À l’occasion de la Journée de la Mémoire, mardi 29 janvier 2019 à 19h30, l’Institut culturel italien de Paris présente « Le Bal d’Irène », une pièce écrite et mise en scène par Andrea Murchio et interprétée avec grâce en français par la comédienne italienne Alessia Olivetti (durée 60’). Elle raconte la tragique histoire d’Irène Némirovsky, grande écrivaine juive morte à Auschwitz en 1942 après avoir voyagé à travers une bonne partie de l’Europe et vu ses oeuvres littéraires triompher à Paris (notamment David Golder et Le Bal). Notre équipe a vu à deux reprises ce spectacle qui tourne avec bonheur depuis 2013 et le recommande vivement. En voici le compte-rendu en version bilingue, de la plume de Giuseppe A. Samonà, publié cette année-là. (“Il Ballo di Irene. L’incredibile storia di Irène Némirovsky”). L’idée de le « ressusciter » en cette occasion nous a paru judicieuse.
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EN FRANÇAIS
Il y a quelque chose de fort, de délicat, de juste et de profondément émouvant dans la manière dont Alessia Olivetti raconte, au théâtre et avec le théâtre, le parcours lumineux et tragique d’Irène Némirovsky. Je l’ai vue et écoutée à Paris, lors d’une des deux représentations qu’elle a données en français (il y en avait eu auparavant deux autres en italien, d’après le texte original d’Andrea Murchio, qui est aussi le metteur en scène du spectacle), et encore aujourd’hui certaines phrases me reviennent à l’esprit, je revois des gestes, des expressions : une telle présence, au-delà du temps qui passe, n’est-elle pas parmi les meilleures preuves de la qualité d’une œuvre d’art?
J’aime l’écriture d’Irène Némirovsky, dont, après la découverte que fut la Suite française, j’ai dévoré de nombreux récits et romans (Le bal, La proie, David Golder, Le vin de solitude…), mais aussi un essai comme La vie de Tchekhov. Je me suis également passionné pour l’itinéraire aventureux de cette femme, qui, ayant quitté sa Russie natale pour fuir la guerre civile juste après la révolution d’Octobre, traversa la Finlande et arriva enfin à Paris, dans sa France adorée, dont elle parlait et écrivait la langue depuis toujours. Elle voulait être française, elle le devint (et elle le restera à jamais) : le succès lui sourit rapidement, dès avant la guerre, et aujourd’hui on peut dire qu’elle est une des grandes voix de la littérature en langue française du XXe siècle, tout en demeurant profondément russe : son talent épique, son art de raconter, de camper des personnages, ce parfum de nostalgie qui se dégage de ses récits comme une brume enchanteresse, elle les partage avec les plus grands écrivains russes, Tolstoï, Tchekhov surtout, mais aussi d’autres moins connus comme Paoustovski. Pourtant, cette France qu’elle a aimée et servie de toute la noble force de son écriture, l’a abandonnée, reniée et trahie en l’envoyant à Auschwitz, car Irène Némirovsky, russe et française, était aussi juive. Et cela – comme elle-même le rappelle dans son ultime période française, avec sa tentative désespérée d’obtenir la citoyenneté pleine et entière qui aurait pu la sauver – en dépit du fait qu’elle et sa famille avaient fui les bolcheviks, pires ennemis des nazis, qu’elle collaborait avec des journaux de la droite « musclée » comme Gringoire (des lecteurs superficiels de son œuvre, prenant prétexte de certains portraits de Juifs aux traits « caricaturalement négatifs », sont même allés jusqu’à l’accuser ouvertement d’antisémitisme), ou encore qu’elle s’était, toujours dans l’espoir de se sauver, tranquillement convertie au catholicisme… Mais cela n’a servi à rien, parce que, comme Irène Némirovsky le dit avec une simplicité délicate, ce n’est pas une question de religion mais une question de race…
Irène Némirovsky, ou mieux, l’Irène qu’Alessia Olivetti fait revivre sur scène, en un peu plus d’une heure, avec grâce et justesse. Certes, c’est une fiction – mais qui connaît Irène Némirovsky saura retrouver les nombreux et savants fils qui nourrissent la précision du récit: du travail d’Olivier Philipponnat e Patrick Lienhardt (La vie d’Irène Némirovsky, 2007), au roman en partie autobiographique Le Vin de solitude (1935), en passant par l’extraordinaire biographie écrite par Elisabeth Gille, la plus jeune des filles de l’auteur, qui a miraculeusement réussi à se mettre dans la peau de cette mère qu’elle avait à peine connue (elle avait seulement cinq ans quand celle-ci fut assassinée par les nazis), pour se raconter à la première personne (Le Mirador, 1992), et la présence discrète mais non moins forte de la fille aînée, Denise Epstein, grâce à laquelle on a pu d’abord récupérer, puis publier Suite française, et ainsi, plus de soixante ans après la mort de la grande écrivaine, la redécouvrir définitivement. Tout ce “savoir” est présent en filigrane dans le travail d’Andrea Murchio et Alessia Olivetti, mais sans rien d’académique ni d’artificiel.
Toutes les informations, tout le “savoir” deviennent récit, sous la forme d’un long monologue haletant, qui ne s’arrête jamais, dans un sobre décor fait seulement de quelques objets (dont la fameuse valise, gardienne de la mémoire de celui que la persécution a contraint à fuir)… faisant défiler une vie entière, trop brève. Deux moments s’en détachent en particulier: la période pré-française (Kiev, Saint-Petersbourg, Moscou avant la Révolution, la fuite à travers la Finlande…) avec cette grâce poétique, majestueuse, à la fois mélancolique et légère, qu’un connaisseur averti de la grande littérature russe (et surtout du divin Tchekhov) ne pourra pas ne pas reconnaître et apprécier, avec un plaisir intime, et la période française, qui, comme une sorte de condensé, se déroule beaucoup plus vite, bien qu’en réalité elle représente plus de la moitié de la trop courte existence d’Irène Némirovsky: peut-être le succès est-il moins intéressant à raconter que le chemin qui y mène… Quant à la fin, on s’arrête à la limite du connu, et c’est déjà atroce en soi: le train qui conduit à Auschwitz… – on ne peut rien dire d’autre, on ne peut rien raconter, parce que l’horreur, cette horreur, on ne peut que l’indiquer, on ne peut pas en montrer les images, on ne peut pas en construire de fiction: toute image, toute fiction est de toute façon inadéquate, et toujours un peu obscène.
Je parlais du monologue haletant et ininterrompu: sur scène, un seul personnage, elle, Irène, c’est-à-dire Alessia O., qui semble s’être approprié, ou avoir intériorisé spirituellement et physiquement l’écrivaine, la femme que fut Irène Némirovsky. Plus encore que le texte lui-même, c’est la manière de le porter qui m’a frappé: comme si l’actrice était née dans ce texte, ou qu’elle avait participé directement au travail d’écriture, tant celle-ci semble sienne.
Un détail, même si… A l’origine le spectacle est en italien, et c’est dans cette version qu’il tourne en Italie depuis un an ou deux… La représentation à laquelle j’ai assisté était la première en français, le lendemain d’une représentation, justement en italien. D’où un inévitable surplus d’émotion et de magie: car même si Irène Némirovsky connaissait le français au point de l’avoir élu comme sa langue, elle restait néanmoins une « étrangère », ce que le délicat accent d’Alessia Olivetti rappelle avec une spontanéité involontaire. Par ailleurs, la possibilité de se révéler désormais aussi bien dans une langue que dans une autre me paraît être une exceptionnelle valeur ajoutée, et – soit dit en passant – une double prouesse, du point de vue de la performance théâtrale. (Et nous restons avec une curiosité: si la musicalité italienne, au sens du parfum dégagé par l’accent et la cadence, sont un plus pour la performance en français, comment peut bien être la représentation en italien, langue maternelle de la comédienne? J’espère avoir l’occasion de revoir le spectacle en italien…)
A Paris, il n’y a eu que quatre représentations, deux en italien, deux en français (quelle passion obstinée il faut à un artiste pour vivre…) – je voudrais conclure par un vœu, qui se veut aussi un message publicitaire: ce spectacle doit revenir en France, et à Paris, dans cette double version. Il le mérite, et il y a ici une large communauté qui a fait de l’échange et du métissage entre l’italien et le français une clef pour inventer une nouvelle manière de faire de la culture.
Giuseppe A. Samonà
(Traduction de l’italien en français de Sophie Jankélévitch)
Décembre 2013
IN ITALIANO
Il Ballo di Irene. L’incredibile storia di Irène Némirovsky.
C’è qualcosa di forte, di delicato, di profondamente commovente, e giusto, nel modo in cui Alessia Olivetti, a teatro, con il teatro, racconta l’itinerario luminoso e tragico di Irène Némirovsky. L’ho vista, l’ho ascoltata più d’un mese fa Parigi, in una delle due rappresentazioni in francese (le due precedenti erano state in italiano, secondo la versione originale di Andrea Murchio, che è anche il regista della pièce), e ancora mi tornano in mente alcune frasi, ancora, soprattutto, rivedo dei gesti, delle espressioni: non è, una simile persistenza nel tempo, una delle prove migliori della bonta di un’opera d’arte?
Ho amato e amo la scrittura di Irène Némirovsky: di lei, dopo la scoperta di Suite française, ho letto, divorato, tanti racconti, romanzi (Le bal, La proie, David Golder, Le vin de solitude…), e non solo (La vie de Tchekhov), appassionandomi anche all’intenso e avventuroso itinerario che dalla Russia natale, in fuga dalla guerra civile post-rivoluzione d’Ottobre, attraverso la Finlandia l’aveva portata a Parigi, nella sua adorata Francia, di cui da sempre, parlava e scriveva la lingua. Voleva essere francese, lo divenne, e lo resterà per sempre: il successo le sorrise rapidamente, prima della guerra, e oggi possiamo dire che è una delle grandi voci della lettaratura, in lingua francese, del Novecento – questo pur rimanendo anche russa: perché il talento epico, questa capacità di narrare, di disegnare personaggi, il profumo di nostalgia che tutto avvolge come una sorta di invisibile incantamento, sono quelli della grande letteratura russa, Tolstoj, Cechov innanzitutto, ma anche scrittori “minori”, come Paustovski. Eppure, com’è noto, quella Francia che lei ha amato e servito, con la nobile forza della sua scrittura, l’ha abbandonata, rinnegata e tradita, consegnandola a Auschwitz – perché Irène Némirovsky, oltre che russa e francese, era ebrea. Questo – come ricorda lei stessa nell’ultimo periodo francese, nel disperato tentativo di ottenere quella piena cittadinanza che avrebbe potuto salvarla – malgrado il fatto che lei e la sua famiglia avessero fuggito quei bolscevichi che dei nazisti erano i peggiori nemici, o che collaborasse con giornali della Destra “virulenta” come il Gringoire (dei cattivi lettori della sua opera, del resto, pretestando certi ritratti “caricaturalmente negativi” di ebrei hanno potuto persino accusarla apertamente di antisemitismo), o ancora che, sempre nel tentativo di salvarsi, si fosse tranquillamente convertita al cattolicesimo… Ma appunto, a nulla è servito – perché, come conclude con delicata semplicità proprio Irène Némirowsky: non è questione di religione, è questione di razza…
Irène Némirovsky, o meglio, l’Irène che Alessia Olivetti fa rivivere su scena, in poco più di un’ora, con grazia e giustezza.. È “finzione”, certo – pure, chi conosce Irène Némirovsky e la sua storia, saprà ritrovare i molti fili sapienti che nutrono l’esattezza del racconto: dal lavoro di Olivier Philipponnat e Patrick Lienhardt (La vie d’Irène Némirovsky, 2007), al romanzo in parte autobiografico Le Vin de solitude (1935), sino alla straordinaria biografia di Élisabeth Gille, la figlia più piccola di Irène Némirovsky, che è riuscita nell’arduo miracolo di mettersi nella pelle di quella madre che quasi non aveva conosciuto – aveva solo cinque anni quando i nazisti l’assassinarono… – per raccontarsi in prima persona (El Mirador, 1992), sino alla presenza più delicata ma non meno forte della figlia più grande, Denise Epstein, a cui principalmente si deve il recupero e poi la pubblicazione di Suite française, che a più di sessant’anni della morte della grande scrittrice, ne ha permesso la definitiva riscoperta. Ecco, tutto questa “sapienza” c’è nel lavoro di Andrea Murchio e Alessia Olivetti: ma senza che nulla di accademico, o artificiale, traspaia…
Tutte le informazioni, tutta la “sapienza” diventano racconto, nella forma di un lungo monologo, un monologo mai interrotto, haletant, con pochi oggetti a far da contorno scenico (fra tutti, la famosa valigia, quella che custodisce la memoria, e di chi è costretto a fuggire dalla persecuzione)… per far defilare un’intera, troppo breve vita. Di questa, emerge in particolare il periodo prefrancese (Kiev, Pietroburgo, Mosca prima della Rivoluzione, la fuga attraverso la Finlandia…), con la poesia di quell’incedere poetico insieme leggero e melanconico che chi ama e conosce a fondo la grande letteratura russa (su tutti il divino Cechov) non potrà non riconoscere e apprezzare, con intimo piacere – il periodo francese, che pur copre più della metà della troppo breve esistenza di Irène Némirovsky, scivola via molto più velocemente, è come condensato: forse perché il successo è meno interessante da raccontare rispetto alla strada che vi conduce… Quanto alla fine, a quella fine atroce, ci si ferma al margine conosciuto, già profondamente atroce in sé : il treno che porta a Auschwitz… – altro non si può dire, non raccontare, perché l’orrore, quell’orrore, si può solo indicare, non se ne possono mostrare immagini, non ci si può imbastire finzione: qualunque immagine, qualunque finzione sarà comunque inadeguata, e sempre un po’ oscena.
Dicevo del monologo ininterrotto e haletant: presenza su scena di un solo personaggio, lei, Irène, cioè Alessia O., che sembra come essersi appropriata, o avere interiorizzato spiritualmente, fisicamente, la scrittrice, la donna che fu Irène Némirovsky. Più ancora del testo, insomma, è il modo di portarlo quel che mi ha veramente colpito: quasi che l’attrice ci sia nata dentro, o che abbia partecipato direttamente al lavoro di scrittura, talmente sembra sua.
Un dettaglio, anche se… L’originale dello spettacolo è in italiano, e come tale gira già in Italia da un paio d’anni… Quella cui ho assistito era la prima rappresentazione in francese, che seguiva quella del giorno precedente, in italiano appunto. Surplus inevitabile di emozione, e magia: perché anche se Irène Némirovsky conosceva il francese come se non meglio del russo, tanto da averlo eletto come sua lingua, restava pur sempre “straniera”, e il delicato accento di Alessia Olivetti lo ricorda con involontaria spontaneità. Per altro, la possibilità di svelarsi ora in una lingua ora nell’altra, mi sembra uno straordinario valore aggiunto e – sia detto en passant – una raddoppiata prodezza dal punto di vista della performance teatrale. (E noi siamo restati con la curiosità: se la musica italiana, nel senso del profumo di accento e cadenza, sono “il più” della performance in francese, come sarà quella in originale, che è anche la lingua madre dell’attrice? Spero di poterlo rivedere in italiano…)
A Parigi, ci sono state solo quattro rappresentazioni, due in italiano due in francese (quale passione caparbia ci vuole per vivere da artista) – mi verrebbe allora da concludere con un augurio, che vuol essere anche un messaggio pubblicitario: questo spettacolo deve tornare in Francia, e a Parigi, quanto prima, e in questa duplice forma. Perché lo merita, e perché qui vive una vasta comunità che ha fatto dello scambio e del métissage fra l’italiano e il francese, la chiave per un modo nuovo di fare cultura.
Giuseppe A. Samonà – Dicembre 2013
LINK INTERNO: « Riletture. Quando Il ballo d’Irene irrompe nell’attualità francese« ,
anche a firma di Giuseppe Samonà (12 marzo 2017)
Le bal d’Irène. L’incroyable histoire d’Irène Némirovsky.
Grazie di cuore ad Altritaliani e a Giuseppe Samonà per le splendide parole che ha riservato al nostro spettacolo. Un caro saluto, Andrea Murchio.