Jusqu’au 10 octobre 2010, au Centre d’Art la Malmaison sur la Croisette à Cannes, le plasticien italien Roberto Barni expose ses dernières recherches picturales produites dans son atelier de Toscane. Pour compléter la connaissance de cet artiste, de magnifiques sculptures sont présentées sur le parvis de la Malmaison et dans les jardins de la Médiathèque Noailles.
Tour à tour sculpteur, peintre, dessinateur, Roberto Barni apparaît comme un artiste contemporain qui fait des expériences et des choix personnels. Il déforme la matière pour raconter la solitude et l’isolement de l’homme. En attestent ses personnages qui avancent dans un espace, semblant en apesanteur. Avec des poses ambiguës et étirées, d’autres évoluent dans des perspectives déformées par un univers sans dimensions mesurables.
Aujourd’hui Barni travaille à Monterinaldi et vit à Florence. Né à Pistoia en 1939, il aime évoquer ses souvenirs d’enfant obsédé par le dessin. Il s’exprimait alors partout : sur les murs, les journaux, les livres d’école, par terre… Quand à l’âge de 13 ans, ses parents lui ont offert une boîte de peinture à l’huile, il a aussitôt su qu’il ne pourrait se passer de l’expression artistique. Tous les matériaux faisaient son affaire : le papier, le stuc, le fil de fer… Vite, il en est venu à l’argile, puis au bronze. Roberto Barni a exposé un peu partout, il a été sélectionné à la Biennale de Venise en 1984 et en 1988, à la Galerie Maeght à Paris et dans différents musées. Déjà présente, la sculpture entre toujours plus en compétition avec la peinture à partir des années 1980.
En exclusivité en France cet été, l’ensemble des peintures de Roberto Barni est présenté pour la première fois sur les cimaises de la Malmaison à Cannes. Ces huiles sur toile, de grand format, représentent des hommes comme des pions en marche dans un monde aliénant en constante cruauté et détresse. Des hommes qui sont sans époque, ni d’hier, ni d’aujourd’hui, mais témoins de la permanente mutation du monde. Certains sont prostrés dans leur solitude avec des gestes étriqués qui bouleversent, d’autres semblent entamer des discussions qui s’éternisent. Un discret humour s’empare parfois d’eux, ils ne sont pas joyeux, mais pas tristes pour autant.
Le temps et l’espace sont brassés dans un univers où toute perspective est réinventée, à contre-courant de la nature, à la manière de Borges, avec des silhouettes captées entre l’oubli et le souvenir. La peinture, mate et sèche, se dilue dans de légers reliefs qui soulignent cet effet de perspective. On ressent un geste rapide et libre qui sait retenir la lumière. Chaque tableau incite à s’élever au-dessus des contraintes du quotidien. Tout est dans la tête de chacun, isolé sur son chemin personnel. Dans sa solitude, l’homme avance, l’homme marche – comme celui de Giacometti – sans cesse mis en danger et dans sa dépendance à l’existence. Il porte sur son dos tout le poids du monde et sa tête a beau penser et réfléchir, les « galères » de la vie sont inéluctables (voir Quattro teste e altre storie). Si ces hommes en ont « plein le dos », malgré tout il y a le vide… Tout est dans l’illusion de l’expressivité du sujet tourné en dérision, puisqu’une connexion émotionnelle inattendue s’opère. Ailleurs, des voleurs (Ladri) portent aussi un sac sur le dos , qui est leur butin. Le fait de se côtoyer n’enlève en rien l’angoisse de la finitude. Comme s’il était possible d’abolir ne serait-ce qu’un instant l’isolement de l’être qui ronge chacun des personnages. Même s’ils sont immobiles, ils semblent en chemin vers on ne sait quel but. L’errance ainsi évoquée n’est pas sans rappeler le théâtre de Beckett. Que signifient les oiseaux qui picorent sur de nombreuses toiles? Symbolisent-ils la possibilité d’une certaine liberté ? La seule possible pour l’homme aliéné ? (Cortile. Figure con uccelli.)
Souvent relevées de rouge, mono ou bi-chrome, émaillé ou illuminé, quelques sculptures en bronze s’ajoutent aux peintures, avec toujours des personnages en proie à toutes les incertitudes, promis au néant, proche d’un abîme. Des hommes s’agrippent les uns aux autres, se supportent tant bien que mal dans un équilibre instable, illogique dans l’espace, mais certainement significatif pour Roberto Barni qui en fait de véritables pyramides (Colonna bisbetica, Gambe in spalla, Noi).
Sur le parvis de la Malmaison, un cercle de sculptures cohabitent étrangement et attirent le regard du passant. Celui-ci observe ce monde de loin ou scrute de près les silhouettes, les visages, la façon de suggérer l’absence à soi-même que devient inéluctablement toute existence. Ces personnages sculptés semblent dialoguer et se répondre entre eux, grâce au talent sensible et intelligent de l’artiste.
L’exposition s’enrichit de sculptures de grandes dimensions dans le merveilleux jardin de la Médiathèque Noailles, qui présente à l’intérieur une série d’œuvres sur papier issues des nombreux carnets de dessins et d’aquarelles du peintre. Il ne les produit que très rarement…
Montrer sans rien asséner, sans rien résoudre, sans rien expliquer, est tout l’art de cet artiste qui signe des œuvres des plus accessibles sur la spirale infernale des différents types d’oppression qui régit la société. Son œuvre va à l’essentiel avec une habileté résolue.
Caroline Boudet-Lefort
Centre d’Art La Malmaison
Roberto Barni, « Rien n’appartient à rien »
Peinture, sculpture, dessin
27 juin – 10 octobre
47, La Croisette – 06400 Cannes
ouvert tous les jours de 11h à 20h
et le vendredi de 11 à 21h.