Voir l’Italie et mourir, au Musée d’Orsay à Paris

Printemps italien au Musée d’Orsay, du 7 avril au 19 juillet.
Comment la photographie et la peinture modernes se sont-elles appropriées les thèmes du passé, de la ruine mélancolique à la farouche paysanne, tel est le propos de cette triple exposition.

1. VOIR L’ITALIE ET MOURIR : Photographie et peinture dans l’Italie du XIXe siècle

L’invention de la photographie, en 1839, fait évoluer l’image de l’Italie éternelle et la conception de son héritage culturel, de la même façon que la technique du « plein air », dès 1780, avait permis le développement d’une nouvelle esthétique ; petits formats conçus pour l’étude, changement radical de la représentation de la nature : les « vedutistes » en avaient une vision plus synthétique et plus réaliste que leurs prédécesseurs, la composition, le cadrage et la lumière étant au premier plan de leurs préoccupations.

Camille_Corot.jpgCamille Corot
(Paris 1796 – Ville-d’Avray, France 1875)
La Vasque de l’Académie de France à Rome, 1826-1827
Huile sur toile, 25 x 38 cm
Beauvais, musée départemental de l’Oise (inv. 84 82)
© RMN / Hervé Lewandowski

La photographie va offrir aux artistes la possibilité de reproduire les sujets avec plus d’efficacité, de rapidité et de précision. Elle va également devenir un outil de travail pour les archéologues et les historiens alors que les ruines d’Herculanum et de Pompéi sont mises au jour.

Elle s’immisce à la fois dans le domaine artistique, historique, politique et social, au moment où le pays se débat afin de regagner son unité.

Naît un état souverain et indépendant qui bascule dans la modernité.

Pompeo_Molins.jpgPompeo Molins (Rome 1827 – après 1900)
Rome, la Vasque de la Villa Médicis, vers 1860
Épreuve sur papier albuminé, 25 x 36 cm
Guilford, collection Bruce Lundberg
© Robert J. Hennessey

Depuis le XVIIIe siècle, le Grand Tour (du nord vers le sud) reste un passage obligé pour les peintres, sculpteurs et architectes aussi bien que pour l’élite et les intellectuels qui viennent parfaire leur éducation dans un pays où l’Antiquité est présente plus que nulle part ailleurs en Europe. « Quand je vins en Italie mes yeux étaient semblables à du verre brut : ce n’est qu’alors que je commençai réellement à voir » (Friedrich Theodor VISCHER – philosophe allemand).

Les lauréats du prix de Rome partent se former à la villa Médicis où depuis 1803 siège l’Académie de France.

Passionnément peints, dessinés, photographiés, les paysages et les vestiges antiques de la péninsule ont toujours été un sujet de prédilection pour les artistes qui en donnent une vision très romantique. « Ils disent ici : vois Naples et puis meurs » (GOETHE).

Thomas_Jones.jpgThomas Jones (Aberedew, Royaume-Uni 1742 – 1803)
Naples, constructions au sommet d’une colline
Huile sur papier, 28,7 x 38,7 cm
Londres, Tate, acquis en 1986 (inv. TO 4872)
© Londres, Tate Gallery

Sont exposés de merveilleux petits formats :

Léon COIGNET : « Groupe de bâtiments abandonnés depuis l’occupation des français, environs de Rome » (1818) et Camille COROT : « Promenade du POUSSIN, campagne de Rome  » (1825).

La neutralité documentaire de la photographie va modifier l’image idéalisée d’un « paradis terrestre » imaginé par les artistes. Les différents médias (camera oscura, daguerréotype, calotype, négatif sur verre au collodion et enfin positif sur papier albuminé) présentés dans l’exposition se confrontent aux arts traditionnels, peintures, dessins, sculptures.

On remarquera que souvent peintres et photographes adoptent un point de vue identique :

Carl BLECHER : « Un orage dans la campagne romaine  » (1829) et Giacomo CANEVA
« Rome via Appia nuova avec l’aqueduc Claudio près de Tavolato » (1855).

Edité par Noël-Marie PAYMAL LEREBOURS entre 1842 et 1844 l’album « Excursions daguerriennes » atteste de la rapidité avec laquelle s’impose ce nouveau media. Les « Vues d’Italie d’après le daguerréotype » publié par Ferdinando ARTARIA sont illustrées d’aquatintes réalisées d’après des daguerréotypes. L’écrivain John RUSKIN en illustre son célèbre ouvrage « Les pierres de Venise » aux cotés de ses aquarelles et dessins. Certaines plaques sont même retouchées afin d’animer des vues désertes, en rajoutant des personnages que le temps de pose ne permet pas de fixer.

Les sites remarquables, la lumière méditerranéenne et les paysages sont mis en valeur, pour eux-mêmes et non pour servir de support à des scènes historiques, religieuses ou mythologiques.

John_Ruskin_01.jpgJohn Ruskin
(Londres 1819 – Brantwood, Royaume-Uni 1900) (avec John Hobbes ?)
Vieille tour à Arona, sur le lac Majeur, vers 1858
Daguerréotype, 11,85 x 16 cm
Collection Ken & Jenny Jacobson
© Courtesy of K. and J. Jacobson, UK

Aux alentours de 1850 un petit groupe de photographes (en majorité peintres ou architectes) de diverses nationalités se réunit au café GRECO à Rome, étudie les nouvelles techniques de papier négatif et se retrouve sur le terrain pour pratiquer et photographier la ville. Encore ancré dans la tradition picturale, le travail de l’Ecole romaine de photographie s’adresse à un public très éclairé; ses membres (Frédéric FLACHERON, Alfred-Nicolas NORMAND, Eugène CONSTANT, James ANDERSON, Giacomo CANEVA) seront reconnus comme les grands maîtres de la photographie primitive.

Giacomo_Caneva.jpgGiacomo Caneva (Padoue, Italie 1813 – Rome 1865)
Tivoli, cascade de l’Aniene, vers 1850
Épreuve sur papier salé, 24,5 x 18,9 cm
Paris, musée d’Orsay (inv. PHO 2007 7)
© Musée d’Orsay, dist. RMN / © Patrice Schmidt

L’arrivée du chemin de fer en 1839 (deux lignes : Naples-Portici et Milan-Monza) incite la bourgeoisie à se déplacer. S’ouvrent alors des ateliers qui proposent aux touristes les souvenirs des monuments, des villes, des chefs-d’œuvre exposés dans les musées, à l’unité ou réunis dans des albums. Carlo NAYA à Venise, les frères ALINARI à Florence, Robert Mc PHERSON et Giacchino ALTOBELLI à Rome parmi les plus réputés.
A partir de 1880 l’évolution technique permet aux voyageurs de réaliser eux-mêmes leurs albums souvenirs.

Gioacchino_Altobelli.jpgGioacchino Altobelli (Terni, Italie 1814 – Rome, après 1878)
Rome, clair de lune sur le Forum, vers 1865
Épreuve sur papier albuminé, 26,1 x 37,1 cm
Kalamata, Grèce, collection particulière
Cliché musée d’Orsay / © Patrice Schmidt

Carlo_Naya.jpgCarlo Naya (Tronzano di Vercelli, Italie 1816 – Venise, Italie 1882)
Venise au clair de lune, vers 1875
Épreuve sur papier albuminé, 41,5 x 52,5 cm
Guilford, collection Bruce Lundberg
© Robert J. Hennessey

Les trois « guerres d’indépendance » inspirent les peintres et on assiste aux premiers assauts du photo-journalisme grâce au travail de Stefano LECCHI qui rend compte de la destruction de Rome (1848-49)lors de la première tentative de conquête de l’unité italienne.

Venu prêter main forte à GARIBALDI et à ses chemises rouges Gustave Le GRAY, qu’accompagnait Alexandre DUMAS, réalise un reportage sur le RISORGIMENTO : ruines, barricades, portrait du héros à Palerme en 1860.

Giovanni_Fattori.jpgGiovanni Fattori (Livourne, Italie 1825 – Florence, Italie 1908)
La Sentinelle, 1871
Huile sur toile, 34,5 x 54,5 cm
Collection particulière© D.R.

Reportage, également de Giorgio SOMMER qui, en 1872, fixe toutes les demi-heures les phases de l’irruption du Vésuve.

Giorgio_Sommer.jpgGiorgio Sommer (Francfort-sur-le-Main, Allemagne 1834 – Naples, 1914)
Éruption du Vésuve, 26 avril 1872, 41/2 p.m
Épreuve sur papier albuminé, 17,5 x 24,2 cm
Kalamata, Grèce, collection particulière
Cliché musée d’Orsay / © Patrice Schmidt

L’archéologue John Henri PARKER fait photographier, à ROME, entre 1865 et 1877, des oeuvres d’art médiéval et antique disparues lors de la modernisation de la capitale. Unique témoignage d’un patrimoine disparu. L’intérêt scientifique et documentaire de la photographie est apprécié lors des fouilles.

Le peuple italien traité jusque-là avec la plus grande méfiance sinon le plus grand mépris est désormais représenté, presque toujours de façon pittoresque et stéréotypée. Les habitants du sud, qui n’effrayent plus les voyageurs, sont pourtant toujours jugés avec sévérité (« Un pays peuplé de Diables et de Madones » dixit Maximilien MISSON au XVIIIe siècle !) et portraiturés en pifferari ou lazzaroni. Des études pour artistes (Filippo BELLI, Pietro THYGE BOYSEN, Wilhelm von GLOEDEN…) simulent la vie quotidienne de personnages posant en costume traditionnel. Elles proposent aussi des nus, des détails de monuments… tout ce qui peut enrichir la création. Les peintres puisent allégrement dans ce fond documentaire lorsqu’ils ne s’adonnent pas eux-mêmes à ce nouveau procédé (comme LEBEL qui photographie ses sujets de tableaux).

SOMMER immortalise à Naples, en 1870, des « Mangiatori di maccheroni » qui regardent le photographe en se gavant goulûment. Tous les poncifs sont permis!

Paul_Delaroche.jpgPaul Delaroche (Paris 1797 – 1856)
Les Pèlerins à Rome, 1842
Huile sur toile, 164 x 205 cm
Poznan, Muzeum Narodowne Fundacji im Raczynkich (inv. MNP FR 514)
© Muzeum Narodowe, Poznan

Simelli.jpgCarlo Baldassare Simelli (Stroncone, Italie 1811 – Rome, après 1877)
Pifferari, vers 1858
Épreuve sur papier albuminé, 19,4 x 25,6 cm
Kalamata, Grèce, collection particulière
Cliché musée d’Orsay / © Patrice Schmidt

Naya.jpgCarlo Naya (Tronzano di Vercelli, Italie 1816 – Venise, Italie 1882)
Venise, femme du peuple rentrant avec les provisions, 1870
Épreuve sur papier albuminé, 25,1 x 19,7 cm
Planche de l’album L’Italie pittoresque
Paris, Société française de Photographie (inv. 309/28)
© Collection Société française de Photographie. Tous droits réservés

Edmond_Lebel.jpgEdmond Lebel (Amiens, France 1834 – 1908)
Modèle pour “Petite marchande de figues”, 1863-1869
Épreuve sur papier albuminé, 13,5 x 20 cm
Paris, musée d’Orsay (inv. 2006 2 1 3)
© Musée d’Orsay, dist. RMN / © Patrice Schmidt

Le PICTORIALISME veut rivaliser avec la peinture. Les visions d’ Heinrich KUHN et de Hugo HENNEBERG, membres du groupe « La Feuille de Trèfle » du camera club de VIENNE peuvent se mesurer à celles des peintres symbolistes tels qu’Arnold BÖCKLIN ou Hans THOMA. Les grands formats, l’emploi de la gomme bichromatée qui adoucit les contours offrent à leurs oeuvres nimbées d’un flou irréel une dimension poétique et imaginaire inégalées.

Arnold_Bocklin.jpgArnold Böcklin (Bâle, Suisse 1827 – San Domenico, Italie 1901)
Ruine au bord de la mer, 1880
Huile sur toile, 100 x 141 cm
Aarau, Aargauer Kunsthaus / Depositum der Gottfried Keller-Stiftung
(inv. D853)
© Aargauer Kunsthaus Aarau

L’exposition se termine par la splendide « Ruine au bord de la mer » d’Arnold Böcklin qui n’est pas sans rappeler « L’île des morts ».

On pourra noter que de nombreux artistes (Arnold BÖCKLIN, Robert Mc PHERSON, Giorgio SOMMER, Friedrich NIERLY, Wilhelm von GLOEDEN….) ont pris au mot le dicton rapporté par GOETHE et ont fini leurs jours dans la péninsule…

2. ITALIENNES MODELES : HEBERT ET LES PAYSANS DU LATIUM

En complément à cette exposition, le musée d’ORSAY accroche une série d’oeuvres d’Ernest HEBERT.

Lauréat du prix de ROME en 1839, pensionnaire de l’Académie de France (alors dirigée par INGRES) de 1840 à 1844, il en fut par la suite le directeur de 1867 à 1873, puis de 1885 à 1891. Il vécut plus de trente ans dans ce pays qui l’impressionnait tant et dont il peint les moeurs archaïques : « des scènes et des personnages authentiques », loin de tout exotisme, proche de la réalité.

Ses paysannes robustes au regard fier, au port altier, à la beauté sensuelle sont en effet très éloignées des portraits de la bonne société parisienne qui ont fait le succès de ce peintre académique, cousin de STENDHAL, très en vogue sous le second empire puis la IIIe République.

La détermination que l’on perçoit dans les visages d’enfants qui fixent l’artiste, les études de détails (les ciocie, les rochers) donnent à son oeuvre une humanité et un réalisme mélancolique. C’est un travail de la maturité ; la période la plus inspirée du peintre.
On peut voir dans l’exposition les albums contenant plusieurs centaines de clichés pris par sa femme, Gabrielle, témoignage exceptionnel de la vie à Rome et dans les montagnes du Latium à cette époque.

3. L’ITALIE DES ARCHITECTES : du relevé à l’invention. Dessins d’architecture de la collection du musée d’ORSAY.

Pour conclure ce panorama italien le musée a sorti des réserves de son Cabinet d’Art graphique soixante-dix dessins d’architectes lauréats du Grand Prix de Rome. Réalisés pendant la 4ème année de leur pensionnat les dessins, aquarelles et lavis attestent de l’ »italomanie » de ces jeunes gens qui découvraient des merveilles qu’ils n’avaient pu appréhender auparavant que de façon livresque.

VOIR L’ITALIE ET VIVRE, VIVRE ENCORE POUR Y RETOURNER !

Marie SOREL

Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’Honneur
75007 Paris
www.musee-orsay.fr

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2 Commentaires

  1. VOIR L’ITALIE ET MOURIR
    Marie Sorel, il suo articolo è delicato e competente. Vien voglia di venire a Parigi al Museo, ma anche di partire per un bel viaggio in Italia.
    Tina Bettenzoli

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