Catherine Leblanc, conférencière et historienne de l’art, de passage à Paris, partage avec nous – comme elle l’avait déjà fait à la rentrée de septembre – ses découvertes artistiques du moment. Par ces belles journées dorées d’automne, sortez et laissez-vous tenter par ses suggestions. Les expositions intéressantes et les belles visites ne manquent pas en cette saison.
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Beaucoup de monde en ce premier jour de mon séjour parisien à l’exposition “Pop Art” du Musée Maillol qui accueille (jusqu’au 21 janvier 2018) un beau choix d’œuvres des collections du Whitney Museum de New York. Je vous conseillerais donc de réserver votre billet en ligne pour éviter l’attente. Si vous voulez voir de la couleur sans trop vous prendre la tête, courrez-y!
Mais qu’est-ce que le Pop Art? Si l’on se contente de reprendre la définition qu’en donne, l’un de ces artistes, Robert Indiana, c’est très simple: “C’est le rêve américain, optimiste, généreux et naïf”. Ce mouvement est né, dans les années Soixante, en réaction à l’expressionnisme abstrait (Pollock, de Kooning, Kline, Rothko …) qui nécessite un décodage, pour être compris.
Rien de tel dans le Pop Art, totalement figuratif, qui saute aux yeux avec ses couleurs voyantes. On va représenter des objets du quotidien, souvent en grand nombre (bouteilles de Coca Cola ou boîtes de conserve Campbell’s chez Andy Warhol) pour évoquer la production de masse, on va détourner les images des stars (Marilyn Monroe) ou de personnages célèbres (Jackie Kennedy) pour en faire des icônes sur papier glacé. On va puiser abondamment dans la publicité omniprésente et dans les médias pour rendre compte du matraquage éditorial et photographique (Robert Rauschenberg). C’est à cette même époque que la pin-up des années 50 va quitter la calandre des gros camions qui parcourent la fameuse route 66 évoquée de façon lancinante par Allan D’Arcangelo pour occuper l’avant-plan des tableaux. Mais il ne s’agit pas d’une émancipation, plutôt d’une soumission docile de la femme aux regards masculins.
Pensez à cette splendide créature de Mel Ramos, nue comme la main, assise sur un paquet géant de Philip Morris et accoudée à un autre paquet tout aussi imposant qui lui sert de table. Ou à cette autre femme trop grande pour entrer toute entière dans le cadre du tableau de Tom Wesselmann, à la bouche incarnat, aux pointes des seins dressés, lascivement étendue sur une peau de léopard…
Enfin, la BD, les «comics», vont occuper une place considérable avec Roy Lichtenstein (voir ci-dessus) qui, reprenant le thème de la dame à sa fenêtre (si cher aux flamands, Rembrandt en tête, mais aussi, Friedrich, Matisse ou encore Bonnard), représente une jeune femme resplendissante, à mi-corps, un grand sourire sur les lèvres, et dont le visage est constellé de petits points rouges imitant le procédé de la quadrichromie utilisée alors dans la presse. Vous verrez d’autres figures emblématiques du “rêve américain” et constaterez que cette admiration enfantine n’est pas exempte d’une certaine dérision.
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Le lendemain, je me rends au Petit Palais où je tombe sous le charme d’un immense artiste, le Suédois Anders Zorn (1860-1920), dont l’exposition monographique durera jusqu’au 17 décembre. Il est comparable à l’Espagnol Sorolla, à l’Anglo-américain Sargent, au Français, Carolus Durand, pour sa virtuosité, et la qualité de ses portraits. Il aborde toutes les thématiques (excepté la nature morte) avec la même aisance, il manie l’aquarelle, la gravure, la peinture à l’huile avec la même maîtrise.
Que dire de la jeune femme en blanc à l’extrémité d’un ponton, contemplant le rameur dans sa barque, une aquarelle splendide réalisée dans une harmonie de blanc, de gris et de vert? On croit entendre le clapotis de l’eau qui miroite à ses pieds. Ses compositions sont intéressantes: sous l’influence des japonais il place son point de vue souvent très bas et remonte la ligne d’horizon le plus possible.
Une aquarelle de ses débuts est particulièrement virtuose. Il s’agit d’une vue de son atelier. Une femme en pied, de dos, vêtue de noir, contemple différents tableaux fixés au mur. Un seul n’est que posé au sol, à gauche contre la cheminée. Si vous observez attentivement ce tableau, apparaît, se reflétant dans la vitre qui recouvre l’œuvre, l’artiste placé devant son chevalet. Quel tour de force!
Enfin je ne résiste pas à l’envie de vous montrer cette jeune fille vue de dos, en train de remettre en place son corsage. Tout est spontanéité, fraîcheur, lumière, jeunesse….ni le portrait flamboyant de Mrs Howe.
Après l’expo Zorn, je me rends à la cafétéria du Petit Palais qui donne sur le patio et son jardin, et si le déjeuner n’a pas spécialement retenu mon attention, le décor est toujours aussi dépaysant. La végétation s’est beaucoup développée, elle est maintenant exubérante et se reflète dans les deux bassins bordés de mosaïques qui s’y trouvent. Je vous conseille d’y faire une halte, on se sent très loin des trépidations de la capitale.
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Après cette pose, deuxième exposition, elle aussi au Petit Palais : “L’Art du Pastel de Degas à Redon” (jusqu’au 8 avril 2018). Elle présente un ensemble d’environ 150 pastels appartenant aux collections du Petit Palais qui sont exposés très rarement en raison de la fragilité de ce procédé. Cet ensemble, assez éclectique, nous rappelle que la renommée des Impressionnistes, dans les années 1950, était telle qu’on en a oublié des artistes dits «académiques» dont on redécouvre peu à peu l’existence, et ce n’est que justice! Je pense à ce très joli portrait de la petite Ernestine par Eugène Vidal,
ou la “Débâcle de la Seine” par Alexandre Nozal, ou encore la très belle vue de Venise un soir de feu d’artifice par Charles Léandre où tout est si fluide qu’on jurerait être devant une apparition.
Bien sûr les Impressionnistes sont présents, mais à part un splendide pastel de Berthe Morisot où l’on voit sa sœur Edma vêtue de noir assise dans l’herbe avec ses enfants, le filet à papillons à portée de la main, savourant ce moment d’intimité familiale en pleine nature,
les pastels de Degas, ceux de Gauguin ou ceux de Renoir sont plutôt décevants. Certes l’étonnant symboliste Odilon Redon est là avec sont délicat bouquet d’anémones, mais comment résumer un artiste si complexe en montrant quatre pastels de sa production en tout et pour tout ? Vous l’avez compris, je suis sortie un peu déroutée de ce rassemblement de pastels.
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Le surlendemain, samedi 28 octobre, je sors du métro Jussieu, je passe devant la fac du même nom, enfin désamiantée, je croise deux ou trois clochards qui vocifèrent (je me demande, au passage, si le clochard, le vrai, n’est pas une spécialité parisienne) et j’arrive sur le parvis de l’Institut du Monde Arabe, véritable parcelle orientale au cœur de Paris.
Une très belle exposition s’y tient, “Chrétiens d’Orient, deux mille ans d’histoire” (jusqu’au 14 janvier) et une question m’étreint d’emblée: survivront- ils à tous ces cataclysmes qui s’abattent sur eux actuellement? Et que restera-t-il de leur culture dans 10 ans, dans 20 ans, eux qui ont largement contribué à la construction et à l’histoire du monde arabe? Car il ne faut pas oublier que l’Orient a été juif et chrétien avant la conquête arabe et que ces derniers furent longtemps minoritaires jusqu’aux Xe-XIIè siècles avant que l’Islam finisse par s’imposer. C’est alors qu’on assiste à une acculturation réussie avec une production artistique qui s’inter-influence (bibles écrites en arabe, devenu la langue parlée par tous, sinuosités typiquement arabes qui apparaissent dans les icônes et viennent infléchir les figures raides et codifiées héritées de Byzance, etc.)
Des éléments d’architecture, des fresques, des mosaïques, des tissus flamboyants, des Bibles illustrées d’enluminures, des icônes aux couleurs puissantes et à fond d’or, des objets liturgiques en cuivre, en argent, en ivoire, témoignent de l’habilité et du savoir-faire de ces artistes.
Et surtout, n’oubliez pas de vous rendre au 9è étage de l’IMA, pour jouir d’un des plus beaux panoramas sur Paris! La cathédrale Notre-Dame, vue du chevet, magnifique vaisseau de pierre, apparaît dans toute la somptuosité des couleurs de l’automne. Elle semble à l’abri de tout danger grâce à Sainte Geneviève, patronne de Paris, plantée là depuis les années Trente, à l’extrémité du Pont de la Tournelle par le sculpteur Paul Landowski .
Et puisque vous êtes au 9è étage, vous pouvez choisir, soit de déjeuner chez Nour, soit de vous rendre à la cafétéria, où, pour un prix modique, vous pourrez déguster un couscous tout à fait convenable tout en étudiant les ouvertures si ingénieuses du bâtiment : des moucharabiehs équipés de cellules photo-électriques qui s’ouvrent et se referment en fonction de l’intensité de la lumière solaire!
PS : A ne manquer sous aucun prétexte : le MOMA de New-York est à Paris, à la FONDATION VUITTON. Jusqu’au 5 mars 2018. Enfin une façon pédagogique pour mettre l’art du XXè siècle à la portée de tous grâce à une présentation chronologique et des cartels très bien rédigés. J’en reparlerai dans une prochaine chronique.
Et maintenant, je vous souhaite de bien belles visites et retourne dans ma Normandie.
Catherine Leblanc