Les mouvements slow ont la cote en Italie. Sur le même principe que “Slow Food”, “Slow City”… , “Slow School” est un réseau de parents et enseignants qui demandent une école plus lente pour leurs fils et leurs filles, une éducation pédagogique “slow”, non violente, qui respecte les rythmes et les droits des enfants. Il n’est bien sûr pas question pour les tenants de l’éducation lente de ralentir les enfants, mais bien de trouver les rythmes adaptés à chacun. Réflexions d’une institutrice italienne de la Spezia sur le sujet.
« Les choses de tous les jours racontent leurs secrets à celui qui sait regarder et écouter… » jusqu’à lui révéler que « pour faire une table, il faut une fleur ». Et, à vrai dire, on finit par découvrir que « pour tout faire, il faut une fleur » .
On doit ces paroles à Gianni Rodari, la musique et la voix à Sergio Endrigo. Depuis un certain temps, je propose à un moment ou à un autre de l’année scolaire cette chanson aux enfants, ainsi que son texte illustré. Je me force ensuite à attendre leurs observations, leurs hypothèses, leurs questions. Et elles arrivent. Toujours. Il suffit de savoir attendre. Savoir attendre devrait justement être l’une de mes compétences professionnelles fondamentales. Je dis que ça « devrait », parce qu’en réalité, même à l’école primaire, on nous demande toujours de courir, d’aller vite. Non pas parce que courir, sauter, toucher, sentir, regarder… sont des passages obligatoires de la croissance et qu’il faut les vivre intensément ; mais simplement parce, derrière, qu’il y a toujours un adulte pressé. On n’a malheureusement pas le temps d’attendre qu’une fleur devienne une table. Pas de chance si ce sont les parents qui sont pressés, prisonniers d’un rythme de vie qui n’a pas grand chose à voir avec celui des enfants (le rythme du travail quotidien, le travail au noir, les difficultés des familles émigrées…). Pas de chance si ce sont les instituteurs qui ont peur d’avoir mal organisé leur journée quand ils ne peuvent pas témoigner du travail effectué par une production concrète.
Professionnellement, je suis institutrice d’école primaire et j’appartiens à la typologie des enseignants qui cherchent à s’occuper principalement des parcours et des modèles que les enfants explorent, suivent, entrelacent, défont et reconstruisent au quotidien, pour construire leur pensée. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est le chemin, plus que le résultat. Ce qui m’intéresse, ce sont les « projets » que l’on construit avec les enfants, en empruntant des routes généralement non-prédéfinies. Ce qui m’intéresse surtout, c’est de chercher à stimuler l’apprentissage, de sorte que les enfants puissent devenir des adultes qui aient « une tête bien faite plutôt que bien pleine » ; ou encore, pour remettre au goût du jour l’inexorable Maria Montessori, qu’ils puissent être en mesure de dire « aide-moi à faire tout seul ». Ce qui m’intéresse, c’est de dessiner des cartes et apprendre à les lire avec les enfants, plutôt que de les habituer à se servir d’un GPS.
Il y a quelques années déjà, à l’occasion de l’anniversaire de la déclaration des droits de l’enfance et de l’adolescence, j’ai discuté sur ce thème avec un groupe d’élèves de 4 et 5 ans et l’un d’eux a dit : « Les enfants peuvent regarder le ciel et les étoiles et voler, regarder les papillons et nager dans l’eau légère ».
Il faut du temps pour faire ça ; il faut du temps pour écouter les enfants, pour leur permettre de vivre à leur propre rythme et leur enseigner que cela aussi fait partie de leurs droits. Il faut savoir avancer lentement. Être un peu comme les tortues ou les escargots : des petits animaux stratégiques. Ceux-là ont une maison sur le dos et savent se protéger ; ils ont une longue durée de vie, savent creuser et se déplacer sous terre, mais aussi nager; ils nous viennent d’un passé lointain et marchent vers le futur. Quant à nous, êtres humains, qui avons mis tant de temps à apparaître sur terre et qui avons besoin de neuf bons mois (280 jours) pour préparer notre naissance, où donc devrions-nous courir ? Où doivent courir les enfants, si ce n’est vers la découverte du temps et de l’espace et des relations qui les lient, ou encore des relations qui lient les êtres humains à cet espace-temps sur la Terre ?
Ils doivent aussi se préparer à être uniques, comme la célèbre rose qui « choisissait avec soin ses couleurs, s’habillait lentement, ajustait un à un ses pétales. »
[[A. de Saint-Exupéry, Il piccolo principe, Tascabili Bompiani.pag.39]]
Gianfranco Zavalloni est le pédagogue qui a défini – ou peut-être serait-il plus juste de dire le pédagogue qui a eu la cohérence de rappeler – les droits indiscutables des enfants. Des droits naturels, qu’il a ainsi énoncés :
1. DROIT À L’OISIVETÉ
droit de vivre des moments de temps non programmé par les adultes;
2. DROIT DE SE SALIR
droit de jouer avec le sable, la terre, l’herbe, les feuilles, l’eau, les cailloux, les branchages;
3. DROIT AUX ODEURS
droit de percevoir le goût des odeurs, reconnaître les parfums qu’offre la nature;
4. DROIT AU DIALOGUE
droit d’être écouté et de prendre la parole, intervenir et discuter;
5. DROIT À L’USAGE DES MAINS
droit de planter des clous, scier et poncer du bois, polir, coller, modeler de la pâte d’argile, nouer des cordes, allumer un feu;
6. DROIT DE PARTIR DU BON PIED
droit de manger une nourriture saine dès la naissance, de boire de l’eau claire et respirer de l’air pur;
7. DROIT À LA RUE
droit de jouer librement sur les places, de marcher dans la rue;
8. DROIT À LA VIE SAUVAGE
droit de construire un refuge dans les bois, d’avoir des roseaux où se cacher et des arbres sur lesquels grimper;
9. DROIT AU SILENCE
droit d’écouter le souffle du vent, le chant des oiseaux, le gargouillis de l’eau;
10. DROIT AUX NUANCES DE COULEURS
droit d’assister au lever et au coucher du soleil, d’admirer, la nuit, la lune et les
étoiles.
Pour pouvoir faire ça, au moins à l’école, il faut des adultes/professeurs qui sachent rappeler à quel point les êtres humains sont proches de la terre et semblables aux arbres, avec des racines enfoncées dans le sol mais la cime qui regarde le ciel. « Un arbre écoute les comètes, les planètes, les constellations, les essaims. Il ressent les tempêtes du soleil et veille avec autant d’attention sur les cigales qui sont sur lui. Un arbre est une alliance entre le proche et l’infiniment loin ».
[[Erri de Luca, Tre cavalli, Feltrinelli, 2000. Pag 19]]
C’est toujours la même histoire, il faut des arbres et des fleurs. Il faut une école qui sache vraiment aller lentement, une « slow school »
[[Penny Ritscher, Slow school, ed Giunti, 2011]],
comme la définit Penny Ritscher qui applique la pédagogie de l’escargot
[[Gianfranco Zavalloni, La pedagogia della lumaca, EMI, 2008.]].
Une école habitée par des adultes/professeurs qui n’aient pas peur d’être « plus lents, plus doux, plus profonds » (Alexander Langer). Alors, peut-être, pourrait-on procéder comme des randonneurs de montagne : chacun à son rythme, respectant son propre pas et celui des autres. J’aimerais ajouter : de manière responsable. Avec la responsabilité d’un professionnel qui « joue » pendant les premières années de vie des enfants dans le but de favoriser autant que possible la structuration d’adultes capables de construire des savoirs et d’agir avec responsabilité et sens critique.
Un adulte/professeur doit être un « homo faber » permanent, utilisant et développant des capacités de collaboration
[[Richard Sennett, Insieme. Rituali, piaceri, politiche della collaborazione, e L’uomo artigiano, Feltrinelli, 2012.]],
mais aussi un « homo agricola » exerçant et transmettant sa capacité de savoir attendre. En ce sens, cultiver un potager ou s’occuper d’un jardin pourrait être l’une des propositions pédagogiques et didactiques les plus intéressantes et efficaces que l’école puisse adopter. Et pas seulement pour le respect des droits naturels cités plus haut : pour la possibilité de travailler sur les émotions et les relations, non pas de manière théorique en distribuant des étiquettes verbales, mais en se mesurant concrètement au travail et au vivre-ensemble. Il faut du temps pour travailler la terre, pour la semence, pour la maturation, pour la récolte. Il faut de la responsabilité pour ne pas oublier d’arroser. Il faut du temps pour apprendre à choisir les aliments et être capable d’en garantir à tout le monde (si les adultes responsables ont des têtes bien faites). Il faut du temps pour apprendre à faire tout ça ensemble.
« Nous, enfants, devons prendre soin du jardin et des sentiments », rapporte Tiziana Sandro, soutenant que le jardin est « la métaphore d’une longue récolte qui renvoie à l’expérience symbolique où délimiter, dessiner des micro-paysages, remuer le terreau, semer, irriguer, deviennent des gestes rituels destinés à appréhender le mystère du cycle de la vie »
[[Tiziana Sandro, in Ecologica-mente : insegnamento dell’ecologia/ecologiadell’insegnamento, a cura di Maurizio Parodi, Irre Liguria, 2002, pag. 43]].
Encore une fois, il faut des instituteurs qui assument la responsabilité d’organiser leur travail, qui choisissent s’ils veulent mettre en place des ambiances, du matériel, des propositions pour certifier des connaissances ou pour explorer des savoirs. Il serait donc primordial de donner « une valeur didactique au silence épistémologique […]. Une expérience quelle qu’elle soit requiert un certain espace pour pouvoir être appréciée à sa juste valeur et prendre du sens […]. Et c’est pour cela qu’il est nécessaire de suspendre l’engrenage de l’action […] et de se réapproprier une dimension toujours plus refoulée et méprisée : celle de l’attente »
[[Maurizio Parodi, La scuola che fa male, Liberodiscrivere edizioni, 2009.pag 170]]
Une dimension qui s’approprie le silence « comme une attitude d’écoute, autrement dit d’accueil de la pensée d’autrui […], comme un espace « démocratique » exempté de tout préjugé […]. Un silence chargé du souvenir des expériences faites, où les esprits […] peuvent exprimer et reconnaître leurs relations avec le monde […]. Ce silence […] est le socle sur lequel la parole peut prendre la forme et le corps d’un dialogue. Le dialogue […] est un lieu d’élaboration de connaissances, où se bâtissent les théories […]. Une connaissance complexe, dont la structure est faite de relations plus que d’objets ou de concepts, trouve dans une situation d’interrelations vives un terrain fertile pour être représentée et verbalisée, l’humus naturel pour croître et donner des fleurs et des fruits »
[[Marcello Sala, in La scuola che fa male, Maurizio Parodi, Liberodiscrivere edizioni, 2009. Pag 170-171]].
« Plus lent, plus doux, plus profond ».
Simonetta Musetti
La rédaction d’Altritaliani.net remercie vivement Charlotte Leclerc pour sa traduction de l’italien en langue française de l’article de Simonetta Musetti.
Version originale: https://altritaliani.net/article-per-una-scuola-lenta-rispettosa/