La sénatrice à vie italienne Liliana Segre a été mise sous protection policière après qu’elle a reçu une avalanche de menaces ces dernières semaines.
Liliana Segre naît en septembre 1930 et grandit avec son père à Milan. Dans son autobiographie (n.d.r. témoignage destiné aux enfants et adolescents) Fino a quando brillerà la mia stella » – ed. Piemme (Jusqu’à ce que mon étoile brille, non traduit en français), elle raconte une enfance heureuse, ponctuée par ses va-et-vient sur le tricycle que lui avait offert son père et avec lequel elle parcourt l’appartement de ses grands-parents.
Elle raconte aussi que c’est seulement à l’âge de huit ans qu’elle apprend qu’elle est juive, quand les portes de son école primaire se ferment devant elle. Les lois raciales de Mussolini venaient de passer, et la vie de Liliana Segre ne sera plus jamais la même.
En décembre 1943, alors que l’Allemagne nazie contrôle le nord de l’Italie, Liliana a 13 ans. Elle tente de passer la frontière suisse en compagnie de son père et de sa famille. Mais c’est un échec. Ils se font arrêter, puis incarcérer, et enfin déporter depuis la gare de Milan vers le camp d’Auschwitz-Birkenau, où elle arrive en janvier 1944, après sept jours de voyage.
Pendant un an, Liliana survit au froid, aux sélections à la mort et au travail forcé. Elle ne verra plus jamais son père. Un peu par miracle mais aussi grâce à sa force extraordinaire, elle survit à la marche “dite de la mort” de l’hiver 1944, et réussit à rentrer en Italie en août 1945. Liliana Segre est une des rares survivantes parmi les 9000 déportés italiens, l’une des 25 mineures a y avoir survécu.
Dans La memoria rende liberi (La mémoire rend libre) publié en 2015, elle raconte ce que beaucoup racontent : son mutisme au retour de la guerre, l’incompréhension de son entourage, et la difficulté à dire l’indicible, à trouver des mots.
Quarante-cinq ans plus tard, cette survivante de la Shoah ose prendre la parole qu’elle n’abandonnera plus. Liliana Segre est partout où on veut bien l’entendre pour diffuser des valeurs de tolérance, d’antiracisme, notamment sur la question des roms, cibles privilégiées de l’extrême droite italienne ces dernières années.
En janvier 2018, le président de la République italienne Sergio Mattarella la nomme sénatrice à vie, pour lui rendre hommage, mais aussi pour que sa parole pacifique puisse être entendue au parlement. Seulement voilà, depuis sa nomination comme sénatrice, Liliana Segra reçoit plus de 200 menaces de mort par jour.
Le 30 octobre dernier, elle a proposé au Sénat la création d’une commission pour lutter contre les phénomènes de racisme, d’antisémitisme et d’incitation à la haine et à la violence sur des bases ethniques et religieuses.
Mais alors que sa personnalité et cette commission font consensus dans le monde politique et médiatique italien, 98 députés de droite se sont abstenus, du mouvement Forza Italia de Silvio Berlusconi au parti neo-fasciste Fratelli d’Italia en passant par la désormais très puissante Lega de Matteo Salvini.
Le leader de la Ligue qui a dénoncé de son côté une commission soviétique aux tendances « orwellienne », a rappelé que, lui aussi, recevait des menace. Menaces qui se sont mises à pleuvoir de plus belle sur Liliana Segre, au point que cette semaine la préfecture de Milan a décidé de lui adjoindre une escorte policière à vie…
Il y a quelques années, Liliana Segre a participé à la construction du mémorial de la Shoah sur le quai même de la gare centrale de Milan d’où elle est partie pour Auschwitz. Elle a alors insisté pour que soit érigée une immense plaque avec le mot INDIFFERENZA, “indifférence” en lettres majuscules. La plaque existe aujourd’hui et avertit les visiteurs qui visitent le mémorial.
L’Indifférence, banale et méchante, c’est là que réside, pour Liliana Segre, la source du mal.
Matteo Caranta
Source: Emission radiophonique « A propos d’ailleurs » sur France-Culture, samedi 9 novembre 2019 à 8h30. Publié avec l’aimable accord de l’auteur.