Du 12 au 16 mai s’est tenue, au Lingotto, la 29ème édition du Salon du Livre de Turin, le plus important d’Italie. Titre: «Visioni». Invités d’honneur: les pays arabes. Et 1222 événements pour tous les goûts et tous les âges. Un cru dont peut être fier Ernesto Ferrero, directeur de la manifestation.
Parmi les nombreuses images fortes qui me resteront de cette édition du plus important salon du livre en Italie, celui de Turin, l’installation de Michelangelo Pistoletto baptisée Il Terzo Paradiso: dans le pavillon 5 du Bookstock Village, un immense 8 symbolisant l’infini, constitué de milliers de livres – catalogues d’art donnés par le musée de Rivoli, livres comprenant de grands classiques mondiaux – sauvés du pilon et récupérés par des lecteurs le dernier jour: une “performance collective”, symbole de la “régénération de la matière et de la circularité du Temps”, signe que les livres peuvent être sauvés de la mort et de l’oubli et connaître une nouvelle vie.
Un bilan positif
Le livre et l’édition, disent les chiffres de ce Salon, ne se portent pas si mal que cela: 126 000 billets vendus (3,1% de plus que l’an dernier). Le stand Einaudi s’est félicité d’un accroissement des ventes de 30% par rapport à l’an dernier, celui de Donzelli de 25%; la maison d’éditions La nave di Teseo, dirigée par Elisabetta Sgarbi, née pour réagir contre la concentration de l’édition et soutenue par Umberto Eco, a fait une entrée remarquée; 1222 «événements», un millier d’éditeurs, un prix très abordable – billet d’entrée à 5 euros – pour toutes les rencontres programmées après 18h, une bonne quantité de concerts donnés par des chanteurs populaires comme Ligabue. Sans oublier l’IBF (International Book Forum) qui permet les rencontres agents-éditeurs, et, même si la vente des droits n’est pas nécessairement immédiate, un large panorama des dernières nouveautés italiennes…
Ajoutons l’attention particulière que les organisateurs portent aux jeunes lecteurs, avec des espaces dédiés aux tout-petits, des ateliers destinés aux adolescents qui jouent les reporters, des classes entières accompagnées par les enseignants, reconnaissables à leurs casquettes colorées.
Mieux encore: l’engouement réel pour des rencontres parfois “pointues” : ainsi, le philosophe français Michel Serres, 85 ans et une belle jeunesse d’esprit, a fait salle comble, avec plus de 200 personnes qui ont suivi sa prestation à l’extérieur, en vidéo, faute de pouvoir entrer dans la salle de 350 places.
Les pays arabes à l’honneur
Les invités d’honneur étaient, cette année, les pays arabes, avec, pour ne citer que quelques-uns des participants, le poète Adonis, Tahar Ben Jelloun, Boualem Sansal, Yasmina Khadra, l’Iranienne Shirin Ebadi, avocate, prix Nobel de la paix 2003. Le directeur du musée du Bardo, Moncef Ben Moussa, est venu évoquer le rôle de la culture en Tunisie, après avoir été présenté par le maire de Turin,
P. Fassino, et soutenu par deux directeurs de grands musées de la ville (le musée égyptien et le musée oriental). Des débats ont eu lieu sur la menace terroriste, la place de l’Islam, les défis auxquels ces pays doivent faire face…
Des rencontres pour tous les goûts
Outre les célébrités comme Roberto Saviano, accueilli par une véritable ovation, venu pour les dix ans de Gomorra (et qui annonce un prochain roman en cours d’écriture), et les incontournables auteurs de gialli (De Cataldo, Malvaldi, De Giovanni…), le salon a aussi hébergé des rencontres autour de la politique européenne (avec l’ancien président de la République, Giorgio Napolitano), de l’édition, de la traduction… D’autres, comme le cinéaste Nanni Moretti et l’actrice Margherita Buy, sont venus lire des pages de Natalia Ginzburg.
La cuisine joue traditionnellement un rôle important à Turin (haut lieu, entre autres délices, du chocolat) et le Salon la chouchoute: stands de maisons d’édition, démonstrations culinaires en direct, célébration des trente ans de Slow Food, sous la patronage de Carlo Petrini, et tout ce que vous voulez savoir sur la cucina vegana, n’en déplaise à l’humoriste Crozza (dont il faut voir le sketch, d’un humour ravageur, sur les inconditionnels du végétarisme).
Mentionnons, enfin, que ce Salon portait le nom de «Visioni» : il faisait donc la part belle à la science et à la technologie, aux physiciens, aux philosophes et même à la conquête spatiale avec l’astronaute Samantha Cristoforetti, dont le livre, destiné aux enfants, a été couronné meilleur livre scientifique 2015.
Quant à moi, je n’oublierai pas le regard d’Antonio Gramsci, auquel était consacrée une petite exposition sur ses Cahiers, que l’on pouvait feuilleter sur écran.
Ernesto Ferrero, le directeur de ce Salon, qui devrait passer la main l’an prochain après quatorze ans de bons et loyaux services, peut être plutôt fier du cru 2016. En tout cas, une idée se profile déjà pour celui de 2017 : relier les 30 ans du Salon aux 60 ans de la Constitution italienne. Pour ne pas oublier les fondamentaux.
Marguerite Pozzoli
Photos également de Marguerite Pozzoli