Une question sensible: Turcs et Kurdes de Turquie ont-ils un avenir commun?

Des minorités – ici ou ailleurs – qui effraient et la possible réécriture d’une nouvelle carte géographique au Moyen-Orient: un point de vue sur la situation des Kurdes peu après l’assassinat de trois militantes du PKK à Paris. Trouver des solutions concrètes à la question kurde s’impose avec urgence à la communauté internationale.
Une interview réalisée à Ankara par Rosa Chiara Vitolo.


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Après la mort récente de trois femmes affiliées au parti du PKK dans les locaux parisiens du Centre d’information du Kurdistan, trouver des solutions concrètes à la question kurde s’impose avec urgence à la communauté internationale: localisation de la terre promise, incorporation pacifique et définitive du peuple kurde dans une nouvelle entité politique et culturelle. Tels sont les enjeux.

L’interview qui suit (en français, traduite de l’anglais), est le résultat de longues conversations avec Haluk Özdalga, un parlementaire turc du parti du Premier Ministre Recep Tayyip Erdoğan (AKP), qui s’est prêté à éclairer le sujet sensible de la situation kurde. Le lecteur ne devrait pas attendre des réponses définitives, mais en retirer plutôt un point de vue personnel sur la recherche d’identité
«ethnographique».

R.C. Vitolo: Pouvez-vous décrire l’histoire générale de la minorité kurde, avant et après le traité de Sèvres (1920) et de Lausanne (1923) ?

Haluk Özdalga

Haluk Özdalga: C’est une longue histoire, mais brièvement, on peut la résumer ainsi. Une grande majorité de Kurdes dans le monde vivent regroupés dans quatre pays: la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Parmi ceux-ci, plus de la moitié, environ 55%, se trouvent en Turquie. On peut donc dire que leur sort influera fortement celui des Kurdes vivant dans les trois autres pays. Au Moyen-Orient, les Kurdes constituent le quatrième plus grand groupe ethnique après les Arabes, les Turcs et les Perses, et le groupe le plus important sans Etat.

Pendant l’Empire Ottoman, tous ces Kurdes, sauf ceux d’Iran, étaient sujets de l’Empire, qui s’étendait sur les territoires de l’actuelle Turquie, de la Syrie et de l’Irak. Cependant, à l’époque ottomane, les Kurdes jouissaient d’une autonomie considérable. En 1923, la République turque fut fondée comme l’ héritière légitime de l’Empire. Une des principales préoccupations de ses fondateurs fut de créer un Etat national unitaire sur les principes d’un fort centralisme. Pour les Kurdes, cela signifia une terrible répression, le déni de leur identité et une tentative d’assimilation. Parfois, leur existence même fut rejetée par l’idéologie officielle. Leur situation empira certainement durant les périodes de régime militaire, comme celui que nous avons vécu après le coup d’Etat militaire en 1980.

Depuis que le Parti AK est arrivé au pouvoir en 2002, un processus intensif de réforme démocratique a été lancé, et par rapport à la situation passée, on peut constater un grand changement . L’encouragement de la part de l’UE, quoique loin d’être parfait, a également contribué aux progrès accomplis. Le processus de réforme n’est pas encore terminé. Il y a plusieurs choses à faire encore.

R.C.V: L’exigence spécifique d’indépendance, formulée par le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), fondé par Abdullah Öcalan en 1979, représente-t-elle un obstacle au processus d’occidentalisation que recherche la Turquie ?

H.Ö.: Et bien, pendant quelque temps, le PKK a recherché l’indépendance, mais actuellement, il a abandonné cet espoir. Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve sur cette question, mais le front du PKK à l’heure actuelle recherche un avenir commun pour Kurdes et Turcs en Turquie, pas la séparation. Oui, ce conflit est un frein au développement de la démocratie et de l’économie en Turquie. Il complique aussi nos relations internationales, en particulier au Moyen-Orient. La résolution de ce conflit contribuera à la modernisation turque et vice versa.

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R.C.V: Comment évaluez-vous la récente tentative de négociation et de recherche de conciliation menée par le Premier Ministre Recep Tayyip Erdoğan?

H.Ö.: Cette tentative récente vise à arrêter la violence, à mettre fin à la guerre en déposant les armes. Cette tentative jouit d’un immense soutien stratégique à la fois chez les Turcs et les Kurdes. Le coût humain de cette soi-disant «guerre de basse intensité» est insupportable. Cela peut ne pas être très rapide et sans obstacles, mais je crois que nous atteindrons cet objectif dans un laps de temps raisonnable. Quand cette guerre sera finie, cela signifiera, entre autres, un réel décollage de la Turquie sur les plans politique et économique. Il suffit de penser à ce que nous avons réussi à accomplir au cours des dix dernières années, en dépit de ce terrible conflit.

R.C.V: D’après votre expérience de parlementaire, quelle opinion avez-vous du programme de réformes du Parti Kurde ?

Abdullah Öcalan

H.Ö.: Le PKK kurde du centre a aujourd’hui des composants autres que le PKK lui-même, comme son chef Abdullah Öcalan, en prison depuis 1999. Il a ses combattants armés implantés dans les montagnes du nord de l’Irak, un parti politique comptant plus de 30 représentants au Parlement, et ses organisations dans plusieurs pays d’Europe. Il n’est donc pas possible de parler d’un programme précis de ce front. Mais de nombreux signes indiquent qu’ils seront flexibles et ne présenteront pas
d’exigences impossibles à satisfaire. Une question cruciale subsiste, le sort personnel d’Abdullah Öcalan, qui pour le moment est emprisonné à vie.

R.C.V: Quelles sont, selon vous, les développements possibles du problème kurde et les écueils à éviter ?

H.Ö.: Je ne pourrais pas prédire un cadre temporel précis, mais je suis optimiste quant à la résolution de ce conflit armé. C’est dans l’immense intérêt des Turcs et des Kurdes de le régler. De même, la plupart de nos voisins, y compris l’Union Européenne, profiteraient d’une résolution pacifique. La Turquie n’a pas de meilleure option que de continuer le processus de réforme démocratique, avec courage. Les Kurdes n’ont aucun meilleur avenir que de devenir des citoyens libres et égaux d’une Turquie démocratique – et aussi d’un éventuel Etat membre de l’UE. Cependant, l’instabilité actuelle dans la région, en particulier la guerre civile en Syrie, ne nous aide pas à résoudre la question kurde dans notre pays.

Haluk Özdalga et Rosa Chiara Vitolo

Ankara, le 23 janvier 2013

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