Depuis la parution de son premier roman, l’écrivain Erri De Luca, qui sera présent sur la scène de l’Odéon à Paris le 18 janvier 2016 à 20 heures, a façonné une œuvre tout entière empreinte des souvenirs et fantasmes de sa ville natale, Naples. Une obsession dont parle la chercheuse Caterina Cotroneo. Ci-dessous, toutes les informations sur la rencontre “Littérature italienne” organisée par le Théâtre de l’Odéon, en partenariat avec France-Culture.
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RENCONTRE AVEC ERRI DE LUCA:
LI(V)RE, un auteur, une œuvre
à la Grande Salle de l’Odéon
lundi 18 janvier 2016 à 20h
En partenariat avec France-Culture
Rencontre avec l’auteur animée par Sylvain Bourmeau.
Textes lus par Anne Consigny
Extraits de Montedidio (Gallimard, coll. Du monde entier, 2002) et Le tort du soldat (Gallimard, coll. Du monde entier, 2014)
Erri De Luca naît en 1950 à Naples dans une famille bourgeoise ruinée par la guerre et installée dans le quartier populaire de Montedidio. Il hérite de son père le goût des livres et de la lecture. Très tôt conscient des réalités politiques, il s’élève contre les injustices et la mainmise américaine sur Naples. En 1968, ses études secondaires terminées, il s’engage dans l’action révolutionnaire à Rome. Dès 1969 il milite dans le mouvement d’extrême-gauche Lotta Continua dont il sera l’un des dirigeants jusqu’à sa dissolution en 1977. De 1978 à 1980, il travaille chez Fiat et participe à toutes les luttes ouvrières. Fuyant les lois spéciales de son pays, il trouve refuge en France où il travaille sur des chantiers. En 1983 il se prépare à s’engager comme bénévole dans une action humanitaire en Tanzanie mais la maladie l’oblige à rentrer.
De retour en Italie il continue sa vie d’ouvrier, poursuit l’étude des textes sacrés, se passionne pour l’alpinisme (qui lui inspire Le poids du papillon). Pendant la guerre en ex-Yougoslavie, il est chauffeur de camion dans des convois humanitaires destinés à la population bosniaque. Il se sent proche aujourd’hui du mouvement altermondialiste. Solidaire du mouvement NO TAV opposé à la construction de la ligne grande vitesse Lyon-Turin, il est accusé d’incitation au sabotage par la société Lyon Turin Ferroviaire. Jugé, il est finalement relaxé.
Erri De Luca publie son premier livre Une fois, un jour en 1989. Naples, sa ville natale, constitue la toile de fond de l’ensemble de ses romans qui ont tous une forte composante autobiographique. Des récits comme Acide ou Arc-en-ciel rencontrent un vaste écho en Italie et en France, tant auprès de la critique que du public. Il obtient le prix Femina 2002 pour Montedidio. Il collabore à plusieurs journaux italiens.
En France ses livres sont publiés chez Gallimard, traduits de l’italien par Danièle Valin.
Réservations (TP 11€ – TR 7€) en cliquant sur ce lien:
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Erri de Luca: L’appel de Naples, de Caterina Cotroneo
Affirmer que toute ville exerce sur l’écrivain qui l’a vu naître une influence prépondérante, que ce soit dans la construction de l’homme ou dans celle de l’œuvre, peut paraître un lieu commun. Cette influence peut prendre des formes multiples: origines connues et assumées, refusées et combattues ou encore oubliées et ignorées. Mais qui pourrait prétendre lire une œuvre sans situer l’auteur dans le contexte de son époque, sans rien savoir du cadre qui a bercé l’enfance de l’écrivain? Traiter du rapport de cet écrivain avec sa ville s’inscrit donc dans l’analyse d’un des aspects centraux de son écriture.
Naples est présentée d’une façon quasi obsessionnelle dans certains ouvrages d’Erri De Luca, alors que celui-ci l’a quittée à l’âge de 18 ans, en partant comme on tourne la page d’un livre. Alors pourquoi continuer de la raconter?
Etranger en sa ville, Erri De Luca veut se libérer du joug napolitain d’une enfance malheureuse. Cette décision a des accents de fuite et elle manifeste le profond désir de changement de vie, voire de négation de ses origines. Or, il apparaît très vite que Naples prend une part importante dans son écriture, comme si l’auteur, s’en étant physiquement éloigné, ne cessait de la rejoindre par le biais de l’imaginaire. Il ne s’agit pas, de manière nostalgique, d’idéaliser une ville perdue. Un profond travail d’évocation, de réinterprétation et de métamorphose s’opère tout au long de ses écrits. Tout se passe comme si l’écrivain, entre l’expérience réelle de la ville, la Naples de l’après-guerre, et ses souvenirs mythifiés, cherchait à retrouver une harmonie perdue. La cité semble se construire comme image irréelle dans l’anthropologie intime d’Erri De Luca et dans sa dynamique poétique: la ville agit à la fois comme point d’ancrage dans le réel et comme source vive de création littéraire.
Erri De Luca retrace son enfance dans une perception dualiste toute singulière: d’une part, l’enfermement dans un appartement exigu, dans une ruelle sombre; d’autre part, la libération qu’offre le spectacle de la mer. Il affirme qu’il n’y a rien à voir, que la ville est un étroit cagibi. Seuls les sons d’une ville bruyante semblent lui parvenir et l’obséder. Le souvenir constant de l’enfance mythifie la ville dans un prisme architectural narcissique et l’écriture développe d’autres récits: celui du ghetto sombre dans lequel il vit, s’attachant notamment au vicolo, le cul-de-sac, en contraste avec l’île mythique de ses vacances, Ischia et la mer. Celui aussi de la mythification de la souffrance de l’écrivain, enfant «étranger» dans une ville qui lui répugne et qui le hante mais qui se sent responsable de tous les actes de barbarie commis, comme par exemple la guerre qui a détruit Naples et ruiné ses parents.
Adulte, militant activiste du mouvement communiste révolutionnaire Lotta Continua, maçon sur les chantiers, bénévole dans des convois humanitaires, Erri De Luca se réfère toujours à Naples. Tout est prétexte à parler de sa ville: à Rome, le quartier de la Garbatella en révolte évoque les nuits de la Saint-Sylvestre à Naples et la description de la prison de Rebibbia fait écho à celle de Naples; l’Etna lui rappelle le Vésuve; les enfants de Mostar, les scugnizzi napolitains. Comme dans son métier de maçon, Erri De Luca écrivain façonne la matière et les mots. Il chante le tuf volcanique de son enfance et il célèbre aussi la mémoire de sa ville.
À Paris, dans une galerie souterraine, à la recherche de l’entrée d’un égout, c’est le vicolo stretto de son enfance qu’il revit. C’est encore l’immenso vicolo cieco auquel il fait allusion quand, malade et souffrant de fièvres, il est alité en Tanzanie. À l’usine, il évoque des détails de la vie napolitaine comme points de référence: la plateforme de la machine-outil sur laquelle travaille l’ouvrier Erri De Luca à l’usine Fiat est longue et étroite comme le balcon de l’enfance, les gestes mécaniques des ouvriers postés à la chaîne de montage évoquent les gestes répétitifs des garçons de café, le sifflement des machines fait écho à celui du ferry-boat de Naples.
Ce permanent retour à un passé fantasmé enracine l’écrivain dans ses origines. Erri De Luca continue de façonner et de modeler Naples à son gré, en essayant de réconcilier l’enfant et l’homme, l’homme et l’écrivain. Si Naples devient transcription de l’imaginaire fantasmé de l’homme, elle est plus encore l’expression métaphorique de l’acte d’écriture de l’écrivain. Au fur et à mesure des périples d’Erri De Luca, elle s’efface derrière le discours et devient prétexte à cet acte essentiel qu’est, pour l’homme de lettres, la métamorphose du réel. En redessinant les contours de la ville, en la mythifiant par de multiples recréations, il nous offre toute la singularité et la poésie de son écriture.
(Extrait du Magazine de l’Odéon)
Caterina Cotroneo a reçu le prix de la Fondation Erri De Luca, en 2013, pour sa thèse consacrée à l’écrivain. Elle vient de publier Deux études sur Erri De Luca où elle prolonge sa recherche et expose le thème de l’immigration, sujet cher au Napolitain.