Une illusion de trop, un roman de Joseph Gulino – Sicile années 1891 à 1894

«Une illusion de trop» est une nouveauté éditoriale, un premier roman en deux tomes publié récemment chez MVO éditions qui amène le lecteur de langue française à découvrir une page mouvementée et passionnante de l’histoire italienne de la deuxième partie du 19e siècle. Son auteur, Joseph Gulino, est français de père sicilien et il est né à Tunis, un mélange culturel qui le prédisposait à se plonger avec passion dans l’écriture de cette fresque pleine de rebondissements.

Quel en est plus précisément le contexte historique ?
Le mot fascio, faisceau (ensemble de petits rameaux coupés, bien serrés les uns aux autres), est un symbole d’unité qui remonte à la Rome ancienne. L’union fait la force. Le symbole a été repris, on le sait, par Mussolini et ses Chemises noires, mais avant lui, dans la seconde moitié du 19e siècle, ce fut celui du mouvement de lutte des paysans et mineurs siciliens. Exploités par l’aristocratie foncière et ses acolytes mafieux, vivant dans des conditions de totale misère, proche de l’esclavage, ils cherchèrent à se regrouper à partir de 1891 en ligues de défense, les «Faisceaux siciliens des travailleurs» (Fasci siciliani), pour obtenir les droits et libertés, la réforme agraire que leur avait fait miroiter en vain Garibaldi en débarquant en Sicile avec ses Chemises rouges en 1860.

Une illusion de trop

L’unification de l’Italie (en 1861), promue essentiellement par le Nord, n’a rien apporté de bon au Sud. La chute de la monarchie des Bourbons de Naples et Sicile, suivie du rattachement de l’île puis de toute l’Italie méridionale au Royaume d’Italie à la suite d’une sanglante guerre civile ne leur a pas apporté les changements, le développement, la modernisation tant espérés. Les privilèges des nobles restent inchangés, la pauvreté des humbles demeure incommensurable et les conduit à la résistance, la révolte, la grève. Le mouvement des Fasci siciliens fut toutefois réprimé sans pitié par le jeune Etat italien. Le 4 janvier 1894, le chef du gouvernement, Francesco Crispi, décréta l’état de siège de la Sicile, donnant plein pouvoirs civils et militaires au général Morra di Lavriano, lequel reçut l’ordre de dissoudre toutes les sections des Fasci, d’en arrêter les chefs et de ramener à tout prix l’ordre dans les campagnes siciliennes, faisant des centaines de morts, de déportés, et déclenchant une émigration massive. Les espérances nées trente ans plus tôt dans l’île au moment du Risorgimento se sont ainsi avérées n’être qu’ “une illusion de trop”, d’où le titre du roman signalé ici.

L’action se déroule sur trois ans, de 1891 à 1894. C’est une pure fiction qui repose toutefois sur des données historiques et un contexte social bien documentés auquel petit à petit l’auteur initie le lecteur.

Mais «Une illusion de trop» est avant tout un roman d’aventure, un récit épique qui s’apparente parfois à un thriller, et foisonne de personnages hauts en couleur.

Il a pour épicentre Petralia Soprana, un bourg à plus de 1 000 mètres d’altitude de la magnifique chaîne montagneuse de Madonies en province de Palerme. Au loin se dresse l’Etna. C’est un lieu symbolique choisi par l’auteur et représentatif par sa structure sociale de nombreuses autres communes siciliennes traversées à la même époque par des événements identiques.

Une illusion de trop

C’est là, à Petralia Soprana, dans une nature et un paysage décrit avec délicatesse dans de belles pages par l’auteur, qu’un beau jour de 1892 débarque, avec ses idéaux de justice, Bartolomeo (le protagoniste principal du roman), un jeune Calabrais que son parti a chargé de la mission de contribuer à la création d’une ligue de défense des travailleurs agricoles, un fascio.

«Hélas (je cite la 4e de couverture du tome 1, car je ne veux pas dans cette présentation en révéler plus que nécessaire et déflorer le suspens du livre), la tâche s’avère très rude. Car, si la colère gronde partout sur l’île, les malheureux écrasés par des siècles de misère et de servitude ont perdu tout espoir. Bartolomeo tient bon. Au fil du temps, il rassemble la population, n’hésitant pas à se mettre en danger face à la terrifiante mafia, encouragée par des autorités corrompues. S’il découvre, à travers la résistance, la camaraderie et la surprenante émancipation des femmes, il doit aussi affronter la lâcheté, la trahison et les lourds secrets de certains de ses proches. Mais peut-être qu’en définitive le plus grand danger viendra de l’amour qu’il voue à Rosalia, une femme mariée, rencontrée un soir au légendaire théâtre des pupi.»

Pour des raisons éditoriales et en permettre une typographie aérée, le livre a paru en deux tomes, ce qui nuit à mon avis à la tension dramatique du récit et en renchérit l’achat. Alors, un conseil : commencez par lire le premier, et si vous vous attachez à cette histoire, à ses protagonistes (les bons et les méchants, les purs et les corrompus…), vous aurez envie de poursuivre votre lecture. C’est une aventure humaine, riche en péripéties et revirements inattendus, que l’auteur se plaît à nous raconter au jour le jour en un récit où, vous l’aurez compris, l’enchevêtrement des destinées individuelles et de la grande histoire est permanent.

Souhaitons à l’auteur, Joseph Gulino, et à son roman de trouver leur public !

Evolena

LE LIVRE, sur le site des éditions MVO:

Tome 1 : Une illusion de trop – De Lungro à Petralia – 478 p. – 20€ – avril 2022
Tome 2 : Une illusion de trop – De Petralia à Tunis – 466 p. – 21€ – octobre 2022

L’AUTEUR :
Joseph Gulino est pluriel. Par sa culture tout d’abord, française autant qu’italienne. Par un profond attachement à la terre de France piqué néanmoins de la nostalgie de son pays natal, la Tunisie. Par sa formation enfin, quand jeune ingénieur, son doctorat de physique en poche, il comprend avec déchirement qu’il va se détourner de l’écriture pour une longue aventure à travers le monde et l’industrie. Resté néanmoins fidèle à ses premières amours, il ne posera jamais la plume. Fasciné par l’histoire, le théâtre d’Ionesco, l’univers de Kafka, la puissance évocatrice des écrivains de l’entre-deux-guerres, il offre aujourd’hui ce roman, son premier roman, palpitant de par ses nombreux rebondissements, émouvant et dont certaines pages nous ramènent aux œuvres de Sciascia, Pirandello ou encore Kazantzakis (extrait du site de l’éditeur).


N.d.r.
Pour qui souhaiterait approfondir ses connaissances historiques sur cette page importante de l’histoire sicilienne, voici les liens de deux articles parus en italien sur Altritaliani :

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Evolena
Michèle Gesbert est née à Genève. Après des études de langues et secrétariat de direction elle s'installe à Paris dans les années '70 et travaille à l'Ambassade de Suisse (culture, presse et communication). Suit une expérience associative auprès d'enfants en difficulté de langage et parole. Plus tard elle attrape le virus de l'Italie, sa langue et sa/ses culture(s). Contrairement au covid c'est un virus bienfaisant qu'elle souhaite partager et transmettre. Membre-fondatrice et présidente d'Altritaliani depuis 2009. Coordinatrice et animatrice du site.

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