La deuxième édition milanaise de Tempo di Libri qui s’est tenue du 8 au 12 mars a été une réussite, mais deux salons du livre à deux mois d’intervalle, est-ce raisonnable ?
« Milano ha risposto, Milano ha apprezzato » lançait, lors de la clôture de Tempo di Libri, Ricardo Franco Levi, le président de l’AIE (Association des éditeurs italiens).
Il est vrai que lui et Andrea Kerbaker, le nouveau directeur de cette manifestation, pouvaient se dire satisfaits: par rapport au fiasco de l’an dernier, les chiffres étaient là pour témoigner du succès de la manifestation: plus de 100 000 entrées, 30 000 de plus que l’an dernier (165 000 au Salon du livre de Turin, la même année).
Plusieurs explications à cela: d’abord, le changement de lieu. Le Salon qui, l’an dernier, s’était tenu à Rhò Fiera, dans la banlieue de Milan, dans un lieu sans âme et bourré de courants d’air, a été déplacé beaucoup plus près du centre de Milan, à Milano Fiera, plus convivial et chaleureux, y compris grâce à ses points de restauration et ses stands de glaces et de hot-dogs haut de gamme. L’ouverture le jeudi a permis aux scolaires de venir en nombre (16 000) et d’apporter une note encore plus joyeuse à la manifestation. Autre motif de satisfaction: le nombre d’agents littéraires qui ont répondu présents pour le MIRC, le marché d’échanges de droits, avec 500 agents dont 170 étrangers, et organisé de manière impeccable. Enfin, la programmation, soigneusement pensée par thèmes – un thème par jour – était de nature à intéresser toutes sortes de publics par sa richesse et sa diversité.
La soirée inaugurale, le mercredi 7 mars, se voulait un hommage à la lecture, avec un texte d’Umberto Eco et toute une série d’incipit de grandes œuvres littéraires déclamés par des étudiants.
Le jeudi 8, qui coïncidait avec la Festa delle Donne, a été consacré aux Femmes, qu’elles soient auteures de romans, d’essais, de chansons, de livres de cuisine ou journalistes.
Vendredi, en résonance avec les 50 ans de mai 1968, le thème était celui de la Rébellion, sans se limiter à la simple commémoration de la révolte étudiante, mais en abordant le devenir de la planète, l’économie ou encore les «printemps arabes».
A tout seigneur, tout honneur, le samedi a vu la ville de Milan superstar, avec la présence de nombreux auteurs milanais et la célébration des 110 ans de l’Inter, une des grandes équipes de foot de la ville.
Le dimanche, il pleuvait à verse, et les gens sont venus en masse et en famille, avec poussettes et enfants brandissant des ballons, qui ont pris d’assaut les self-services. Le thème était Livres et Images, à travers les langages artistiques, photo, peinture, bandes dessinées et la présence, entre autres, de Philippe Daverio, Umberto Pasti ou encore Helena Janeczek, auteur d’un roman consacré à la photographe Gerda Taro, compagne de Robert Capa.
Enfin, le thème du lundi était Mondo Digitale et présentait les perspectives d’avenir en matière d’édition de livres, les nouvelles habitudes des lecteurs ainsi que les « folies » de l’ère digitale.
Malgré la malchance qui a empêché certains grands auteurs étrangers d’être présents (Luis Sepùlveda, R. Doyle ou encore Yasmine El Rashidi, écrivain égyptienne privée de visa par son pays), les auteurs étaient nombreux: pas moins de 900 pour 650 rencontres. Nous avons assisté à certaines dans l’Arena Robinson, organisées par le quotidien La Repubblica, écouté le poète Valerio Magrelli lire une série de poèmes inédits devant un public passionné, suivi la rencontre, dans une salle comble, avec la jeune Rossella Postorino, auteur des Assaggiatrici (Feltrinelli), roman à succès sur les «goûteuses» d’Hitler.
Mais le public était tout aussi nombreux pour assister à des rencontres plus pointues, entre autres deux tables rondes passionnantes sur la réédition et la retraduction des classiques (Joyce, les sœurs Brontë, Simenon…).
Quant aux ventes de livres, même si certains éditeurs comme Marsilio et Feltrinelli affichaient leur satisfaction (entre 20 et 25 % de ventes de plus que l’an dernier), d’autres sont restés un peu sur leur faim, mais la réponse des organisateurs invoquait le «rodage» de la manifestation, qui doit encore trouver son rythme de croisière.
Reste la question qui fâche: est-il vraiment logique et utile qu’il y ait deux Salons du livre d’une telle envergure, celui de Turin, installé depuis 30 ans, qui se déroule en mai, deux mois après celui de Milan? Les Milanais ont beau jeu de répondre que leur ville est celle où il y a le plus d’éditeurs, d’auteurs et de libraires (y compris des librairies antiquaires magnifiques, présentes sur le salon). Turin, sinistrée depuis la fermeture des ateliers Fiat, s’inquiète à juste titre de voir sa longue tradition remise en cause par les géants de l’édition (Mondadori et le groupe GEMS).
Une idée a été évoquée : faire en sorte que chaque ville, un an sur deux, héberge le Salon. Mais Turin ne veut pas en entendre parler, et les organisateurs de Tempo di Libri envisagent déjà le programme de l’an prochain, avec des temps forts consacrés à Dante et aux 200 ans du poème L’Infinito de Leopardi. Autant dire que le pasticcio est loin d’être résolu…