Le Musée universel. Du rêve de Napoléon à Canova, aux Ecuries du Quirinal à Rome.

A 200 ans de la restitution à l’Italie après la chute du Premier Empire d’une partie des chefs-d’œuvre réquisitionnés ou “pillés” dans les collections italiennes entre 1796 et 1814 par Napoléon Bonaparte pour réaliser au Louvre son rêve de musée universel, Le Scuderie del Quirinale à Rome présentent jusqu’au 12 mars 2017 une grande exposition qui retrace cette page passionnante et aventureuse de l’histoire de l’Art.

Dans le contexte actuel d’une société aux valeurs floues, une exposition à Rome reformule autrement le débat autour de nos points de repères. Le parti pris de la mostra Il Museo Universale. Dal sogno di Napoleone a Canova ” aux Scuderie del Quirinale est des plus captivants : le patrimoine artistique est-il encore le lieu où retrouver et redéfinir notre identité italienne et européenne?

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Valter Curzi, co-commissaire de l’exposition avec Carolina Brook et Claudio Parisi Presicce, a cherché et trouvé la réponse en se replongeant dans l’une des périodes les plus tumultueuses de l’histoire européenne: les campagnes d’Italie de Napoléon et la réquisition des œuvres d’art dans la Péninsule pour enrichir les collection du musée du Louvre naissant.

Le pari n’était pas évident si l’on pense à la quantité de lieux communs et de malentendus qui concernent encore cette page de l’histoire des relations franco-italiennes. Et pourtant, Valter Curzi a réussi à en proposer une lecture nouvelle analysant les motivations et les effets de ce traumatisme. Il s’agissait, nous confie-t-il, de regarder la problématique d’un autre point de vue. Ce qui est important c’est de savoir réfléchir aux raisons qui ont poussé la France à mettre en acte cette opération.

Faisant fi de la querelle stérile des accusations, l’historien de l’art a lu l’acte de force français comme un hommage des commissaires du Louvre napoléonien à l’art italien. Sans nier la blessure ouverte dans le tissu culturel de la Péninsule, le désir de la France du Premier Empire de s’emparer de ces pièces d’art témoigne de la place de choix que le patrimoine artistique italien occupait dans l’esprit de ces bâtisseurs du Musée universel, un musée qui se voulait un modèle pour l’Europe.

La France de la fin du 18e et du début du 19e siècle est un pays qui s’apprête à devenir un empire, avec un souffle universaliste qui lui impose de refonder les règles du vivre civil. Le patrimoine lui sera utile, par son caractère identitaire, à consolider son positionnement aux yeux de l’opinion publique française et étrangère. A travers les œuvres d’art de la Grèce et de l’Italie, symboles éternels du génie des nations libres, la France napoléonienne se propose de reformuler le sens d’appartenance à ces pays qui ont su concevoir et concrétiser une idée de société et du pouvoir, y compris à travers des codes artistiques à la valeur à la fois esthétique et éthique.

Il ne s’agit pas uniquement d’une vision de la beauté, car l’art classique, grec et italien, est tout d’abord une vision de l’individu et des valeurs qui doivent idéalement guider ses actes. C’est pour cette même raison que les élites européennes du 18e et du 19e siècle accomplissent le Grand Tour en traversant pendant plusieurs mois la Grèce et l’Italie: pour s’éduquer et se former aux principes du bon gouvernement.

Venus Capitoline, première moitié du IIe siècle après J.C., Rome Musei Capitolini

L’exposition, dont le parcours s’articule sur deux étages, démarre avec l’année 1816, année du retour d’une grande partie des œuvres en Italie après le Congrès de Vienne. Antonio Canova, le célèbre sculpteur, connu dans toutes les cours de l’époque, est choisi comme Commissaire extraordinaire par le pape Pie VII pour se rendre à Paris et sélectionner les pièces à rapatrier. Le temps est court et il faut faire vite !

Malgré la défaite napoléonienne et la Restauration, le consensus au retour des œuvres reste une affaire délicate. L’opinion publique française est hostile au projet et Canova se trouve dans l’obligation d’organiser des convois de retour dans des conditions difficiles. Des chars combles de toiles, partent alors de Paris pour le nord de l’Italie, un vaisseau mis à disposition par le roi d’Angleterre George IV facilite le transport et la tâche du commissaire pontifical. Bon nombre des grands formats restent néanmoins sur place en France, tout comme les œuvres abritées dans les musées de province, trop lointains et difficiles à atteindre.

Antonio Canova, un beau portrait de l'artiste Thomas Lawrence.

Par terre et par mer, l’énorme tribut en œuvres d’art dont le traité de Tolentino de 1797 avait autorisé la sortie d’Italie, empruntent le chemin du retour pour être répartis dans leurs territoires d’origine: les statues grecques, les tableaux de la Renaissance, les peintures du 17ème siècle de l’école de Bologne. Le Laocoon, l’Apollon du Belvédère (qui d’après Winckelman représentait le canon du beau idéal), Raphaël, le préféré du commissaire pour sa maîtrise dans l’expression du sentiment, le Corrège admiré pour la grâce de sa peinture, le Titien, chantre de la nature. Et puis encore les Carrache, capables de revenir à la nature à travers le dialogue avec l’antiquité et de faire oublier le Maniérisme, que les français n’apprécient guère. Le Guerchin, le Dominiquin, Guido Reni et Albani, ou l’école vénitienne et son extraordinaire talent de narration et de traitement de la couleur.

Les uns après les autres, ils atteignent Venise, Turin, puis Milan, et ensuite Bologne, Florence, Rome. Certains pourront réintégrer leur lieu d’origine, d’autres devront trouver de nouveaux abris.

Le visiteur peut suivre au fur et à mesure le trajet des convois grâce à des panneaux explicatifs et la voix narratrice qui relate le périple du retour des œuvres, d’octobre 1815, avec les chevaux et le lion de Saint Marc à Venise, jusqu’à janvier 1816 et l’arrivée dans la Ville Eternelle.

Le parcours de la visite est conçu de manière à allier savamment la haute qualité des informations et l’accessibilité des contenus, jamais banalisés. L’audio-guide aussi ne pourrait être plus séduisant, avec la voix d’une actrice de théâtre capable de vous accompagner et de rendre encore plus vivant ce voyage dans le temps.

Corrège, Compianto sul Cristo morto, 1523, Parma, Galleria Nazionale

Au 2e étage, le choix chromatique de la présentation change soudainement. Ici sont montrées les œuvres sélectionnées à l’époque par les experts français dirigés par Dominique Vivant-Denon pour être exposées au Musée universel, mais qui ne quittèrent finalement jamais l’Italie en raison de la chute de Napoléon. Le Louvre souhaitait compléter sa collection à travers les maîtres primitifs, les artistes du 14e et 15e siècles. Voici donc, Benozzo Gozzoli, Cima da Conegliano, Luca Baudo da Novara.

Dans cette section, le cœur de Valter Curzi bat encore plus fort : cette partie de l’exposition, dit-il avec émotion, incarne la spiritualité, l’humain qui se met en relation avec le divin. C’est une galerie du panthéon catholique à travers lequel on comprend immédiatement l’autre profil de l’Italie, non seulement celui des grandes villes et des grandes collections, mais celui des terroirs qui abritent des talents et un fort sentiment artistique. La lumière tamisée voulue pour ces dernières salles amplifie, en effet, l’émotion que l’on ressent face aux tableaux et aux statues qui éveillèrent le sentiment identitaire des nombreux italiens.

En raison de la suppression napoléonienne des ordres monastiques, en effet, ces oeuvres à la beauté intense et touchante, très souvent oubliées par les contemporains de Canova, sortent des églises et des couvents et, n’ayant pu partir pour la France et désormais sans demeure, sont redécouvertes et rachetées par les communautés locales ou alors donnent naissance à un débat national très fécond concernant la nécessité d’une nouvelle politique de tutelle patrimoniale. “La population a pris conscience de l’importance de son patrimoine artistique et l’a perçu pour la première fois comme un bien commun”, explique Valter Curzi.

De ce questionnement sur le destin de ce patrimoine déraciné, naîtront certaines des plus belles collections d’art italiennes telles que Brera à Milan, la Pinacothèque de Bologne ou l’Académie de Venise, où affluent des nombreux chefs-d’œuvre en quête d’abri.

A l’aide d’un mécanisme stupéfiant de résilience, donc, ce que les italiens avaient vécu comme un traumatisme hors pair, s’est transformé en un héritage dont nous pouvons encore profiter aujourd’hui.

Francesco Hayez, La Méditation (L’Italie de 1848), 1851, Vérone, Galleria d’Arte Moderna Achille Forti

A partir de ce moment crucial de l’histoire, le questionnement italien sur sa propre identité nationale passera forcément pendant tout le 19e siècle à travers sa relation avec son richissime patrimoine artistique.

En guise de clôture, la Venus Italica de Canova, tout un symbole de renaissance, s’accompagne de La Méditation de Francesco Hayez, un tableau aux multiples interprétations. Cette fille aux seins nus symbolise-t-elle l’Italie, un pays à nouveau violé? Ou bien incarne-t-elle la Charité, avec l’image d’une Italie qui allaite ses enfants ou s’agit-il d’une réflexion sur l’échec politique?

Leopardi, témoin du retour des œuvres, écrira en 1818 à ce propos:
“… et ces œuvres immortelles, qui étaient et seront toujours les nôtres, où que le hasard les mène, […] nous invitent à l’émulation de ces artistes divins”, car la méditation sur le passé, en paraphrasant Montaigne, est une méditation sur la liberté.

Domenico Biscardi

Scuderie del Quirinale

Via XXIV Maggio 16, Roma

Info line: +39 06 39967500

DANS LE PORTFOLIO DES CHEFS-D’ŒUVRE RESTITUÉS PAR LA FRANCE A L’ITALIE (cliquez sur la 1ère photo):

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1 COMMENTAIRE

  1. Le Musée universel. Du rêve de Napoléon à Canova, aux Ecuries du Quirinal à Rome.
    pregevole articolo, caro Domenico. Complimenti. Romano

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