Carnet de notes pour une Orestie africaine, de Pier Paolo Pasolini

« Pourquoi réaliser une œuvre alors qu’il est si beau de seulement la rêver ».

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« Le Carnet de notes pour une Orestie africaine« , œuvre atypique de ce cinéaste hors normes devait être diffusé (en 1970) par la RAI qui, invoquant toute sorte de problèmes techniques, refuse de le programmer, en réalité pour des raisons idéologiques.
Déjà en 1959, à la demande de Vittorio GASSMAN, alors directeur du Teatro Popolare Italiano, Pier Paolo Pasolini traduit « L’ORESTIE » d’ESCHYLE drame en trois parties (Agamemnon, Les Choéphores et Les Euménides). Il le rebaptise « L’ORESTIADE ».
La pièce, mise en scène par Luciano LUCIGNANI, fut donnée dans le théâtre antique de Syracuse en 1960, le rôle d’Oreste étant tenu par Gassman.

« Le drame d’ESCHYLE est de l’aveu même du traducteur l’œuvre qu’il préfère. Elle raconte comment naît la démocratie à la suite du meurtre d’Agamemnon, par son épouse Clytemnestre et le matricide de celle-ci par Oreste avec la complicité de sa soeur Electre.

« Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité un mortel, Oreste, va être jugé par un tribunal humain (qui l’acquitte) et non plus par les Dieux. Ce sont les premiers pas de la démocratie sous l’impulsion de la déesse Athéna.
La traduction de PPP est à ce jour la plus jouée, sans doute parce que le poète a toujours privilégié une approche  » inspirée » des œuvres plutôt qu’une traduction littérale. De la même façon que dans nombre de ses films il pousse l’analogie entre le rite païen et le christianisme (Médée, Oedipe roi, Le Décameron), ici il établit des ponts entre la naissance de la démocratie dans la Grèce antique et la disparition des sociétés tribales sur le continent africain. Il développe une métaphore politique dans son approche pédagogique ; lecture marxisante typique des années 50, d’un proche du PC italien et de son fondateur GRAMSCI.
Les Erynies (furies chez les Grecs) forces irrationnelles archaïques se transforment en Euménides (les Bienveillantes) forces rationnelles d’un nouveau monde démocratique.
Le film à faire est en fait un film en soi : parti en Afrique subsaharienne avec une caméra 16mn pour faire des repérages en vue du tournage d’un long métrage PPP se met en scène dès le début du film et commente son essai :

« Je me reflète avec ma camera dans la vitrine d’un magasin. Je suis venu pour tourner, mais tourner quoi ; ni un film, ni un documentaire mais des notes ».

Il réfléchit au casting et capte dans un noir et blanc sublime la vie quotidienne des petites gens et les atteintes de la modernité. Il trouve des concordances entre le monde matriarcal africain et le monde Grec au moment où ce continent se relève de sanglantes guerres post coloniales : insoutenables images d’archives de la guerre au Biafra, charniers, exécutions sommaires, phénomènes précurseurs d’atrocités à venir.

L’intellectuel engagé, rêve de concilier les forces archaïques aux force modernes :
« En dedans de nous il y a Athènes » mais n’essaie pas d’imposer sa vision et n’a pas peur de soumettre ses appunti à un groupe d’étudiants africains. Ils ne se gênent pas pour lui dire qu’il n’y comprend rien:
« L’Afrique ça n’existe pas! »
L’artiste maudit interroge « le contemporain », notre démocratie et son film acquiert une résonance toute particulière aujourd’hui.
« Les problèmes ne se résolvent pas, ils se vivent, et la vie est lente ».

« Le poète visionnaire propose une exploration audacieuse et maniériste des mythes anciens. Le drame est intimement mêlé à la nature, les chants et les danses exaltent la poésie des corps.

Les Erynies personnalisées par les arbres séculaires secoués par les vents, les fumées porteuses des peurs ancestrales, le saxo fou de Gato BARBIERI hurlant des terreurs barbares donnent à ces « appunti » à la frontière de la fiction et du documentaire une vibration lyrique intemporelle.

Marie SOREL

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