«L’Après» à Venise: un air de déjà-vu.

Suite des chroniques d’Arièle Butaux. Journaliste et écrivaine française elle réside à Venise, joyau fragile, à protéger et respecter, patrimoine mondial de l’humanité. Beaucoup de mélancolie et une prise de conscience douloureuse dans ce billet du 4 juin. La liberté retrouvée, des frontières qui rouvrent, mais des espoirs ébauchés durant le confinement déjà déçus. Un “après” Covid-19 qui ressemble chaque jour davantage à l’“avant”. Venise, métaphore de nos illusions d’un avenir différent?

Photo d’Arièle Butaux

Je vous écris d’une ville en deuil d’un amour impossible.
Il y eut d’abord un printemps radieux aperçu depuis nos fenêtres cruellement closes et intensément savouré dès les premiers jours de liberté retrouvée.
Dans la ville rendue à ses habitants, on s’est salué, on s’est reconnu malgré les masques, on a pris des nouvelles les uns des autres. On a repris le chemin des bars et pasticcerie pour le premier café du matin, masqués, à distance, mais vivants.
On s’est félicité de voir rouvrir telle ou telle boutique dont on se demandait si elle survivrait à la crise. On est passé avec indifférence devant les rideaux baissés des magasins de pacotille, de faux verre de Murano, de sucreries industrielles.

De nouveau on a lu et commenté les journaux sur les bancs au soleil, on s’est installé en terrasse, à des tables éloignées les unes des autres mais les voix portent! Les familles sont retournées en barque dans la lagune, les rameurs ont profité des eaux calmes pour préparer la traditionnelle Vogalonga. Et sur les campi, les enfants sont redevenus des enfants.
Nous étions tous un peu ivres de liberté, de beauté aussi. Venise s’offrait toute à nous, jamais nous n’en avions été aussi éperdument amoureux.
C’était fou et magnifique à la fois. L’équilibre idéal entre Venise reprenant vie, accueillant de nouveau quelques visiteurs tout en laissant à ses habitants la possibilité d’une vie normale semblait à portée de main. Nous savions que cela ne durerait pas mais nous avons fait semblant d’y croire, retenant notre souffle afin de ne pas troubler cette lune de miel.

Samedi dernier, à la faveur d’un long week-end d’Ascension et de Fête Nationale, les habitants de Vénétie, après des mois de réclusion, ont voulu revoir le joyau de leur région. Ils sont arrivés d’un seul coup, par milliers, en train, en voitures, bloquant le pont de la Liberté, envahissant le Rialto, la place San Marco, créant la confusion dans les calle trop étroites et dans les vaporetti où la distanciation physique n’était plus qu’un voeu pieux. Il y eut des scènes pénibles, du vacarme, des carabiniers appelés en renfort. (n.d.r. cf lien en fin d’article).
Dans cette cohue, plus de rencontres impromptues entre amis ou connaissances, plus d’enfants jouant au ballon, plus de vie… Nous nous sommes cognés à une réalité oubliée.

Photo La Nuova di Venezia e Mestre

Ce soir, les sirènes de l’acqua alta ont retenti. Depuis hier, il pleut sans relâche après des mois de temps radieux. On dirait que la Sérénissime n’en finit pas de pleurer.

Arièle Butaux
Venise, le 4 juin 2020

***

N.d.r.:

LIEN en italien: Venezia presa d’assalto dai turisti: e sono quasi tutti veneti (Venise prise d’assaut par les touristes: et ils sont presque tous de la Vénétie) – “La Nuova di Venezia e Mestre” du 31 mai.

LIEN en français : un article du “Temps” du 5 juin qui raconte les contradictions auxquelles doivent faire face les vénitiens en cette nouvelle saison:
Voir Venise mourir
Après deux mois de quarantaine, l’Italie a rouvert mercredi ses frontières. La Cité des Doges est face à un paradoxe: elle, qui craignait hier de suffoquer sous les touristes, semble condamnée par leur absence…..

***

Manifestation du 1er juin, « Distanziati e mascherati per difendere Venezia », Campo SS Giovanni e Paolo – photo Elena Barinova

Des Vénitiens de la société civile se mobilisent autour d’un projet de changement, de mieux vivre, de tourisme responsable et maîtrisé auquel ils veulent encore croire. Ils invitent les résidents non italiens à s’exprimer eux aussi lors des prochaines élections municipales de septembre. S’inscrire sur les listes électorales  prend 5 minutes et peut se faire en ligne.

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Arièle Butaux
Ecrivaine et journaliste française vivant à Venise. Médiatrice près la Cour d'Appel de Paris.

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