« Si je me suis trompée, c’est toute ma famille qui sombre dans la mer africaine. J’ai peur, j’ai froid. Je ne suis plus rien, ni derrière, ni devant. Qui sait où le passeur nous mènera et s’il respectera notre accord ? Je serre mes enfants contre moi : Dormez, dormez, mes petits. Quand vous vous réveillerez, nous serons arrivés. »
Ainsi débute « La Fortuna », premier roman de Françoise Gallo (éditions Liana Lévi), auteur réalisatrice de fictions et de documentaires. « Je me suis battue pour garder ce début », nous confie-t-elle d’une vois chaude et calme, le regard ému. Elle a eu raison, car cet incipit fracassant donne d’emblée le ton à l’un des plus beaux textes parus ces derniers temps, et qui mériterait l’imprimatur en langue italienne. Le projet de ce livre a accompagné Françoise Gallo pendant longtemps, depuis l’écriture et la réalisation du documentaire « Stessa Luna », prix SCAM « Brouillon d’un rêve littéraire en 2007 », qui en constitue la version cinématographique. « Le film a servi de modèle à mon récit », dit-elle.
On pourrait croire, à la lecture de ces premières lignes, qu’il s’agit de la traversée périlleuse de l’un de ces migrants qui tentent, de nos jours, d’aborder nos rivages. Il n’en est rien, et bien que cette actualité tragique apparaît en filigrane tout au long du livre, l’auteur s’est inspirée de l’histoire de son arrière grand-mère paternelle, Giuseppa La Fortuna, née bâtarde, laissée à trois mois dans le tour d’abandon d’un couvent et élevée par des religieuses. En 1901, avec son mari Francesco et leurs quatre enfants, Giuseppa quitte sa Sicile natale, cette île « frappée de tous côtés par la beauté et le malheur », pour trouver une meilleure vie en Tunisie. Cette migration italo-tunisienne est peu connue. Pourtant ils furent nombreux, les Siciliens qui s’installèrent, au début du siècle dernier, dans la médina de Tunis ou ailleurs, notamment dans le port de la Goulette, près de Tunis, qu’on appelle aujourd’hui encore « la Petite Sicile » et où avait lieu chaque année, au 15 août, la procession de la Vierge de Trapani.
Françoise Gallo a vécu en symbiose avec Giuseppa La Fortuna, son héroïne et double littéraire. Elle a « guetté » son personnage tous les jours, avec acharnement. Elle l’a portée en elle. Les grands romanciers russes – Gogol en particulier – et les auteurs siciliens bien entendu, l’ont marquée. Leonardo Sciascia, qu’elle admire par-dessus tout, qu’elle rencontra à Racalmuto dans la Province d’Agrigento en 1979, l’avait encouragée à écrire sur la Sicile. Elle le lui promit. Elle tient, aujourd’hui, brillamment parole.
« Je me suis demandée comment évoquer l’histoire de Giuseppa. Elle m’avait été relatée par mon père et avait illuminé ma jeunesse. Comment décrire cette femme et sa révolte sourde contre l’hostilité du destin ? Je suis enfin sortie de moi pour entrer en elle », avoue-t-elle.
A ses débuts, Françoise Gallo a rédigé des papiers dans la presse où elle a appris la concision, à « faire des brèves », dit-elle accompagnant ses mots de gestes lents, mesurés. Elle écrit comme elle parle. Avec finesse et justesse. On est ému en lisant ces pages qui évoquent une Sicile évanouie. Si l’histoire est singulière, c’est le style qui en fait la force et emporte l’adhésion : sens du rythme, personnages évoqués par touches saisissantes, art du raccourci, formules poétiques inattendues. Tout, dans « La Fortuna », nous remue et nous enchante.
Carlo Jansiti
LE LIVRE:
La Fortuna
de Françoise Gallo
Editions Liana Lévi
Date de parution : 3 octobre 2019
144 pages – 15,00 €
Version numérique – 11,99 €
L’AUTEUR:
Françoise Gallo, née en Tunisie dans une famille sicilienne, rejoint à huit ans la Provence. Elle écrit et réalise des fictions et des documentaires. En 2006, elle signe un 52 minutes, Stessa Luna, Prix SCAM «Brouillon d’un rêve littéraire», point de départ de l’écriture de ce roman inspiré de l’histoire de sa famille, et de tant d’autres. Elle vit entre Aix-en-Provence et Paris. La Fortuna est son premier roman.
(photo du logo Paolina Mirontaine)