Inauguré en 2000, le pavillon des Sessions se situe dans l’enceinte du palais du Louvre. Une date-clé pour l’art en France : l’un des plus grands musée des beaux-arts classiques au monde s’ouvre aux créations issues de cultures non occidentales, après un siècle de débats et de polémiques. Une confrontation qui sous-tend un débat plus large sur la place à donner à « l‘Autre« , car lorsque l’anthropologue Jacques Kerchache affirme que « les chefs d’œuvre naissent libres et égaux », c’est qu’il suppose que les hommes qui les ont réalisés le sont aussi…
C’était le 13 avril 2000. Ils rentraient au Louvre – et par la Porte des Lions – les arts premiers, autrefois désignés «primitifs», «exotiques» ou «lointains», en fait difficiles à qualifier tant le nom qu’on leur donne est fonction du contexte socio-politique et culturel d’une époque et a donc évolué à travers le temps, au gré du regard que nous avons successivement porté sur eux.
Arts premiers, arts des premières civilisations, un terme mélioratif qui vint progressivement remplacer celui d’«arts primitifs», indirectement lié aux sombres temps du colonialisme. Certains préfèrent même désormais parler d’«art primordial», preuve que les mentalités ont su évoluer.
Copyright : © Musée du quai Branly, photo Arnaud Baumann
Un très bel espace de 1200m2, conçu par Jean-Michel Wilmotte, considéré comme le huitième département du Louvre, accueille désormais des objets provenant de tous les continents d’Afrique, d’Asie, des Amériques et d’Océanie; ils sont de toutes les époques (près de 5000 ans séparent la petite sculpture égyptienne prédynastique de style Amarnien du 5ème millénaire av. J.C. de la cuiller-sculpture zoulou datée du début du XXe siècle, l’une et l’autre au Louvre). Il est donc difficile de trouver les liens qui les unissent. Est-ce parce qu’émanant pour la plupart de civilisations orales, ils sont particulièrement chargés en symboles ? Ou parce que, comme le disait le sculpteur Henri Moore, « la qualité la plus frappante des arts primitifs, commune à tous, est leur intense vitalité, …réponse directe et immédiate à la vie » ? Ou enfin parce qu’une œuvre quelle qu’elle soit et d’où qu’elle vienne – fut-elle occidentale – est d’autant plus universellement admirée qu’elle est « habitée » ? Les 105 œuvres aujourd’hui présentées au Louvre sont là pour en témoigner.
Aujourd’hui, à dix ans de l’ouverture du pavillon des Arts premiers au Louvre et à quatre ans de l’ouverture du musée du quai Branly, émanation tout à la fois du musée de l’Homme et du musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, le débat semble clôt. Mais pour mieux le comprendre, il est intéressant de rappeler l’évolution muséale qui a permis d’en arriver là.
Au XVIe siècle déjà, tous les monarques d’Europe étaient « entichés » de ces curiosités exotiques provenant d’Afrique Les cabinets royaux alimenteront les musées ethnologiques quand le désir de comprendre et de connaître aura remplacé la simple curiosité.
Les expéditions de la fin du XIXe siècle en Afrique et en Asie font découvrir des pays et des cultures méconnues qui, d’exotiques, deviennent objets d’étude. Des musées ethnographiques se créent dans toute l’Europe, celui du Trocadéro à Paris en 1878, celui de Tervuren en Belgique en 1896. Ils vont être « alimentés » par les explorateurs, les ethnologues, les collectionneurs. Des milliers de pièces vont être analysées, classées, et plus ou moins bien présentées au public. Ce qui n’empêchera pas Picasso d’être bouleversé par ce qu’il découvre au musée du Trocadéro et avec lui Derain, Vlaminck, Breton : « l’art nègre » est né, qui va inspirer des générations d’artistes. Des artistes et des hommes de pouvoir invitent la population à ouvrir les yeux: la hiérarchisation n’a pas lieu d’être en matière d’art.
Copyright : © Musée du quai Branly, photo Arnaud Baumann
Guillaume Apollinaire fait partie des intellectuels qui s’interrogent parmi les premiers sur cette absence des arts dits «primitifs» dans le paysage culturel français. «Seront-ils admis au Louvre?» Telle est la question que se pose, en 1920, Félix Fénéon, journaliste et critique d’art, dans une enquête du Bulletin de la Vie Artistique.
En 1931, l’Exposition coloniale internationale de Paris fait débat. Pour Raul Rupalley, un tel étalage d’ « art nègre» paraît déplacé. Il reproche à ces contrées lointaines de ne «pas avoir profité des progrès de la civilisation et de l’esprit humain». L’attaque est sévère et loin d’être isolée. Pour des raisons opposées, André Malraux, Louis Aragon et leurs collègues surréalistes boycottent l’Exposition. Par l’intermédiaire d’un tract intitulé «Ne visitez pas l’Exposition Coloniale», ils dénoncent l’éloge ainsi fait à la puissance coloniale française. André Malraux et Claude Lévi-Strauss relancent quant à eux le débat dans les années 70. La tendance est à l’optimisme. «Beaucoup veulent l’art nègre au Louvre où il entrera» (André Malraux).
Une prédiction ? 1990 est l’année de la mini révolution. Un manifeste, initié par Jacques Kerchache, paraît dans la presse «pour que les chefs-d’œuvre du monde entier naissent libres et égaux». Trois cent signataires se réunissent autour du grand amateur d’art pour que le Louvre consacre un département aux arts d’Afrique, d’Océanie, des Amériques et d’Insulinde. Du Louve au quai Branly, le pas est franchi. Les pièces exposées au Louvre auraient pu alors y être transférées, mais un symbole aurait été détruit. Le plus grand musée de la capitale française se devait de posséder une salle dédiée à l’art premier pour être digne de ce nom. Les pièces exceptionnelles sélectionnées par Jacques Kerchache y côtoient les plus grands chefs d’œuvre de l’art occidental : une belle image, un beau message qu’il aurait été regrettable d’altérer.
Une rétrospective, proposée par l’écrivain et journaliste Jean-Pierre Elkabbach, retrace actuellement les étapes de ce long parcours, en rendant hommage aux différentes cultures représentées mais aussi à ceux que ont œuvré pour les amener jusqu’ici : Jacques Kerchache, qui à l’époque en fit le choix, pour leur force esthétique et leur pouvoir d’évocation, et Jacques Chirac, qui en fit un symbole politique et culturel.
Copyright : © musée du quai Branly, photo Antoine Schneck
Au fil des salles, la rétrospective montre l’évolution du regard porté sur la sculpture mondiale. Le visiteur voyage au milieu de sculptures faites de bois, de terres, de tuf balsamique, de fibres végétales, de perles de verres, de fibres de noix de coco ou d’opercules de turbo. Toutes nous rappellent combien ces civilisations sont respectueuses envers la Nature. La symbiose inspire. Objets de culte ou du quotidien, les sculptures nous plongent dans l’univers passionnant de peuples comme celui des Mayas où la beauté s’allie toujours à l’utile. La «zone Afrique» compte 42 sculptures. Une cuillère zoulou suscite la curiosité. Simple couvert, elle prend des allures d’œuvre d’art. Six pièces seulement représentent le continent asiatique. Les «fleurs fragiles de la différence» (Claude Lévi-Strauss) sont rares mais conçoivent des pièces somptueuses. La «salle Océanie» est garnie de 28 sculptures provenant pour la plupart de Mélanésie et de Polynésie. Là encore, les représentations divines sont à l’honneur pour nous rappeler combien la foi fait partie intégrante de leurs us et coutumes. Les Amériques sont pour leur part rassemblées autours de 32 sculptures. Le regard se pose sur des vases en terre cuite, des statues de pierre, du mobilier en stuc, et pas n’importe lequel ! Il s’agit là d’un siège cérémoniel duho, objet sacré du peuple taïno.
Le pavillon des Sessions nous invite à la réflexion. Perçu par ses fondateurs comme un «lieu d’apprentissage et d’exploitation», d’«hommage et de partage», cet endroit (ces endroits…) sous-tend un débat plus large sur la place à donner à « l’Autre ». Car lorsque l’anthropologue Jacques Kerchache affirme que « les chefs d’œuvre naissent libres et égaux », c’est qu’il suppose que les hommes qui les ont réalisés le sont aussi…
Le pavillon des Sessions est aussi un moyen de se souvenir des douleurs passées pour «réparer une injustice». On pense ici au génocide de l’ethnie amérindienne des Taïnos par les Européens venus conquérir leurs terres.
Aujourd’hui, les Indiens d’Amérique du Nord ou les Océaniens demandent à ce que leur soient rendus des objets dont il nous a fallu plus d’un siècle pour comprendre qu’ils étaient aussi des œuvres d’art. Ils désirent les rendre à leur vocation rituelle première quitte à réinventer parfois de toute pièce une cérémonie oubliée depuis longtemps. Les repères se brouillent, les domaines se superposent, la modernité nous rattrape par des voies détournées.
Reste que la querelle des légitimités est d’ores et déjà ouverte autour de ces objets ethnographiques ou des ces œuvres d’art d’Amérique, d’Afrique, d’Océanie ou d’Asie: doivent-ils d’abord témoigner d’une propension universelle de l’homme à la création, ou servir à confronter une identité particulière?
Barbara Musetti
Le 10 ans du Pavillon des Sessions :
Rétrospective du 14 avril au 26 juillet 2010. Le musée du quai Branly célèbre les 10 ans du pavillon des Sessions au musée du Louvre
Musée du Louvre-Porte des Lions, 14 quai François-Mitterrand 75001 Paris, 01 40 20 50 50
A cette occasion, le journaliste et écrivain Jean-Pierre Elkabbach est invité à retracer l’histoire de l’entrée des arts premiers au Louvre, et propose au visiteur de revenir sur l’histoire de cet événement.
Cette rétrospective retrace l’évolution du regard porté sur la sculpture mondiale, l’émergence de la reconnaissance des arts dits « premiers » dont l’ouverture du pavillon des Sessions est l’accomplissement.
Autour de l’exposition
Des journées à thème sont prévues afin de fêter dignement cet anniversaire:
-lundi 10 mai : duo «Parole de Nuit» en commémoration à l’abolition de l’esclavage.
-samedi 23 et dimanche 30 mai : les histoires de pavillon vous sont contées. Une Rencontre autour des œuvres aux côtés de conférenciers du quai Branly fait aussi partie du programme.
Horaires d’ouverture du Pavillon des Sessions :
•Le Pavillon des Sessions du Louvre est ouvert tous les jours de 9h à 17h30 sauf le mardi, le vendredi et les jours fériés suivants : le 1er janvier, le 1er mai et le 25 décembre ;
•Nocturnes jusqu’à 21h45 le mercredi ;
•L’entrée est gratuite le premier dimanche de chaque mois.