Le 16ème Festival international du Cinéma documentaire de Nyon, en Suisse, s’est tenu du 15 au 21 avril dernier. La production italienne ou sur l’Italie y était aussi nombreuse que de qualité.
La sélection du festival ‘Visions du Réel’ de Nyon, charmante petite bourgade sur les bords du lac Léman à quelques kilomètres de Genève, a cette année encore été à la hauteur de la réputation de ce haut lieu du film documentaire.
Tandis que le cinéma italien, décimé depuis la fin des années 1980 par les télévisions commerciales de l’empire Mediaset, tente non sans mal de recouvrer une vitalité et une richesse perdues, le film documentaire transalpin semble pour sa part confirmer l’essor initié depuis une bonne décennie. Cette 16ème édition de ‘Visions du Réel’ a permis de le vérifier.
L’Italie y a en effet occupé une place importante, tant par la nationalité de nombre de réalisateurs de films présentés que comme pays où des documentaristes du monde entier ont été planter leur caméra. A l’instar du belge Gilles Coton qui signe un hallucinant Qui finisce l’Italia , road-movie le long des côtes de la péninsule, sur les traces d’un autre voyage, effectué celui-là à la fin des années 1950 par Pier Paolo Pasolini, «La longue route de sable» (1959).
Le réalisateur entre dans cette Italie de la fin des années 2000 par la frontière française, à Vintimiglia, pour descendre d’abord le long de la mer Tyrrhénienne jusqu’à la pointe sud de la Sicile, avant de remonter, de Calabre aux Pouilles jusqu’à Venise, l’Adriatique et ses kilomètres de lidi quasi identiques. D’étape en étape, Gilles Coton esquisse un portrait de l’Italie contemporaine, d’une rencontre à l’autre : de l’ancien maire-philosophe de Venise Massimo Cacciari à l’écrivain Claudio Magris qui évoque le Pasolini qu’il a connu jadis, des parents de Carlo Giuliani, ce jeune homme tué piazza Alimonda à Gênes par la police lors des manifestations contre le G-8 de 2001, jusqu’à des anonymes croisés dans une rue de Naples ou aux ombres entr’aperçues dans les «villages des bandits» du sud de la Calabre. Sa caméra traverse ainsi ce pays où Berlusconi apparaît sans cesse dans un coin de l’écran, sur des télévisions toujours allumées, et le regard du réalisateur se fait sévère, en dépit du contraste avec la beauté des longs travellings sur des paysages splendides, sur une société qui, dixit le père de Carlo Giuliani, se caractérise aujourd’hui par «un manque de dignité». Une société où les écolières rêvent en majorité de devenir des veline, ces bimbos à moitié dénudées de Canale 5, et où l’on vénère d’abord Big Brother et le football… Au final, de l’œuvre de Gilles Coton, subtile peinture sociocritique, émane le parfum aigre-doux d’un pays en pleine déliquescence morale, que l’on aime tant mais dont on observe les défauts sans cesse empirer.
Autre voyage à travers la péninsule, moins acide celui-là, L’Ultima isola , de Margherita Cascio, nous transporte lentement jusqu’aux Éoliennes, ces îles-volcans surgissant des profondeurs de la mer au nord de la Sicile. Terminus Alicudi. La dernière, la plus lointaine, la plus sauvage. Celle où l’électricité est arrivée il y a à peine plus de dix ans. Depuis Turin, la réalisatrice suit avec sa caméra le retour d’un père, modeste concierge qui y vécut autrefois, jusqu’à Alicudi. Voulant la faire découvrir à son jeune fils, il se remémore ses plus belles années, celles d’un temps lointain, en avançant peu à peu, serein, au fil de longs panoramiques, jusqu’à cette montagne entourée d’une eau azur.
Egalement loin du bruit et de la fureur de notre époque, Il velo , premier film réalisé par Mattia Colombo, nous fait pénétrer, presque sur la pointe des pieds, dans un couvent de nonnes quelque part à Venise. Véritable petit bijou, ce court métrage d’à peine dix-huit minutes est une œuvre intimiste, très léchée formellement, non sans humour parfois – on se souviendra longtemps d’un plan de kermesse sur un campo vénitien où deux sœurs se trémoussent sur le YMCA des Village People ! – où le temps s’écoule lentement et les sentiments s’expriment avec autant de douceur que de franchise. Il velo est donc une plongée au cœur d’un monde voilé, dissimulé derrière les hauts murs du monastère.
Présenter l’ensemble des œuvres sélectionnées dans les nombreuses sections de ce seizième opus de ‘Visions du Réel’ ayant trait à l’univers transalpin serait une entreprise de longue haleine, et rares sont les festivaliers qui eux-mêmes ont pu assister à toutes leurs projections. Il faut néanmoins citer le curieux Giallo a Milano de Sergio Basso, portrait atypique de la communauté chinoise de la capitale lombarde, installée (discrètement) depuis plusieurs décennies.
En somme, cette édition 2010 de Visions du réel s’est une fois de plus caractérisée par une très forte exigence de qualité, formelle notamment, et l’on doit saluer la curiosité de l’équipe réunie autour de Jean Perret, le directeur de cet événement depuis sa création qui laisse la place à partir de l’année prochaine.
Beaucoup de films d’autres pays et d’autres continents étaient en effet sélectionnés et Nyon peut s’enorgueillir de proposer un formidable festival international. Un grand nombre de films asiatiques, en particulier chinois, étaient présentés, tout comme des films du continent américain, du nord au sud. Sans oublier le très beau Aisheen (Still alive in Gaza ) du suisse Nicolas Wadimoff, projeté en ouverture du festival et récompensé au palmarès, magistralement filmé dans le territoire palestinien en ruines, quelques semaines seulement après l’offensive israélienne de janvier 2009.
Il est à parier que l’Italie sera également très présente dans les années futures puisque dès 2011, le festival de Nyon aura pour directeur un Italien, en la personne de Luciano Barisone, le créateur de l’Infinity Festival d’Alba et jusqu’à présent directeur artistique du réputé Festival dei Popoli de Florence. Rendez-vous donc en avril prochain pour la 17ème édition !
Olivier Doubre