La préservation de l’environnement, le développement touristique : telles sont les motivations actuelles.
Vigilants sur la sauvegarde de leur environnement. C’est l’exigence partagée par de nombreux jeunes des Abruzzes aujourd’hui. Un environnement exceptionnel s’il en est mais, comme quasiment partout dans le sud de la péninsule, soumis aux attaques des spéculateurs immobiliers, constructeurs d’autoroutes et autres industriels peu scrupuleux prêts à rejeter leurs déchets toxiques au milieu d’une nature encore immaculée.
Les périphéries de Pescara ou Chieti donnent en effet ce spectacle peu avenant d’usines démantelées, aux structures abandonnées, très certainement pas ou peu dépolluées, de terrains vagues parsemés de vieux bidons et ferrailles en tout genre, avec en fond de perspective les superbes monts enneigés du Gran Sasso ou de la Majella, entourés de collines d’un vert profond de macchia mediterranea ininterrompue sur des kilomètres.
Une cité comme Pescara, créée de toutes pièces en 1927 par la volonté de l’enfant du pays, le grand poète (philo-fasciste au départ) Gabriele D’Annunzio et du Duce, garde les stigmates de la croyance dans le progrès des années 1960 et 1970, avec sa voie rapide lacérant le centre-ville et un littoral largement bétonné.
La conscience écologique de la jeunesse du Mezzogiorno est, on le sait, de plus en plus diffuse et intense, autant par attachement à ses terres d’origine que par opposition au modèle anarchique de développement de ces régions délaissées du «boom économique» transalpin : les rares sites industriels d’abord implantés puis fermés sans beaucoup de contrôles, au nom de l’urgence de donner du travail aux habitants et d’enrayer leur émigration, et les trafics des déchets sont une plaie du Sud de l’Italie et les spéculateurs en travaux publics sont trop souvent liés aux potentats locaux. Avec corruption et absence complaisante d’agréments des collectivités territoriales à la clef.
Face à cette situation peu reluisante, les initiatives de préservation du patrimoine naturel de cette région des Abruzzes connue d’abord pour ses montagnes, ses parcs (nationaux ou régionaux), ses circuits de randonnée et ses villages perchés au milieu d’une nature grandiose, se multiplient. Non sans difficultés. Le littoral pescarese a conservé en partie les traces de l’ancienne domination des Aragonais au 14ème siècle qui, pour se protéger des possibles invasions ou razzias par la mer des pirates ou des Sarrazins, avaient construit un réseau d’une quinzaine de tours fortifiées communiquant à vue les unes avec les autres.
Un projet associatif, avec le soutien de la Région, de la province de Pescara et de quelques acteurs économiques, s’appuie sur l’une de ces tours, à quelques kilomètres au nord de Pesacara : la Torre del Cerrano. Après avoir réhabilité l’antique édifice, l’association Area Marina Protetta (AMP) a réussi à faire déclarer une parcelle du littoral qui la borde zone protégée dite “B” (selon la terminologie du ministère de l’Environnement), où toute construction, pêche industrielle, cueillette ou exploitation sont strictement interdites, afin de protéger la flore et surtout la nidification sur la plage des oiseaux marins. Face à elle, l’exploration des fonds de l’Adriatique a révélé l’existence d’un port construit par les Aragonais, que les plongeurs peuvent aller découvrir facilement. L’association a néanmoins fort à faire, le modeste territoire qu’elle a en charge étant bordé par la voie ferrée au fort trafic Venise-Ancona-Pescara-Bari, la route nationale côtière, et au large des installations d’élevage industriel de poissons.
Autre initiative montrant bien l’attachement des jeunes à leur terroir, l’association “Il Bosso”, implantée dans le village de Bussi sul Tirino. Fondée par des jeunes du cru, souvent diplômés en biologie, écologie aquatique ou botanique, ou en gestion de projets culturels ou touristiques, elle marie sa volonté de sauvegarde d’un environnement exceptionnel au développement d’un tourisme vert de leur village et de leur campagne.
A la fois chercheurs et opérateurs écologiques, ils ont développé une activité d’excursions en canoé qui combine leurs multiples préoccupations et se sont alliés avec les producteurs «bio» et les agritourismes voisins pour accueillir les touristes et leur faire découvrir leur terroir, ses beaux villages, une nature préservée et des produits eno-gastronomiques de grande qualité.
Des jeunes qui semblent pour la plupart conscients qu’un développement raisonné de cette région à la nature impressionnante, sans grandes infrastructures en dehors des zones littorales, ne peut que parier sur le long terme et donc sur ce que l’on nomme aujourd’hui le «tourisme vert».
Les expériences de ce genre semblent se multiplier dans la région, portées le plus souvent par ses jeunes. Issus fréquemment de familles ayant connu l’émigration, en France notamment, rentrés avec leur parents désireux de renouer avec leur région après plusieurs décennies au loin, cette conscience écologique combine les deux volontés farouches de préserver un terroir auquel ils sont viscéralement attachés et pouvoir “vivre au pays”, sans avoir comme leurs aïeux à quitter celui-ci pour des raisons économiques.
Une volonté que l’on retrouve aussi dans le combat des personnes déplacées suite au terrible tremblement de terre qui frappa L’Aquila du 6 avril 2009. Les associations qui militent pour la reconstruction de la capitale régionale insistent ainsi particulièrement sur le respect des exigences environnementales et, évidemment, de normes de construction anti-sismiques les plus strictes. Ce qui explique, pour une grande partie d’entre elles, leur brutale opposition au modèle proposé par Berlusconi et ses alliés, maîtres d’œuvre d’une reconstruction rapide synonyme de spéculation immobilière tous azimuts, croquée dans le film «Draquila» de Sabina Guzzanti.
Olivier Doubre
L’Aquila, ou ce qu’il en reste
A 3 h 32, le 6 avril 2009, la capitale des Abruzzes était secouée par un tremblement de terre d’une magnitude atteignant 6,7. Bilan de la catastrophe, dans un territoire promis aux séismes, en dépit des discours rassurants des experts, 308 morts, près de 1200 blessés et 25 000 personnes déplacées. Dans une cité médiévale chargée d’histoire, ce sont aussi plus de 10 000 bâtiments qui ont été endommagés.
Deux ans déjà. Aujourd’hui, tandis que tout alentour de la ville, sur plusieurs kilomètres s’élèvent des baraques de fortune, des lotissements, de petits immeubles, des îlots de relogement, le «centro storico» est tout entier habillé d’échafaudages. Des poutres à l’infini, des cordes tendues, des renforts en acier. Une ville en berne qui ne tient debout que par ses béquilles. Surveillée par les forces militaires, la ville n’est plus interdite au public. Mais presque toutes les rues sont fermées, les devantures abaissées, les fenêtres murées, la plupart des immeubles étant abandonnés. Les commerces comme les bâtiments administratifs. Dans ce gigantesque et tragique mikado, assurément spectaculaire, dans cette féerie aux confins du désastre, restent épargnés l’imposant Castello et la fontaine aux 99 mascarons rappelant la légende de la fondation de l’Aquila avec ses 99 châteaux.
Vain rappel : L’Aquila ne renaît pas de ses cendres.
Jean-Claude Renard