Le cuisinier installé au Saint James à Bouliac, auréolé de deux étoiles, publie son premier ouvrage, “le Saint James en 65 recettes” (Flammarion). Un beau livre, imprégné des saveurs de la Péninsule, illuminé par les images d’Hervé Lefebvre et porté par les textes de Jean-Claude Renard. C’est l’occasion pour le chef de confier à Altritaliani son rapport au Bel Paese. Un rapport passionnel, nourricier.
Ses plats empruntent tantôt au Maghreb, tantôt à l’Asie. Souvent au bassin méditerranéen, courtisant régulièrement l’Italie. Michel Portos associe la terre et la mer, taquine l’acidité, jongle avec les agrumes et les vinaigres, joue sur les matières fondantes, moelleuses, craquantes, suivant un subtil dosage des saveurs. Une addition d’alchimiste. Où le produit se plie à un esthétisme, ici épuré, là foisonnant. Sans esbroufe ni fioritures, dont le modèle pourrait bien être Fulvio Pierangelini, chef de file de la gastronomie italienne. Avec un sens de l’équilibre, des accents ensoleillés, entraînant avec eux des fragrances transalpines. Un ragoût de fèves et d’artichauts, des rillettes de sardines, des cannelloni aux coques et au caviar d’aubergine, une lotte rôtie en risotto, pomelos et poutargue, des ravioles de navet, des beignets «comme là-bas»…
Né à Marseille, exerçant tour à tour à Toulouse, Roanne (chez Pierre Troisgros), à Perpignan et maintenant à Bouliac, près de Bordeaux, récompensé de deux étoiles au guide rouge Michelin, Michel Portos décline une cuisine née des périples, révélatrice d’un parcours.
C’est justement l’objet de cet ouvrage chic, publié en collaboration avec Jean-Claude Renard, riche d’une soixantaine de recettes. Des recettes qui racontent une histoire, livrent un métier, retracent un itinéraire. Celui d’un homme de caractère, d’abord porteur d’eau, commis à l’épluche, aujourd’hui reconnu.
Ouvert sur une préface de Michel Troisgros, ce livre se déploie suivant une maquette vive, à l’image de Michel Portos. Lisible. Sans page surchargée de photographies «timbre poste», mais illustrée d’images superbes signées Hervé Lefebvre pour une cuisine qui régale, conjuguant l’élégance et l’émotion.
Olivier Doubre
“La cuisine italienne est celle dont je suis le plus proche”
Altritaliani : Votre cuisine emprunte beaucoup à l’Asie, mais surtout à celles du bassin méditerranéen, cuisine italienne en tête…
Michel Portos : En effet. Concernant l’Asie, je m’inspire d’abord de la cuisine japonaise. Mais mes sources d’inspiration sont d’abord et surtout méditerranéennes. La raison avant tout est que je suis marseillais et que, durant toute ma jeunesse, j’ai côtoyé beaucoup de nationalités qui m’a permis de goûter, sans sortir de Marseille, à tout ce qui se faisait autour du bassin méditerranéen, de la cuisine grecque à la cuisine israélienne, égyptienne, corse, italienne, espagnole, etc. C’est le grand avantage de Marseille de ce point de vue : des gens de toutes ces origines sont à Marseille, je n’ai donc pas eu à voyager pour découvrir toutes ces cuisines qui m’ont profondément marquées dès mon enfance.
Mais vous insistez sur l’influence italienne dans votre cuisine. Cela se traduit-il par l’emploi de produits particuliers ?
C’est sans aucun doute une des cuisines dont je suis le plus proche et dont je m’inspire en premier lieu. Du point de vue des produits, j’utilise beaucoup la charcuterie italienne qui est vraiment extraordinaire – je pense ici notamment au lard «cremolata». Mais aussi, évidemment, à la tomate, au basilic, aux fromages italiens qui sont fabuleux, sans oublier les pâtes et les gnocchi… Tous ces produits sont extraordinaires, mais je dirais que j’aime la cuisine italienne dans sa globalité, dans sa richesse, dans la façon d’associer tous ces produits de très grande qualité.
Et puis, l’immanquable en Italie, c’est l’huile d’olive…
C’est presque chez moi inné d’utiliser l’huile d’olive, dont je fais, ici à Bordeaux, une consommation phénoménale. Or il se trouve que celle que je préfère, c’est l’huile d’olive italienne. D’ailleurs, ce produit ne m’est pas venu à l’esprit à la question précédente tant l’huile d’olive est ancrée en moi. Maintenant, il m’arrive de faire quelques infidélités à l’Italie quand je trouve des producteurs qui font une huile d’olive dans l’esprit de celles qui sont produites en Italie. Mais je n’aime pas l’huile d’olive espagnole. J’ai aimé un temps celle des Baux-de-Provence mais je la trouve finalement trop douce, trop florale, trop simple en somme : elle ne m’évoque rien. En fait, quand on a goûté aux huiles d’olive italiennes, notamment siciliennes, ou surtout toscanes, on leur reste fidèle. Je me retrouve pleinement dans ces produits-là.
Quel regard portez-vous sur la cuisine contemporaine italienne aujourd’hui ?
Là encore, je dis haut et fort que je préfère de loin la cuisine qui se fait aujourd’hui en Italie à la cuisine espagnole, à laquelle on fait pourtant énormément d’éloges ces dernières années. En Italie, la cuisine a su garder ses racines, conserver la notion de produit. Elle n’est pas tombée dans certains travers de la cuisine moléculaire, même si je n’ai rien contre celle-ci, qui, lorsqu’elle est faite par des gens sérieux, devient un art. Mais j’ai l’impression qu’on se mord la queue en Espagne : vous avez dix cuisiniers (derrière celui qui apparaît comme le gourou, Ferran Adria) qui font un peu la pluie et le beau temps avec cette cuisine moderne, très sophistiquée, très bien faite, il n’y a rien à dire, et à côté on se retrouve quasiment à manger de la paella dans le reste du pays ! La cuisine italienne, elle, reste essentiellement proche des produits tout en faisant montre d’une grande inventivité aujourd’hui.
Vous pensez à des tables en particulier ?
Absolument. J’ai mangé notamment chez Massimo Bottura, à Modène (1)où j’ai reçu une véritable claque ! Ce fut un repas hors norme ! Il a deux étoiles au guide Michelin et c’est tout à fait mérité. C’est la cuisine que j’aime, qui conserve son patrimoine, qui est faite avec son terroir, avec des saveurs affirmées. J’ai également été chez Paolo Lopriore à Sienne (2) avec qui j’ai travaillé à la «Maison Troigros» à Roanne. C’est vraiment un grand chef, qui avait gagné une étoile au guide Michelin et l’a reperdue l’année suivante. Je ne comprends pas qu’un tel artiste, au talent incroyable, n’ait pas trois étoiles au Michelin ! Il ne cuisine que des produits de sa région avec un imaginaire, un toucher très particulier. C’est quelqu’un dont je n’hésite pas à dire qu’il m’épate. Et pas de moléculaire, pas d’azote… C’est une cuisine assez traditionnelle, en tout cas consciente de son histoire mais que ces cuisiniers ont su alléger : on est ainsi passé d’une cuisine «de mammas», à l’origine quand même un peu roborative, à quelque chose de plus délicat, de plus fin, de plus visuel aussi. C’est pourquoi je me retrouve encore une fois mieux dans la cuisine italienne que dans la cuisine espagnole. Et en Italie, j’observe une génération de jeunes chefs qui sortent des sentiers battus, en reprenant la cuisine de leur mère, mais en en faisant une cuisine moderne d’aujourd’hui.
Il y avait aussi, en Italie, Fulvio Pierangelini avec son «Gambero rosso» à San Vincenzo, près de Livourne…
C’est quelqu’un d’extraordinaire. Malheureusement son restaurant est fermé aujourd’hui. Il est venu au Saint-James, à Bouliac. Quelques mois après, j’ai été chez Fulvio, reçu de façon royale. Là encore j’ai mangé une cuisine incroyable, qui n’est pas une cuisine ultra cérébrale, mais vivante : tout ce qui était dans l’assiette avait une saveur vraie, avec une réelle technicité, une justesse absolue au niveau des cuissons. C’est un souvenir fantastique et je suis heureux d’avoir été au «Gambero rosso» avant qu’il ne ferme ! Fulvio reste quelqu’un d’emblématique. Tout comme Gualtiero Marchesi dans un autre registre, qui a été un peu le Bocuse de la cuisine italienne, Fulvio a su susciter des vocations et faire que l’on puisse revisiter la cuisine italienne sans la dénaturer.
Propos recueillis par Olivier Doubre
(1) L’Osteria francescana (Via Stella, 22, Modena), www.osteriafrancescana.it
(2) La Certosa di Maggiano, et son restaurant «Il Canto», dans la campagne siennoise. www.ilcanto.it
Le Saint James en 65 recettes, Michel Portos (texte Jean-Claude Renard, photos Hervé Lefebvre), Flammarion, 192 p., 40 euros
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