À l’occasion du 150e anniversaire de l’unité de l’Italie, les éditions Editalie ont voulu célébrer l’émigration italienne en lui consacrant un ouvrage complet, composé de nombreux témoignages et réflexions sur le sujet. Cette histoire trouve dans ce livre le lieu de sa reconnaissance, à une époque où la mémoire fait souvent défaut. Une histoire de l’émigration, vue de l’intérieur, par ceux-là mêmes qui l’ont faite. Une vision réaliste et sans complaisance, loin des clichés et de l’autocélébration. Laure Teulières, historienne et maître de conférence à l’Université de Toulouse Le Mirail, coordinatrice de l’ouvrage auquel ont participé pas moins de 50 historiens et témoins, nous en parle dans la préface que nous reproduisons en accord et collaboration avec nos amis de Radici.
À l’occasion du cent cinquantenaire de l’Unité,
il semblait indispensable de marquer ce que
l’émigration représente dans l’histoire italienne
contemporaine. Car avec près de 27 millions
d’émigrants, la vie de la Péninsule doit beaucoup
à cette Italia all’estero trop souvent passée
sous silence.
L’ouvrage est le résultat du travail et des échanges
noués avec toute une palette d’auteurs spécialistes
de la question. Selon un seul principe :
rassembler les meilleurs connaisseurs, les chercheurs
et universitaires qui abordent le sujet
dans une approche scientifique, mais aussi des
témoins pouvant transmettre leur expérience.
Le projet a germé à travers la revue RADICI et sa
rubrique «Histoire de l’émigration» – co-dirigée
avec mon collègue italianiste Frédéric
Spagnoli – qui offre dans chaque numéro un
rendez-vous régulier aux lecteurs. Autant d’articles
originaux, d’histoires, de portraits, de chroniques
qui avaient donné matière à un hors-série
publié en 2007 qui fut bientôt épuisé… et toujours
réclamé ! D’où l’idée d’éditer, sous forme de
livre, une version revue et augmentée. Les articles
ont été remaniés, enrichis, illustrés de neuf,
et complétés surtout de textes nouveaux, dont
plusieurs inédits remarquables.
Au total, 500 pages pour parcourir plus d’un siècle
d’histoire. Mais sur le mode du florilège.
«ITALIENS. 150 ans d’émigration» réunit en effet
des contributions d’une grande diversité présentant
autant d’épisodes, de parcours, de portraits.
Depuis les provinces de la Péninsule –
Vénétie, Frioul, Trentin, Émilie, Sicile… – , marquées
chacune à sa manière par les allers-retours
migratoires ou les départs définitifs ; jusqu’aux
terres d’accueil en France et ailleurs. Des villes
d’abord, où les immigrés ont pris place au sein
de populations mêlées. Nice, bien sûr, avec
entre autres singularités de n’être rattachée à la
France qu’en 1860, mais aussi Grenoble ou
Marseille, fort dissemblables et pourtant, l’une
comme l’autre, ville italienne. Dans la capitale,
ce sont les quartiers populaires de La Villette,
du faubourg Saint-Antoine ou la ceinture
« rouge » de banlieue. Cette présence est aussi
abordée à l’échelle régionale : la Lorraine et
l’aventure des mineurs du fer, le Nord où tant
d’Italiennes furent ouvrières du textile, le Sud-
Ouest devenu dans les années 1920 une forte
zone d’immigration rurale… et tant d’autres territoires
dont on sait moins combien les
Transalpins y ont fait souche, en Normandie,
dans les Vosges ou en Franche-Comté.
Quelques contrées plus lointaines – la Tunisie,
le Luxembourg ou l’Amérique, jusqu’à l’étonnant
petit village mexicain de Chipilo – élargissent
la perspective.
L’univers du travail est au cœur des parcours
des émigrés. Charbonniers toscans ou bergamasques, sidérurgistes, métiers du bâtiment
qui furent assurément un vecteur privilégié
d’intégration, et d’autres milieux professionnels
comme ceux de la restauration ou de la boutique…
On verra aussi le cas particulier des paysans
: comment les immigrants sont venus
s’établir à la terre, prenant des fermes à l’abandon
pour s’enraciner définitivement dans les
terroirs occitans de Gascogne et du Midi toulousain.
Un chapitre rappelle la place centrale
des femmes dans l’émigration. Un autre ses
aspects politiques autour de l’exil antifasciste
de l’entre-deux-guerres. On trouve également
des éléments de réflexion sur les mécanisme de
la xénophobie à travers les conflits ouvriers de
la fin du XIXe siècle – dont bien sûr la tuerie
d’Aigues-Mortes en 1893.
Les lecteurs feront aussi leur miel des contributions
sur le patrimoine culturel : le trésor des
chants populaires ; la naissance du musette,
emblématique d’un métissage musical réussi ; le
cinéma et les images d’émigrants qui ont
construit notre imaginaire… L’italianité est explorée
dans ses aspects littéraires ou architecturaux,
comme à travers l’entrée plus prosaïque, mais ô
combien fondamentale, des usages alimentaires.
On peut y sentir, enfin, que la mémoire tient bon
et se réinvente autour de ce passé, quand la
curiosité revivifie le lien généalogique ou que
naissent de nouvelles dynamiques interculturelles
– tels les jumelages entre communes françaises
et italiennes – ou sociales – à l’exemple des
solidarités promues par l’association Trentini nel
mondo.
C’est aussi par le prisme de la mémoire
que l’on revient sur des événements qui ont
cruellement marqué l’histoire de l’émigration : le
drame d’Izourt en Ariège en 1939, et surtout la
terrible catastrophe minière de Marcinelle en
Wallonie, en 1956.
Plusieurs textes émanent d’émigrés ou de descendants
qui ont pris eux-mêmes la parole pour dire
cette histoire. C’est un choix tout à fait délibéré.
Car les récits de vie sont une autre manière de
comprendre les choses et d’en rendre compte. La
palette a été voulue large, là encore, d’un Italien
de la seconde génération ayant fait toute sa carrière
dans les usines De Wendel à Hayange, à un
autre formé au Petit Séminaire, ordonné prêtre
en France, avant d’animer finalement la paroisse
italienne de Toulouse. Il y a aussi l’exemple de
cette femme, émigrée et paysanne, que tout dans
sa condition prédisposait à être une « sans-voix »
et qui se mit en tête, l’âge venu, de rédiger un carnet
autobiographique pour transmettre aux siens
ce qui lui semblait essentiel.
Par définition, les témoignages vécus racontent
des tranches de vie toutes personnelles.
Beaucoup y retrouveront pourtant l’écho de leur
propre aventure ou de celle de leurs aïeux. Car
les choses sont partagées dans ces pages en
toute sensibilité, telle la touchante histoire
d’amour de Fani et Raffaello, ou la leçon de courage et d’amitié narrée aujourd’hui par Giovanni
qui n’avait que dix ans quand ses parents l’amenèrent
en France à la fin des années 1940… Fille
ou fils, petite-fille ou petit-fils d’émigrés, chacun
nous livre une réflexion subtile sur la partenza,
le déracinement, l’adaptation, les transformations
et réinventions identitaires, les gestes et
les habitudes où se niche encore l’italianité des
vieux migrants. Sur la transmission aussi, la
force, la douleur et la douceur d’un héritage culturel
chahuté par la migration. Ainsi le dialogue
composé par des lycéennes de section européenne
italien, parties en quête de leurs histoires
familiales respectives, reconstituant le destin
de leurs grands-parents, et comparant ce qui
leur a été transmis – ou pas. C’est un signe que
la quête mémorielle, quand elle devient matière
à des projets pédagogiques biens conduits, peut
contribuer à des réflexions utiles sur l’expression
des identités dans la société d’aujourd’hui
et nourrir l’éducation à la citoyenneté.
À feuilleter cet ouvrage kaléidoscope, on voit
qu’il donne une place exceptionnelle aux photographies
anciennes. Ces sources ont en effet
leur force propre et constituent une trace inestimable.
Quant aux contributions écrites, c’est
à la lecture qu’on en découvre la saveur. En tant
que coordonnatrice de l’ensemble, je remercie
très chaleureusement les différents auteurs qui
y ont contribué. C’est grâce à leur talent et leurs
connaissances que l’on peut espérer restituer au
plus grand nombre, au plus large public, un
aperçu de cette histoire.
La France a été façonnée par l’immigration
depuis plus d’un siècle. Bon nombre de Français
ont d’ailleurs des origines étrangères. Après avoir
longtemps été enfoui, négligé, le temps semble
venu pour cet apport immigré de refaire surface.
Le souci des racines, en ce sens, ne découle pas
d’une démarche passéiste. C’est plutôt la reconnaissance
de la richesse qu’il peut y avoir à se
réclamer d’une double appartenance. Entre expatriation
et enracinement, les émigrés-immigrés
ont fait naître un lien franco-italien tout particulier.
Et ce lien ne demande qu’à vivre.
D’autant que l’histoire semble s’inverser
aujourd’hui sous nos yeux, et c’est cela aussi
que nous avons voulu souligner dans un dernier
chapitre.
Les paquebots transatlantiques qui, au
début du siècle passé, amenaient des cargaisons
d’Italiens pauvres tenter leur chance outremer
ont laissé place aux périlleuses embarcations
qui traversent la Méditerranée parce que d’autres
jeunes cherchent à leur tour les moyens de
vivre. Car c’est maintenant la Botte qui fait
figure d’Eldorado pour des étrangers originaires
des Balkans, du Moyen-Orient, d’Afrique ou
d’ailleurs. À l’heure où l’Italie, après la France,
est devenue à son tour terre d’accueil – et souvent
d’ostracisme –, se souvenir du parcours
des migrants d’hier importe donc aussi pour le
présent.
Laure TEULIERES
— –
ITALIENS 150 ans d’émigration en France et ailleurs
Collectif, sous la direction de Laure Teulières
550 pages
Parution : 05/2011
Editeur : Editalie éditions
Langue : français
Prix : 35,00 euros+ 5€ de frais de port
Pour commander l’ouvrage par internet, cliquez ICI
— –
Altritaliani vous recommande aussi :
CD – ITALIENS 150 ANS d’émigration chantée
Gualtiero Bertelli et La Compagnia delle Acque
Nos émigrants et leurs chants, leur musique : inséparables ! Les émigrants italiens, partis entre le XIXe et le XXe siècle par centaines de milliers vers les destinations les plus lointaines et les plus diverses, ont emporté avec eux peu de bagages, beaucoup de peurs, de grands espoirs et des chants, de nombreux chants de leur terre, qu’ils ont jalousement conservés pendant des décennies. C’est dans le cadre de ce travail sur la mémoire que se situe la production de ce CD de chants italiens d’émigration. ITALIENS, 150 ans d’émigration chantée voit le jour parce que cette mémoire est fragile, parce qu’elle pourrait disparaître avec ceux qui en sont les dépositaires, parce que la vie des immigrés italiens du XXe siècle nous parle de celle des migrants d’aujourd’hui.
EDITALIE éditions
15 € + 2 € de frais de port
Pour commander le CD cliquer ICI