“Pompéi, un site magique.” Rencontre avec Patrizia Nitti, directeur artistique du Musée Maillol.

Patrizia Nitti, directrice passionnée du Musée Maillol à Paris, parle de son grand amour pour Pompéi et de diffusion de la culture, au moment où la fondation de la rue de Grenelle consacre une exposition à la ville vésuvienne. Elle nous dévoile un projet extraordinaire qui sera bientôt officialisé. Rencontre avec une femme impliquée et quelques clés pour mieux saisir l’importance de l’exposition “Pompéi, un art de vivre”.


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A l’occasion de l’exposition “Pompéi, un art de vivre”, consacrée à la vie au quotidien dans la ville ensevelie par le Vésuve en 79 après J.-C. (visite-guidée par Altritaliani vendredi 25 novembre à 13h), nous avons souhaité rencontrer Patrizia Nitti, directrice du Musée Maillol, pour nous plonger, l’espace d’une interview, dans les coulisses de l’organisation de cette exposition et chercher à mieux saisir la personnalité de l’une des protagonistes les plus remarquables du milieu de la culture à Paris.

Ancienne responsable des expositions “Renaissance” du Musée du Luxembourg, Patrizia Nitti est nommée en 2009 directrice artistique de la Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, où elle va amener une touche plus classique dans la programmation des expositions grâce aux liens précieux qu’elle entretient de longue date avec le Ministère italien de la culture et les plus prestigieux musées et collections d’art d’Italie. Des atouts qui la rendent presque unique en son genre.

Vivement intéressée aussi par les aspects financiers de la gestion d’une structure muséale, Patrizia Nitti a des compétences qui lui permettent d’être attentive non seulement à la qualité scientifique mais aussi au potentiel commercial d’un événement culturel.

«La vulgarisation de qualité me tient très à cœur», dit-elle. «Le choix d’un thème d’exposition représente toujours une prise de risque, mais, à mon avis, si l’on arrive à capter l’intérêt d’une seule personne qui ne s’est jamais intéressée à la culture, le pari est gagné. Je réserve aux visiteurs du musée mon respect le plus grand et j’exige pour eux des projets de valeur».

Patrizia Nitti ©Jean Alex Brunelle

C’est grâce à sa capacité d’équilibrer qualité scientifique et rentabilité que dès le début de sa carrière, en 1987, elle est appelée à Pompéi pour une première expérience d’économie appliquée à la culture, concept nouveau pour l’Italie de l’époque. Le ministre italien de la culture Nino Bulotti envisage, en effet, de valoriser le site pompéien et le territoire avoisinant par le biais de retombées économiques et d’un retour positif d’image.

Dans cette perspective, nous raconte Patrizia Nitti, il fut décidé de mettre en valeur les fouilles et le site tout entier à travers l’organisation d’évènements culturels. Ainsi naquit un festival de théâtre qui dura trois ans et sut attirer un public international. En charge du poste de directrice financière, Patrizia Nitti voit défiler à Pompéi tous les plus grands noms du théâtre mondial, «un moment exceptionnel» dit-elle «où Pompéi, grâce à ce festival, est revenu à la vie et où j’ai compris que cette ville n’était pas morte».

Le récit qu’elle nous livre de son expérience pompéienne est chargé d’émotion et de souvenirs qui ont durablement marqués sa carrière. Le site archéologique, confie-t-elle, lui a immédiatement communiqué un profond lien à la vie, grâce à la cristallisation qui a suspendu pour des siècles l’existence d’une ville entière, dont l’énergie et le foisonnement étaient rendus au fil de l’avancement des fouilles. «Ceux qui travaillent sur ce chantier ont constamment l’impression qu’ils vont découvrir quelque chose ou qu’ils sont comme des profanateurs qui pénètrent dans l’intimité paisible de quelqu’un».

Une expérience, souligne Patrizia Nitti, fondamentale pour sa sensibilité artistique, à tel point que depuis qu’elle dirige des musées elle avait le désir de transmettre au public cette sensation intense et magique. Et conversant un jour avec ceux qui sont devenus par la suite les commissaires de l’exposition, est née l’idée que le meilleur moyen de parler de Pompéi était de raconter la vie au quotidien de ses habitants et la modernité de leurs maisons d’habitation (le parcours de l’exposition y parvient de manière très efficace et propose aux visiteurs des objets, des meubles, des fresques d’une beauté et d’une valeur exceptionnelles).

«Nous désirions aussi montrer un aspect différent du monde romain. Les fouilles archéologiques débutèrent à Rome au XVIe siècle. Raphaël en fut le surintendant. Elles nous ont habitués aux vestiges imposants d’une architecture officielle faite de temples et palais, conçue pour l’éternité. Il est plus difficile d’avoir accès à une vision de l’architecture mineure, celle des constructions plus modestes. Pompéi, dont la découverte date du XVIIIe siècle, est à cet égard un site d’une richesse hors pair». L’exposition se veut, donc, comme une invitation de la part des maîtres des lieux à faire vivre aux visiteurs leur quotidien tel qu’il était il y a deux mille ans.

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L’exposition brosse le portrait d’une ville frémissante et variée, habitée par une riche bourgeoisie de province, par des militaires en fin de carrière appartenant à des familles qui s’étaient rangées aux côtés de Rome au moment de la conquête, par une couche importante de Liberti, des nouveaux riches qui prirent petit à petit le pouvoir économique, et par un nombre considérable d’esclaves. Cette société était d’une intéressante modernité. La femme à Pompéi jouissait d’une liberté plus grande que la femme grecque et même, dans certain cas, que la femme occidentale contemporaine, nos mœurs étant toujours profondément marqués par la culture judéo-chrétienne.

La sexualité, dont on a beaucoup parlé, était décomplexée, réglée par des lois qui légiféraient sans faire appel à la morale. Une sexualité symbole de prospérité, de capacité reproductive et protection du foyer, métaphore de vie, d’une vie débordante d’énergie, reproduite sous forme d’objets de décoration présents dans toutes les maison, tant et si bien que les premiers archéologues crurent avoir découvert un immense lupanar.

Pompéi, une ville caractérisée par des demeures s’inspirant du modèle grec et étrusque, où l’eau et la végétation ont une place de choix. Patrizia Nitti affirme à ce propos avoir été particulièrement émue par le travail des paléo-botanistes, des spécialistes qui, grâce à l’étude de pollens cristallisés et de racines fossilisées, déchiffrent l’architecture végétale des sites de l’antiquité. Leurs efforts ont confirmé une nette tendance à l’évolution de la nature, avec des plantes jadis présentes dans le territoire vésuvien et aujourd’hui complètement disparues.

Emblématiques, à cet égard, la restauration de la Villa des Amants chastes, dont les roses fossilisées ont pu être retrouvées aujourd’hui en Irlande, à bien de kilomètres du golfe de Naples, tout comme la disparition des platanes, aujourd’hui remplacés par des pins parasols et celle de divers cépages de vignes maintenant introuvables en Europe.

Un site riche et mythique, celui de Pompéi, qui depuis sa découverte a suscité l’intérêt d’un nombre incalculable d’archéologues, artistes, collectionneurs, curieux et touristes. Un site fragile toutefois, dont le paradoxe est dû au fait que si l’éruption a permis de conserver la ville, les fouilles, elles, posent constamment un problème de fragilisation, d’exposition aux agents atmosphériques, de pillage, d’incurie. Une vaste zone d’environ 66 hectares, dont seulement 44 portés à la lumière du jour, avec 2500 maisons et échoppes. Un défi constant pour les institutions chargées de sa tutelle et de sa valorisation, dont les ressources ne sont jamais à la hauteur de la tâche à accomplir. Un site archéologique d’une immense importance scientifique, que tout le monde occidental considère comme l’un des symboles les plus grands de civilisation antique et qu’il faut naturellement préserver avec un fort déploiement de moyens.

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Face aux récents effondrements survenus dans la ville vésuvienne, les derniers étant ceux d’un mur d’enceinte dans la nuit du 21 au 22 octobre 2010 et celui de la célèbre Maison des gladiateurs le 6 novembre 2010, l’attention internationale ainsi que de nombreuses polémiques ont suscité un état d’alarme général auquel il faut maintenant faire face, dit Patrizia Nitti, en impliquant des acteurs externes à l’administration ministérielle italienne, puisque les autorités de tutelle n’ont pas les moyens financiers nécessaires à garantir la protection du site.

Chargée de son expérience directe à Pompéi et grâce à ses multiples contacts entre Rome et Paris, la directrice du Musée Maillol a mis depuis quelques mois en relation le MIBAC (Ministère italien de la Culture) et l’UNESCO avec l’EPADESA (Etablissement public d’Aménagement du Site de la Défense Seine Arche). Le but de cette opération est de canaliser une partie des importantes ressources financières de l’établissement parisien vers un projet de valorisation et sauvegarde du site archéologique de Pompéi que non seulement les Italiens, mais aussi les étrangers considèrent comme faisant partie de leur patrimoine.

Façade du Musée Maillol

L’accord, encore officieux, mais dont l’annonce devrait être imminente, prévoit une importante ouverture aux capitaux privés, mais en faisant clairement la distinction entre compétences scientifiques, attribuées au tandem MIBAC-UNESCO, et celles financières, assumées par l’EPADESA. Il s’agit, continue Patrizia Nitti, d’un accord d’une grande importance pour le site de Pompéi, qui pourra même devenir un modèle pour d’autres projets similaires dans le futur, en Italie comme ailleurs. Entre fin novembre et début décembre 2011, les trois acteurs de cette opération se rencontreront pour une nouvelle étape du projet au Musée Maillol à Paris, qui deviendra ainsi probablement l’écrin d’une officialisation que le monde scientifique et les amoureux de Pompéi suivront de très près.

Domenico Biscardi

Pompéi. Un art de vivre.
Du 21 septembre 2011 au 12 février 2012

Catalogue : Pompéi. Un art de vivre, Gallimard – Musée Maillol.
Le Figaro hors-série : Pompéi. Un art de vivre. Un outil efficace pour comprendre la vie pompéienne avec des approfondissements qui complètent le parcours de visite.Musée Maillol/Fondation Dina Vierny
56/61, rue de Grenelle
75007 – Paris

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