cette guerre sera la limitation des activités des partis socio-démocrates italiens, yougoslaves et slovènes.
L’écho de la révolution d’Octobre 1917 a eu une grande influence sur les masses populaires. Mais avec l’effondrement de l’Empire austro-hongrois, l’Italie veut imposer en Vénétie-Julienne et en Istrie, un nouvel ordre et nationalise les populations non italiennes.

De cette phase transitoire, on passera au fascisme avec l’appui de la bourgeoisie et des autorités civiles et militaires italiennes. Avec sa base irrédentiste, ultra nationaliste, chauvine, Trieste est considérée le berceau du fascisme à égalité avec Milan.
En 1920 et 1921 les exactions fascistes font rage, les ouvriers et la population slovène sont leur objectif.

Sortis très endommagés du conflit, Monfalcone et ses industries sont rapidement reconstruits par les nouvelles autorités italiennes et l’équilibre démographique se rétablit. L’économie locale est à nouveau tirée par l’essor de l’industrie navale, ralentie lors de la crise de 1929. Sur le plan administratif, la ville et ses environs sont inclus dans la nouvelle province de Trieste.
Pendant la période mussolinienne, Monfalcone est à nouveau le bastion d’une importante bataille sociale menée par des fronts antifascistes nés dans l’enceinte du chantier naval.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, et en particulier après l’armistice du 8 septembre 1943, Monfalcone est incluse dans la zone d’opérations de la côte adriatique et occupée par les troupes nazies. Cependant, la lutte de résistance contre les nazis-fascistes s’est également organisée très tôt dans la région et en particulier dans le Karst. À partir du 19 mars 1944, la ville et les installations industrielles sont bombardées à plusieurs reprises et gravement endommagées.

Monfalcone restera sous l’occupation de Tito jusqu’au 12 juin 1945, puis passe aux mains des Alliés jusqu’en septembre 1947, étant donné qu’elle était située à l’est de la ligne Morgan.
La situation s’améliore avec l’entrée en vigueur du traité de Paris en février 1947 et c’est le 15 septembre 1947 que Monfalcone passe sous administration italienne et est incluse dans la province de Gorizia.

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  • Quant à l’histoire de la famille Fontanot, elle est constituée de deux grandes branches:

1) celle de Giuseppe (né en 1840) surnommé le «Barcaiolo» (le Batelier), qui a une petite entreprise de bateaux pour le transport des marchandises marié avec 4 enfants.
Un de ses fils, Antonio Giovanni surnommé “Toni Panetto” et son épouse Regina Marega, s’en va en Autriche, puis en Bulgarie pour rentrer enfin à Monfalcone en 1935.

Trois de ses fils s’impliqueront dans la résistance dès 1942 avec les formations garibaldiennes dans une zone de frontière délicate, où vivent, collaborent et parfois s’affrontent Résistance italienne et yougoslave.
Mais en juillet 1942 presque tous les membres de la famille sont arrêtés par les fascistes, et torturés en prison, physiquement et psychologiquement.

Armido (né à Trieste en 1900, décédé le 24 mai 1944, ouvrier) entre dans la Résistance frioulane dès le 8 septembre 1943 comme chef de bataillon de la brigade Garibaldi Trieste sous le nom de « Spartaco ». Il est tué par traîtrise par des militaires fascistes qui avaient feint de s’unir aux résistants.
Licio (né à Fiume en 1912 et mort à Palmanova le 4 août 1944) entre dans la Résistance avec son frère , sera commandant de la brigade GAP Friuli. Connu sous le nom de guerre de « Bruno », il échappe en juillet 1944 aux fascistes mais un mois après il est capturé en août lors d’une rafle et craignant de ne pas résister aux tortures il se pendra dans la caserne près de Palmanova où il était détenu.
Vinicio est à 23 ans commandant de la Brigade prolétarienne sous le nom de “Petronio”. Il combat jusqu’à la fin de la guerre se distinguant par sa bravoure à de nombreux combats contre les SS Il sera dénoncé après la guerre pour la mort d’un militaire fasciste, fait pour lequel il sera acquitté car reconnu comme action légittime de guerre.
Leur père, Antonio Giovanni qui entre dans la résistance à l’âge de 71 ans, sera arrêté en décembre 1943 et meurt en mars 1944 au camp de concentration de Dachau.

2) La seconde branche est celle de Giacomo, né en 1850 surnommé le «Gobolon», le bossu. Il est le père de 6 enfants, dont deux fils s’installeront en France.

Ses fils Giacomo (1895) et Giuseppe (1896) vont vivre les événements du mouvement ouvrier italien et international entre les deux guerres mondiales. La France est dans ces années-là un carrefour important et un laboratoire de la politique et de la culture européenne, et les Fontanot joueront un rôle important dans le mouvement communiste de langue italienne en France.

Giacomo arrive en 1924 en France, il est le père de Sparta (née en 1920) et de Spartaco (né en 1922).

À l’âge de vingt-deux ans, Spartaco abandonne ses études de mécanicien pour s’engager, comme son père, dans la lutte contre l’envahisseur allemand. Reconnu pour ses qualités d’organisateur et pour son énergie, Spartaco Fontanot est nommé sous-lieutenant des FTP-MOI de la région parisienne en novembre 1942.
Il fait partie du « groupe Manouchian », et participe à plusieurs actions contre les Allemands (attaque d’un dépôt allemand à Nanterre, assaut d’un camion chargé de soldats de la Wehrmacht, attaque contre Von Schaunburg, commandant du « Grand Paris », et de Ritter, chef du STO).
Après une longue traque, la Gestapo parvient à l’arrêter, en novembre 1943, avec plusieurs résistants. Le 17 février 1944, à l’hôtel Continental à Paris, débute le « procès des 23 ». Sa photo sera sur l’Affiche Rouge.
Aux juges qui lui demandent pourquoi lui, qui n’est pas français, se bat pour la France, Spartaco Fontanot répond que la patrie, pour un ouvrier, c’est là où il travaille. Trois jours après la sentence, le 21 février 1944, il est fusillé avec ses camarades au Mont Valérien.

Les 3 Fontanot

Quant aux enfants de Giuseppe (né en 1896), ils connaîtront un destin semblable à celui de leur cousin Spartaco.

Nerone, né à Monfalcone en 1921, a grandi en France, où son père, Giuseppe, avait émigré en 1923 pour échapper aux persécutions des fascistes italiens. René, comme l’appelait la famille, avait quitté l’usine où il travaillait pour ne pas collaborer avec l’occupant nazi. Après avoir mené de nombreuses actions de guerre, Nerone tombe aux mains de l’ennemi en septembre 1943. Enfermé dans une prison et soumis à la torture, il réussit à s’évader en sciant les barreaux de sa cellule. Mais il sera repris et fusillé dans la Vienne avec sept autres partisans français le 27 septembre 1943.

Giacomo dit Jacques, né en 1926 en France, s’implique dans la résistance à l’âge de 16 ans dès septembre 1942. Jeune élève à l’école technique de Puteaux, il commence à préparer et à distribuer des tracts anti-allemands avec ses jeunes camarades. Il est surpris en train d’afficher un tract, est arrêté et interrogé. Il est jugé et, bien qu’acquitté en raison de son jeune âge, il est interné au camp des Tourelles à Paris. En mai 1944, il sera transféré vers le camp de Rouillé dans la Vienne. Au cours de ce transfert, Jacques réussit à voir sa mère, malade à l’hôpital de Poitiers : c’est par elle qu’il apprend que Néron a été fusillé.
Le 10 juin 1944, une action de partisans réussit à libérer une cinquantaine d’internés du camp de Rouillé, dont Jacques qui réussit à envoyer un message à sa mère : « Maman, nous sommes libres, les maquisards nous ont libérés et nous viendrons bientôt te libérer aussi ».
Mais les Allemands avertis par des espions de la police française parviennent à encercler le groupe qui n’avait ni arme ni papier. Seuls une vingtaine d’entre eux parviennent à s’échapper, les autres sont capturés, dont Jacques, alors âgé de 18 ans, et massacrés.

Patrizia Bisson-Felici présidente de France-Frioul
En partenariat avec l’Association pour la Défense des Valeurs de la Résistance et la Société d’Histoire de Nanterre.

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Patrizia Bisson
Patrizia Bisson est née en France de parents émigrés, un père romain et une mère frioulane. Elle a fait des études linguistiques sur le frioulan. Enseignante en primaire et dans le secondaire en italien, elle est présidente de l’association France-Frioul, qui a été créée en 1983.

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