Au FIPA 2011: incertaine quant à son avenir, l’Italie audiovisuelle revisite son passé

Petit panorama de ce qu’on a pu voir sur la côté basque fin janvier, ayant rapport avec le Bel Paese… Zoom sur “1960”, de Gabriele Salvatores et “Fate la storia senza di me”, de Mirko Capozzoli.

Comme nous l’écrivions à la veille de l’ouverture du 24ème FIPA (Festival international de programmes audiovisuels), la production audiovisuelle italienne n’a pas à rougir de la place qui lui a été accordée cette année à Biarritz. En dépit des difficultés structurelles qu’elle rencontre. Les œuvres présentées sur la côté basque au cours de cette édition 2011 font preuve globalement d’une qualité incontestable. Pourtant, à côté des productions française, allemande, anglaise, américaine ou même asiatique (avec leurs systèmes de financement spécifiques), les œuvres originaires du Bel Paese ne bénéficient généralement pas des aides existant dans nombre de ces pays. (cf. notre entretien avec Teresa Cavina, déléguée générale du FIPA)

Aussi, il ne faut guère s’étonner que les films italiens les plus élaborés (et donc les plus chers) présents à Biarritz soient fréquemment produits par la RAI, ou avec une aide substantielle de celle-ci. C’est le cas notamment de l’étonnant Ward 54, de Monica Maggioni, responsable de la rubrique politique étrangère du TG 1. Ce premier film amène le spectateur au chevet des soldats (choqués et/ou blessés, de retour d’Irak ou d’Afghanistan) dans le département post-traumatique de l’hôpital de Washington. Où l’on s’aperçoit que l’Amérique ne traite pas mieux les vétérans de ses guerres au début du XXIè siècle qu’elle ne le faisait avec ceux qui rentrait du Vietnam… Présenté hors compétition, dans la section «Situations de la création européenne», ce beau mais glaçant documentaire a reçu le prestigieux Prix Olivier Mitrani (doté par France Télévisions), du nom du fondateur du FIPA décédé en 1996.

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Parmi les œuvres sur l’Italie contemporaine, bien représentées sur la côté basque cette année, on doit signaler le portrait quasi intime de l’auteur de Gomorra, Roberto Saviano, traître et héros, brossé par la réalisatrice française Elisa Mantin. Condamné à mort comme on sait par la camorra, l’écrivain décrit sa vie de jeune homme «privé de sa jeunesse», qui a «perdu l’idée même de maison», passant sans arrêt d’une chambre anonyme à une autre, sans cesse accompagné de son escorte policière de cinq hommes armés et de ses deux voitures blindées. Malgré toutes ces difficultés, on voit un Saviano convaincu, tenace, se raccrochant coûte que coûte au rêve de ses seize ans dans le casertano : «il est possible de transformer la réalité». Ayant pour cela choisi la littérature, il ne peut, pour accepter sa vie d’aujourd’hui, que demeurer fidèle à sa conviction d’adolescent : «io ce la farò a cambiare, io non posso stare zitto»…

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Sans revenir sur la belle série de Marco Turco, C’era una volta la città dei matti , certainement appelée à de prochaines diffusions sur des chaînes françaises ou italiennes, un autre grand reportage a connu un succès certain à Biarritz auprès des festivaliers curieux de l’Italie contemporaine toujours dominée par Silvio Berlusconi et ses frasques (tarifées) avec de (très) jeunes femmes. Aussi, deux jeunes réalisateurs originaires de Suisse italienne, Lorenzo Buccella et Vito Robbiani, ont voulu savoir ce que pensent les femmes italiennes de
«leur» président du Conseil. Pour ce faire, ils ont sillonné la péninsule depuis Arcore (et la riche demeure milanaise du Cavaliere) jusqu’à Porto Rotondo en Sardaigne, où son immense villa domine une des baies de la Costa Smeralda. Le résultat est un drôle de road movie, exclusivement au féminin, Sorelle d’Italia , clin d’œil bien sûr au titre de l’hymne de Mamelli…

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A part (entre autres) un court métrage de fiction, sorte d’ovni de la production indépendante romaine, Il Signor Diavolo (de Giuseppe Garasto et Gabriele Luccioni), un sorte de conte halluciné et attachant sur la solitude et l’anonymat dans nos sociétés post-modernes, les œuvres italiennes les plus étonnantes montrées à Biarritz se (re)tournent aujourd’hui beaucoup sur le passé du Bel Paese. Un passé fantasmé, celui d’une dolce vita aigre-douce, ou, au contraire, douloureux, d’une société italienne toujours aussi violemment inégalitaire.

On soulignera d’abord la grande créativité d’une œuvre assez unique du point de vue de la forme : 1960, de Gabriele Salvatores. Produit là encore par RAI Cinema, ce film se veut un portrait intimiste de l’Italie de cette année singulière, celle du passage entre deux décennies, quand rien ne sera plus comme avant. Mais c’est d’abord le mode de narration qui retient l’attention, puisque l’histoire du personnage principal, un enfant âgé de dix ans d’une famille pauvre du sud de la péninsule qui n’apparaît jamais à l’image, est racontée uniquement par une voix off qui vient en surplomb exclusivement d’images d’archives, issues des trésors de l’Instituto Luce, des «actualités» projetées dans les salles obscures avant les films de l’époque ou des premiers journaux télévisés de l’unique chaîne de la RAI en noir et blanc.

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A travers le regard de l’enfant, on découvre – en même temps que lui finalement – les bouleversements majeurs de la vie quotidienne des Italiens durant le boom économique, avec la découverte des appareils électroménagers, l’industrialisation à marche forcée synonyme d’exode rural – et de mépris des terroni –, lorsque la famille du narrateur débarque à Milan, sorte de continent lointain et étrange pour elle. Cette œuvre superbe laisse deviner à la fois ce que montre Fellini dans I Vitelloni et bien sûr La Dolce vita, mais aussi De Sica dans Sciuscià ou Miracolo a Milano, ou même le néo-réalisme le plus sombre du Rossellini de l’immédiate après-guerre. Non sans parfois glisser sur le ton de la recherche sociologique, venant évoquer le Pasolini de l’Enquête sur la sexualité que le poète-cinéaste réalisa en 1963. Une œuvre éclatante donc, à voir de toute urgence !

Enfin, on terminera ce petit florilège transalpin des films montrés sur la côté basque lors de ce FIPA 2011 par un très beau documentaire (en compétition) : Fate la storia senza di me, de Mirko Capozzoli. Adaptation du diario de Alberto (Robertino) Bonvicini (1958-1991), orphelin recueilli dans une famille d’ex-partisan, le film retrace le parcours entre hôpital psychiatrique, petite délinquance qui le mène à 14 ans en prison pour mineurs, puis militant gauchiste hors norme du mouvement de 1977 jusqu’à son abandon de la politique («fate la storia senza di me», faites l’histoire sans moi…) et sa plongée temporaire dans l’héroïnomanie où il croisera le virus du sida.

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C’est donc une histoire de l’Italie des marges, peu connue et assez effrayante, que nous livre Mirko Capozzoli, à travers la vie de Robertino. Mais une Italie des marges qui réussit, dans les années 1970, à attirer l’attention sur elle et à dénoncer les malheurs qui la frappent. En effet, après plusieurs années dans la terrible Villa azzura, dirigée d’une main de fer par le cruel professeur Coda, adepte de la pratique (souvent punitive) des électrochocs dans son hôpital psychiatrique près de Casale Monferrato (AL), Robertino parvient – pour la première fois en Italie – à faire condamner le «bon docteur» pour ses actes (sadiques) envers ses patients, lors d’un procès qui fit date, en 1973. Une contestation de la psychiatrie à l’ancienne qui s’inscrivit dans le mouvement initié par Franco Basaglia pour redonner une dignité aux malades mentaux. Après une incarcération très jeune pour de petits délits, Robertino rencontre pour la première fois, dans le movimento des années 1970, une sorte de vraie famille avec le «circolo Barabba», qui mêle travail social et activités culturelles pour les plus démunis. Il compose des chansons, reprises en cœur par les camarades, et semble connaître là ses plus belles années. Mais, bientôt accusé avec d’autres militants par un des premiers «repentis» de l’incendie d’un bar fréquenté par les néo-fascistes de Turin à la fin d’une manifestation, il rédige en prison un journal intime, dont est tirée ce film. Libéré en 1983, il part un temps à Londres, après une période dans la toxicomanie, et entame une (brève) carrière de journaliste à Rome, d’abord à Reporter, quotidien fondé par l’ancien directeur du journal Lotta Continua, Enrico Deaglio, puis à la RAI. Là encore, on croit qu’il est tiré d’affaire et va enfin profiter de la vie. Mais son existence mouvementée passée le rattrape bientôt : il meurt du sida en 1991. Ce film, particulièrement émouvant, à la forme travaillée, est celui de l’acharnement du destin sur ceux qui ne sont pas nés du bon côté, dans une Italie du miracle économique qui est aussi celle d’un sévère contrôle social, du manque de compassion des gens per bene et d’une réelle carence de structures sociales adaptées. Une Italie qui demeure pour une grande part tout à fait actuelle.

C’est en tout cas le rôle d’un festival comme le FIPA que de permettre la découverte de ce type de films. En espérant que les chaînes de télévision, qui y font en quelque sorte leur marché, achètent ce qu’il s’y voit de plus étonnant. Ce qui n’est pas forcément gagné.

Olivier Doubre

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