Pour son édition 2016, la Comédie du Livre de Montpellier a mis la littérature et les auteurs italiens à l’honneur. Parmi les 35 auteurs transalpins qui ont participé à ces journées, du 27 au 29 juin, ont été invités cinq auteurs que j’ai traduits et publiés: Stefano Benni et Giorgio Pressburger, Valerio Magrelli, Antonella Cilento et Luciana Castellina (dont nous avons publié chez Actes Sud La Découverte du monde avant qu’elle ne publie Prends garde, écrit avec Milena Agus, chez Liana Levi).
C’est la grève des trains et partie d’Arles, je mets presque quatre heures pour arriver à Montpellier. Au bout de deux cars, dont un, salvateur, du Conseil Général, et un TGV providentiel à Nîmes, me voici sous les drapeaux italiens qui pavoisent les rues.
La veille, Stefano Benni a été accueilli à Aix, pour une rencontre à la médiathèque. Il y avait du monde mais il était triste, les gens étaient contents mais il les a presque fait pleurer, m’a dit Bernadette qui l’a invité. Et Antonella Cilento, qui avait de la fièvre, n’a pas pu venir à Arles, à la rencontre organisée par la librairie Actes Sud ; les gens du club des jumelages, que j’avais conviés, sont terriblement déçus, alors nous improvisons une rencontre au siège du club Arles-Vercelli. Ils se consolent un peu, prennent des notes et achètent même son livre, Lisario ou le plaisir infini des femmes.
Le lendemain matin, miracle napolitain : Antonella n’a plus de fièvre, elle part de Naples dans une voiture de location, malgré mes mises en garde contre les pénuries d’essence et autres périls français en cette période agitée ! Elle arrive vers minuit, son mari a très bien conduit mais le GPS ne marchait pas et il n’y a pas de chambre d’hôtel ; tout finit par s’arranger, on lui trouve un mini appartement provisoire.
Des lycéens ont été impliqués dans les rencontres : Luciana Castellina, en vraie lionne, leur donne une leçon de politique où il est question de l’Europe, de l’Italie et même des Nuits debout qu’elle approuve sur toute la ligne, alors que les 5 Stelle lui déplaisent souverainement: ils n’ont aucun programme. Des jeunes filles lui demandent sous quelle forme on peut encore faire la révolution. Giorgio Pressburger est fatigué, mais sa parole, précise et profonde, impressionne la classe de 1ère L qui a lu des passages de La Neige et la Faute.
Je me suis rendu compte, avec horreur, que je n’avais pas De toutes les richesses, de Benni, en italien, et qu’il le prendrait mal : Bernadette fait demi-tour, d’Aix, pour me l’apporter, mais une fois arrivée à Montpellier, elle oublie de me le donner – un acte manqué, sans doute parce qu’il lui est dédicacé. Heureusement, nous trouvons Saltatempo en italien, et les poèmes de De toutes les richesses figurent en fin de volume, en italien ! Stefano (moustachu et barbu) est en forme, les gens rient, tout se passe comme sur des roulettes.
Je croise De Cataldo qui semble réjoui, entrevois Moresco qui ne sourit jamais, Giorgio Vasta qui est comme sur les photos, très chauve et
«nosferatien», Francesca Melandri, très belle.
En tout cas, le stand du Grain des mots (une excellente librairie de la ville) ne désemplit pas, les gens achètent des livres à tour de bras, même si certains confondent Benni avec Andrea de Carlo, demandent si Eco et Calvino viendront, et s’enthousiasment de la présence de Scerbanenco. Je propose de déclarer que Elena Ferrante, c’est moi.
Le samedi soir, nous voilà à la médiathèque Sète avec Antonella. Les gens apprécient sa chaleur et sa simplicité, mais aussi sa connaissance fabuleuse de Naples, de son histoire, de ses mœurs. Après un délicieux dîner, ils l’emmènent en voiture au sommet de la montagne qui domine Sète, pour voir le paysage, mais il y a un brouillard à couper au couteau et c’est à peine s’ils se voient entre eux.
Retour à Montpellier le dimanche ; Giorgio Pressburger a participé à une table ronde avec Pierre Assouline et Olivier Barrot. Il me dit que la conversation a été agitée, qu’il n’était pas, mais pas du tout d’accord avec Assouline, et que les gens sont ensuite venus le féliciter. Dommage, je n’ai pas pu assister à l’échange. En tout cas, je suis contente que tout se passe si bien. Mais Magrelli me fait savoir, par un SMS incendiaire, que son trajet de retour ne lui convient absolument pas, pire encore, qu’il est aberrant. Je ne l’ai jamais vu aussi furibond, son «ange gardien», deux petites bouteilles d’eau minérale à bout de bras, prise à partie, roule des yeux effarés, hoche la tête avec désespoir et j’ai la confirmation de ce que Valerio écrit dans Géologie d’un père : lui aussi peut être «aussi fumant que Typhon». Voilà, c’est toujours quand tout baigne que quelque chose foire.
Heureusement, la rencontre autour de ses livres se passe bien, malgré une salle clairsemée – nous invitons les spectateurs à se rapprocher de nous, mais rien n’y fait, ils restent au sommet des gradins, ombres souriantes et (trop) discrètes. Le «médiateur culturel» (il paraît qu’il faut dire comme ça) a très bien lu les livres et les a réellement appréciés.
Le soir, le cocktail est excellent, même s’il est un peu mélancolique et surréaliste : une interprète vaguement fellinienne me dit qu’elle a écrit un livre sur la relation paternelle, dans une perspective lacanienne, et qu’elle veut interroger Roberto Benedetti là-dessus. En fait, elle veut parler de Stefano Benni. Tous les deux s’isolent mystérieusement dans les feuillages.
Luciana apprécie beaucoup le Pic Saint Loup (rouge) et discute politique avec ferveur. Je la raccompagne sur un bout de chemin. Les nombreux stands ont presque tous été démontés. Pour rentrer à Rome, le trajet de Luciana est aussi long que celui de Valerio : «Mais ce n’est pas important, dit-elle, une heure de plus ou moins, dans la vie, qu’est-ce que c’est ?»
Marguerite Pozzoli
(traductrice d’italien, responsable du domaine italien aux éditions Actes Sud)
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