DERNIERS JOURS. Au Musée Maillol à Paris: “Les Etrusques, un hymne à la vie”, une exposition faisant mémoire, au-delà du mythe entretenu, de la disparition d’un peuple attachant, raffiné et bien vivant, qui a dominé une grande partie de la Péninsule italienne entre le XIe siècle et le Ier siècle avant J.C. Les Etrusques, brillante civilisation du monde antique et méditerranéen, dont l’héritage ne nous est parvenu que partiellement.
Etruscomanie ? Etruscologie ? La première, avec ses fouilles sauvages qui débutent à la Renaissance, a brouillé les cartes sur la compréhension de cette culture. La seconde qui apparaît au XIXe siècle, plus rigoureuse, s’est attachée à soulever le voile de l’ignorance qui recouvrait une civilisation somme toute moins mystérieuse qu’on ne l’a prétendu. Toutes deux se sont limitées aux fouilles de tombes, autrement dit, c’était le monde des morts qui nous éclairait sur le monde des vivants !
Depuis une vingtaine d’années les archéologues s’attachent à fouiller le monde des vivants et les vestiges trouvés dans les anciennes villes étrusques confirment tout en l’enrichissant, notre connaissance de ce peuple cosmopolite et joyeux, composé de marchands, de navigateurs, mais aussi d’agriculteurs et de viticulteurs.
Nous savons qu’ils aiment passionnément la musique qui les accompagne tout au long de la journée (flûtes à deux becs, lyre, tambourin), qu’ils aiment le sport particulièrement le pugilat – ils seraient, dit-on aussi, les inventeurs de notre actuel pentathlon –, qu’ils sont d’excellents cavaliers, montant la plupart du temps à cru ou conduisant des chars, qu’ils aiment la bonne chère et le bon vin, ainsi que les spectacles d’acrobates, de mimes et de danse.
Cette civilisation accorde à la femme un statut bien supérieur à celui des femmes des autres civilisations méditerranéennes, la plupart du temps confinées dans le gynécée. La femme idéale pour les Etrusques est mère de famille, maîtresse de maison mais aussi compagne de vie. Ce dernier rôle est figuré avec tendresse sur les sarcophages doubles, représentation qu’on ne retrouve jamais dans le monde gréco-romain.
C’est aussi une femme “qui sort” et est “émancipée”. On la retrouve mollement allongée sur des kliné confortables empruntés à la sphère grecque, où elle participe à l’égal des hommes aux banquets, ou bien encore assise sur les tribunes en bois du cirque où elle assiste aux compétitions sportives. Des anecdotes scabreuses rapportées par des écrivains grecs et romains – des mauvaises langues – évoquent chez elle un fort penchant pour le vin et la luxure. Buvant plus que de raison, cette dévergondée se donnerait au premier venu et en plus devant tout le monde !!! Dommage que nous soyons privés de textes écrits par les Etrusques eux-mêmes, ils seraient vraisemblablement plus nuancés !
Les lamelles de Pyrgi
Si tant est que des écrits sur ce thème nous soient parvenus, saurait-on toutefois les comprendre ? En effet, l’écriture étrusque apparue autour de 700 avant J.C. utilise un alphabet connu, l’alphabet grec; elle peut par conséquent se prononcer, se lire, mais elle ne se déchiffre que par déduction car on ignore le sens de bien des mots. En 1964, on crut enfin avoir découvert la Pierre de Rosette étrusque: trois lamelles en or, trouvées à Pyrgi (lamelles de Pyrgi, Ve siècle, Musée de la Villa Giulia à Rome), deux inscrites de caractères étrusques et la troisième de caractères phéniciens. Hélas, si les textes étaient proches par leur sens, ils n’étaient pas identiques! De tâtonnements en tâtonnements, si la plupart des inscriptions, jamais très intéressantes dans leur contenu, ont été déchiffrées dans leur globalité, on ne maîtrise toujours pas les règles de cette écriture, compliquée par les variantes pratiquées dans les différentes cités étrusques!
En savoir + Les Etrusques: langue, écriture, numération
Les origines
Les étruscologues ont cessé de débattre de l’origine du peuple étrusque, pour se concentrer davantage sur l’étude des trouvailles archéologiques. La question n’est toujours pas tranchée. Viendraient-ils de la lointaine Lydie, comme l’écrit Hérodote et comme semblent le confirmer de récents prélèvements ADN? Ou est-ce un peuplement autochtone, né dans la péninsule italienne? A défaut de réponse catégorique, penchons-nous, à notre tour, sur cette fascinante culture.
Une grande civilisation du monde antique et méditerranéen
Le début du lent processus culturel qui mène à la formation de l’Etrurie débute dans la 2e moitié du second millénaire avant JC (- 1 500, – 1000) mais on ne peut parler de l’avènement d’une civilisation que dans les IXe et VIIIe s avant notre ère (période vilanovienne). Elle se développe entre le bassin oriental du Pô et l’Italie centrale, avec également une extension en Campanie. A la fin du VIIe siècle les grandes cités étrusques apparaissent sur des emplacements typiques: collines ou promontoires faciles à défendre, entourés d’un cours d’eau, non loin de la mer et à proximité d’une plaine fertile. On a parlé de la dodécapole étrusque, une ligue réunissant douze cités-états indépendantes et puissantes, avec une organisation fédérale, cimentées par la même religion et vénérant les mêmes divinités. Chaque cité semble être dirigée par un chef, nommé lucomon ou un groupe de chefs reliés par des liens de parenté. D’importantes ressources naturelles facilitent leur essor.
Des urnes cinéraires en terre cuite en forme de cabane – on pratique exclusivement l’incinération à cette époque – évoquent l’habitat de l’époque. On voit apparaître une évolution au niveau de leur forme, de leur taille, et des matériaux utilisés, bronze, argent, qui témoignent de l’avènement d’une aristocratie, fort riche, qui manifeste en outre un goût prononcé pour des objets d’origine exotique, scarabées et pendentifs égyptiens, coupes phéniciennes, petits bronzes sardes, et aussi, en grand nombre, des céramiques grecques importées et destinées à la consommation du vin. Cela vaut à cette période (fin VIIIe – début VIe siècle) son nom d’orientalisante, et l’afflux d’objets de la sorte s’explique par l’ouverture de la culture étrusque sur tout le Bassin Méditerranéen. L’Etrurie commerce en effet avec tous les peuples du pourtour méditerranéen et les contacts avec le monde oriental sont renforcés par l’installation en pays étrusque d’artisans grecs, syriens, phéniciens…
Enrichie par la maîtrise des échanges effectués sur son territoire et la mise en place de taxes à ses frontières, cette aristocratie se fait construire des tombes de plus en plus imposantes. Sur les 6 000 tombes de la nécropole de Tarquinia, et qui s’échelonnent entre 600 et 200 av JC, 180 environ étaient décorées de peintures qui nous renseignent sur le mode de vie étrusque. Le décor de l’une d’entre elles, déposé et conservé au Musée de Tarquinia, a fait le voyage jusqu’à Paris. Un fabuleux témoignage en couleur sur le degré de raffinement atteint par cette culture.
Tombe du Navire, Tarquinia: Le mur du fond de la tombe décrit un banquet où hommes et femmes, sont allongés à la mode grecque, sur les mêmes lits de repos, recouverts de riches étoffes brodées. Ils ont pris soin de retirer leurs sandales posées sur de petits tabourets, placés sous les lits, et dégustent des mets appétissants présentés par des esclaves, nus.
Le banquet étrusque se composait de deux parties distinctes : le repas à proprement parler avec la consommation de viande, de poisson, d’une sorte de polenta, de pois, de fromage et de fruits. Puis le symposion, consacré à la consommation du vin.
Sur le mur situé à gauche du banquet, on voit l’intendant placé devant un cratère en train de préparer le vin selon une recette empruntée aux Grecs, consistant à couper le vin très sirupeux avec de l’eau et après y avoir ajouté aromates et épices, de le mélanger en y incorporant du fromage de chèvre râpé ! Une libation faite aux dieux, suivie d’hymnes en leur honneur précèdent la consommation du vin en présence de musiciens, de mimes, ou d’acrobates. On voit, sur les peintures, à gauche des banqueteurs, un joueur d’aulos, une flûte à 2 becs, vêtu d’un pagne vert accompagner les réjouissances de ses mélodies.
C’est aussi au VIIe siècle que les Etrusques vont exceller dans une technique d’orfèvrerie importée d’Orient qu’ils vont maîtriser à la perfection.
131 minuscules figurines en ronde bosse décorent cette parure. On peut y reconnaître tout un bestiaire de lions debout ou assis, de sphinx et de sirènes, de chevaux et d’oiseaux réalisés par des doigts de fée. Il s’agit de la fameuse technique du filigrane et de la granulation, mais les granulés sont si fins qu’on dirait de la poussière d’or (a pulviscolo disent les italiens) ! Et c’est ainsi qu’on voit, sur une attache de fibule des animaux se courser, ou sur un pendentif en or une scène de chasse où règne une animation stupéfiante, et tout cela dans un format microscopique. Un conseil, venez avec une loupe dans la poche, c’est le moment de vous en servir !
La période archaïque (début VIe début Ve), correspond à l’apogée de cette civilisation florissante et désormais les richesses, mieux réparties, touchent une classe émergeante de commerçants, d’artisans et d’agriculteurs entreprenants (vignes, oliveraies).
Tous les ans, les Etrusques des différentes cités convergent vers Volsinies (aujourd’hui Orvieto) pour adorer Voltumna, dieu de la ligue étrusque et accessoirement dieu de la fertilité en son temple, au cours de joyeuses festivités. Peu à peu, la plupart des dieux étrusques, à l’origine des dieux cosmiques difficiles à représenter, vont fusionner avec des dieux des religions phénicienne, orientale et surtout grecque par le processus habituel de syncrétisme. A noter que le nom des dieux issus de ce syncrétisme sera souvent repris par les Romains pour nommer leur propre panthéon (Héra la grecque devient Uni chez les Etrusques et Junon chez les Romains. De même pour Athena qui devient Menrva chez les Etrusques et Minerve chez les Romains.)
Mais c’est surtout l’haruspicine qui va faire l’admiration des Anciens, et plus particulièrement l’hépatoscopie, autrement dit, l’étude du foie d’animaux sacrifiés pour prédire l’avenir.
L’exposition présente une copie du foie en bronze conservé à Plaisance (Piacenza). Ce foie était vraisemblablement destiné à former de futurs haruspices. On reconnaît, de façon stylisée, la vésicule biliaire en relief et les lobes du foie du mouton sacrifié pour la circonstance. Il est censé représenter la voûte céleste. A sa surface, un réseau de lignes droites et courbes accompagnées d’inscriptions le découpe, chaque quartier étant placé sous l’influence d’un dieu. Il suffisait alors de lire le foie en interprétant chaque particularité en fonction de son emplacement.
C’est ce caractère divinatoire qui a induit cette notion d’un peuple très religieux et certains étymologistes considèrent que la ville de Caeré, aujourd’hui Cerveteri, a donné naissance au mot «caeremonia», notre français «cérémonie».
La période classique (début Ve-IVe siècle avant J.C.) succède à la période archaïque et correspond à la conquête romaine de l’Etrurie. Il fallut à Rome un siècle et demi pour venir à bout de la résistance des différentes cités étrusques. Lorsque les Romains sont occupés à assiéger l’une d’entre elles (la légende veut que la cité de Véies ait résisté un siècle avant de capituler), les autres cités continuent de se développer, tandis que l’influence grecque dans le domaine des arts se fait de plus en plus sentir. La métallurgie du bronze a atteint des sommets et les orfèvres produisent des parures d’or exubérantes. De nouveaux temples décorés de sculptures en terre cuite polychromes sont construits (temple du Belvédère à Volsinies-Orvieto) et les maisons se dotent d’un atrium, formule que reprendront les Romains pour les constructions domestiques. Mais en 264, Volsinies, dernière cité étrusque, tombe à son tour.
Après sa chute, il fallut aux Romains deux siècles pour pacifier et romaniser l’Etrurie; le processus de “romanisation” progressera par différents biais jusqu’à l’assimilation des Etrusques, favorisée par le brassage des cultures. La langue étrusque sera progressivement remplacée par le latin.
C’est ainsi que lentement fut engloutie la première civilisation à s’être développée dans la péninsule italienne après avoir atteint un degré de raffinement tout à fait remarquable, qui laissa une trace profonde dans l’histoire de l’Italie préromaine.
Catherine Saigne Leblanc
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Les Étrusques s’exposent au musée Maillol par LEXPRESS
Étrusques. Un Hymne à la vie, au musée Maillol jusqu’au 9 février 2014
Tous les jours de 10h à 19h et nocturnes lundi et vendredi jusqu’à 21h30
61, rue de Grenelle, 75007 Paris
Site du Musée Maillol