… Mais faites gaffe tout de même. Alberto Toscano veille! Gaffes, bourdes, lapsus, langues qui fourchent, dans un livre drôle et bien documenté, le journaliste italien épingle les dérapages verbaux de tous «Ces gaffeurs qui nous gouvernent».
Toute famille qui se respecte a son gaffeur. Dans la mienne, c’est mon grand-père. Aux mariages, il gaffe. Aux enterrements, il gaffe. Aux anniversaires et même aux baptêmes, il gaffe. Si bien qu’avec le temps, mon papy s’est vu privé de discours comme d’autres sont privés de dessert. Cerise sur le gâteau, à chaque occasion, on lui ressert ses gaffes sur un plateau.
Dans les familles politiques, ça fonctionne pareil. Elles ont toutes leur gaffeur, du balourd occasionnel au multirécidiviste. Certains sévissent encore, d’autres sont tombés dans l’oubli. Mais pas leurs gaffes ! Car elles ont ceci de cruel, d’être immortelles, contrairement à leurs auteurs…
C’est à ces maîtres de la bourde, à ces bouffons d’un jour, qu’Alberto Toscano rend un vibrant hommage.
Dans son livre «Ces gaffeurs qui nous gouvernent» (Fayard, 2011), le plus français des journalistes italiens recense et recontextualise les gaffes les plus savoureuses de l’Histoire contemporaine et nos lapsus les plus révélateurs.
Ou plutôt les leurs, ceux de nos dirigeants. Hommes ou femmes politiques, car la gaffe n’épargne personne. Elle surgit sans crier gare et sans discrimination de sexe, d’origine, ni de classe. A la lecture de ces pages, on peut même postuler sans trop s’avancer que tous nos gouvernants, même les plus prudents, finiront bien un jour ou l’autre par mettre les pieds dans le plat. Pour celui qui n’a pas encore gaffé, la seule interrogation subsistant encore, c’est «où?» et «quand?», et éventuellement: quelle sera la force de la déflagration ? Car, de nos jours, la charge est d’autant plus puissante que le tout-médiatique, l’omniprésence des caméras et des micros, rend presque impossible de gaffer en toute impunité, de «bourder» incognito.
Tremblez braves (diri-)gens ! Gaffes assassines ou dérapages contrôlés, l’impair vous pend au nez. Et désormais Alberto Toscano est là pour s’assurer que votre gaffe ne passera pas entre les mailles du filet. Si le journaliste dénie toute prescription en la matière, comptez sur lui pour faire entrer vos bourdes dans la postérité ! Alors un conseil : Si l’un de vos opposants politiques succombe à la gaffe avant vous, ne vous moquez pas, car rira bien qui rira le dernier…
En attendant, parmi tous «Ces gaffeurs qui nous gouvernent», les premiers dont on rira sont les Français, qu’Alberto Toscano scrute à la loupe depuis 25 ans. De Nicolas Sarkozy à Jacques Chirac, de Ségolène Royal à François Fillon, nos gouvernants en prennent pour leur grade et c’est de bonne guerre. Les autres responsables du monde politique ne sont pas en reste, de Bush junior à Obama, de Churchill à Eltsine, la palme revenant bien sûr au roi du Bunga Bunga, feu il Cavaliere, tombé de son piédestal gouvernemental en novembre dernier. Désormais, Silvio Berlusconi détient deux records : un de longévité politique et un record de gaffes accumulées. Toscano aurait pu en faire un livre, il leur consacre un chapitre. Cette sélection suffit. Entre misogynie et xénophobie, haine des communistes et des magistrats, les petites phrases de Berlusconi relèvent plus souvent de la provocation, de la bêtise ou de la stratégie de communication que de la «gaffe» proprement dite.
Dans ce livre, le mot «gaffe» est d’ailleurs pris au sens large. Quel que soit le nom qu’on donne à ces dérapages verbaux, inconscients ou volontaires, ils ne sont pas toujours bon enfant et peuvent s’avérer blessants pour celui qui est dans le collimateur du gaffeur.
Pour Alberto Toscano enfin, «la gaffe est comme le trou d’une serrure par laquelle il est possible d’observer les méandres de l’esprit de ceux qui nous représentent». Une plongée dans le Moi profond de nos dirigeants. Dès lors, la gaffe rebute ou attendrit. Dans tous les cas, elle humanise son auteur, le rend plus proche de nous, et rappelle qu’un gaffeur sommeille en chacun de vous.
Et alors pourquoi ne pas écouter cette petite voix intérieure qui vous suggère d’offrir ce livre à tous les gaffeurs qui vous sont chers ou familiers, pour qu’ils se sentent moins seuls en ce début d’année.
Moi je m’empresse de l’envoyer à qui vous savez.
Olivia Gesbert
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Petit florilège de gaffes
Citations extraites du livre «Ces gaffeurs qui nous gouvernent»
La gaffe féministe : «Un ministère de la Condition féminine ? Et pourquoi pas un sous-secrétariat d’Etat au Tricot».
De Gaulle, alors Président de la République française, 1967.
La gaffe Nasdaq : «Le jour où on sortira de la crise, on en sera certains parce que l’économie française recommencera à créer des impôts!».
Vous voulez dire «des emplois» ? Christine Lagarde, alors ministre de l’Economie, future présidente du FMI, 2010.
La gaffe braguette : A propos des fonds d’investissement étrangers «qui demandent une rentabilité à 20 ou 25% avec une fellation quasi nulle – et en particulier en période de crise – ça veut dire qu’on casse les entreprises».
Ou quand «fellation» ressemble à s’y méprendre à «inflation»… Rachida Dati, ex-Garde des Sceaux, 2010.
Gaffer avec doigté : «Il y a deux fichiers majeurs : le fichier des empreintes génitales et le fichier des empreintes génétiques».
Des empreintes «génitales» au lieu de «digitales» ? Mais quel est donc ce fichier qui nous met à nu… Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur en 2010.
La gaffe Bac –2 : Quel est votre livre préféré ? «Le livre qui m’a le plus marqué c’est Zadig et Voltaire. Parce que c’est une leçon de vie et je m’y replonge d’ailleurs assez souvent».
Zadig&Voltaire est une marque de fringues, «Zadig» un livre de Voltaire. Les bacheliers font bien la différence. Pas Frédéric Lefebvre, ex porte-parole de l’UMP, aujourd’hui secrétaire d’Etat, lors d’une séance de dédicace de son livre, 2011.
La gaffe fumeuse : On la doit au Premier ministre François Fillon qui confond «gaz de shit» avec «gaz de schiste», devant les députés, 2011.
La gaffe magistrale : «Pour exercer ce travail, tu dois avoir des troubles psychiques, être anthropologiquement différent du reste de la race humaine».
Silvio Berlusconi, ancien président du Conseil italien, en 2003, à propos des magistrats. L’avenir nous dira si la Justice italienne le lui rend bien ou pas.
La gaffe royale : «Ils disaient tous avoir besoin de plus de temps libre. Maintenant ils se plaignent d’être au chômage», le Prince consort Philip parlant des citoyens britanniques, en période de troubles économiques, 1981.
La gaffe « off » : «Qu’est-ce qu’on va foutre dans un centre opérationnel sinistre à regarder un radar ? Je me fous des Bretons. Je vais être au milieu de dix connards à regarder une carte».
Propos rapportés par Yasmina Reza dans son livre «L’aube, le soir ou la nuit». Quand le off passe au in… Nicolas Sarkozy, Président de la République française, 2007.
La gaffe à micro ouvert : «Demain je dois assister au défilé militaire: ça m’emmerde».
Son micro-cravate était resté allumé. Mariano Rajoy, chef du PPE espagnol, 2008.
La gaffe à cœur ouvert : «Tu vois là-bas, il y a Adam Clymer du New York Times, c’est un salopard de première catégorie».
Un micro traînait par là. George W. Bush, alors candidat républicain à la présidence des Etats-Unis.
La gaffe handicapante : «Mon score doit être équivalent à ce qu’ils font aux Jeux paralympiques», Obama commentant avec un sourire son score au bowling, dans une émission grand public. C’était avant le succès du film «Intouchables»… Barack Obama, Président des Etats-Unis, 2009.
La gaffe belge : Un journaliste demande au futur Premier ministre belge de lui réciter l’hymne national belge. Au lieu de chanter La Brabançonne, il entonne La Marseillaise… Yves Leterme, chrétien-démocrate flamand, 2007.
O.G.
Alberto TOSCANO, «Ces gaffeurs qui nous gouvernent», Fayard, 2011, 196 p.