“La Fête du siècle”: un portrait ironique et singulier de la société italienne signé Niccolò Ammaniti.

«Ce roman est le fruit de mon imagination et de rêves turbulents. Si vous y voyez des choses et des faits qui ressemblent à la réalité, c’est votre affaire». Pour faire taire d’éventuelles polémiques, Niccolò Ammaniti annonce ainsi clairement que son nouveau roman, “La Fête du siècle” (Che la festa cominci), paru récemment chez Robert Laffont, est purement fictif.

De passage à Paris, à la librairie italienne La Tour de Babel, Ammaniti, entouré de ses fans italiens et français, avoue qu’il s’est beaucoup amusé en écrivant ce livre où il a donné libre cours à son imagination. «Après “Comme Dieu le veut” (Prix Strega, Grasset, 2008), j’étais bouleversé par les sentiments d’extrême solitude des protagonistes et par la violence – physique et psychologique – du milieu social dans lequel ils évoluent. Quand j’ai commencé “La Fête du siècle”, j’ai souhaité écrire un récit comique, une aventure. Je voulais m’amuser».

Niccolò Ammaniti

Ainsi, pour s’amuser lui-même et divertir ses lecteurs, il a choisi d’évoquer une situation par excellence ludique : une fête. Il s’agit en l’occurrence d’une fête «si exclusive et si somptueuse qu’elle resterait dans les annales des siècles à venir comme le plus grand événement mondain de l’histoire» de la République italienne. La fête du siècle, précisément. Telle était l’idée de Sasà Chiatti, spéculateur immobilier aux origines obscures, qui organisera cette soirée grandiose à la Villa Ada, «la plus ancienne et la plus sauvage» des Villas de Rome, et qui – de l’avis d’Ammaniti – l’emporte sur la Villa Doria Pamphili et la Villa Borghese.

Ammaniti nous raconte une fête cocasse, parfaitement décadente, où les invités vont jusqu’à assister à des safaris-surprise avec des fauves importés directement d’Afrique et à laquelle participe tout le gratin de la “Roma bene” : des entrepreneurs, des politiciens, des gens du spectacle et du sport, des femmes magnifiques d’une beauté artificielle, et également Fabrizio Ciba, écrivain célèbre qui y «apparaît exactement tel qu’il veut paraître, jeune, tourmenté, la tête dans les nuages».

Un groupe de types désaxés appartenant à une secte satanique baptisée «Les Enragés d’Abbadon» se glisse même parmi tous ces VIP pour y rechercher une victime adéquate à sacrifier à Satan.

Après quelques hésitations, le lecteur se laissera captiver par cette fête surréaliste dans laquelle la fiction semble parfois l’emporter sur la réalité. Son imagination sera touchée par des situations folles, tragicomiques, angoissantes, violentes, et par des coups de théâtre, dignes d’un film d’action américain, qui se multiplieront jusqu’à une fin tout à fait imprévue. Le suspense des dernières pages suit le rythme de la fête désormais transformée par Niccolò Ammaniti en un cercle infernal digne d’une “Divine Comédie” contemporaine.

Les protagonistes de ce roman sont, à vrai dire, tous des antihéros en quête de rachat moral.

L’écrivain Fabrizio Ciba possède tout, femmes, argent, célébrité, mais il est en mal d’inspiration. Il est partagé entre deux modèles de vie dont s’inspirer : l’ermite J. D. Saliger ou le mondain Francis Scott Fitzgerald. Depuis trois ans il reste bloqué au chapitre II de son nouveau roman et les relations avec sa maison d’édition sont très tendues. Il cherche donc le moyen de demeurer à l’apogée du succès et s’agrippe à l’idée que seul l’amour peut, comme une bouée de sauvetage, lui permettre de rester à flot.

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Quant à Saverio Moneta, autre personnage important du roman, sa situation n’a rien d’enviable : sa carrière est au point mort et sa femme le déteste. Pour compenser sa frustration, il décide de se réfugier dans le mal et se crée une double vie, celle de Mantos, le leader tragicomique d’une secte à la recherche de notoriété dans l’univers du satanisme italien.

Les intrigues de l’écrivain Ciba et celles de la secte, notamment de son leader Mantos, se déroulent parallèlement, jusqu’à converger au moment de l’acmé du roman : la fête. C’est ici que ce qui dans la trame du roman peut paraître à première vue superficiel se révèle en revanche original. Cette fête, lieu de masque et de fiction où tout le monde joue un rôle, devient en effet un moment paradoxal où les situations, poussées jusqu’à l’extrême, obligeront les personnages à lever le masque et à se confronter, enfin, à leur vraie personnalité.

Parmi les admirateurs d’Ammaniti venus à la librairie la Tour de Babel pour découvrir l’auteur et son roman, beaucoup se sont montrés très intéressés par la genèse des personnages principaux et les questions ont été nombreuses.

Ammaniti a révélé avoir trouvé l’idée des satanistes presque par hasard : «Je voulais raconter une histoire de gens ordinaires, mais qui vivent des situations si étouffantes qu’elles ne leur permettent pas d’exprimer leurs propres sentiments si bien qu’ils essayent de les exprimer autrement. Je ne me suis pas vraiment inspiré d’événements réels, tels qu’on peut en trouver par exemple dans les journaux – explique Ammaniti. Je me suis plutôt inspiré des jeux vidéos, des personnes qui dans la vie n’arrivent pas à s’affirmer mais qui disposent dans les jeux de rôle d’un grand charisme. Ainsi m’est venue l’idée d’un groupe de types déséquilibrés qui se créent une double vie pour trouver succès et célébrité, comme cela se passe dans les jeux de rôle. Au fur et à mesure que le livre prenait forme, j’ai aussi cherché à donner une épaisseur émotive à des personnages que je n’avais conçus au départ que comme simple matière comique. J’ai ressenti qu’il fallait aller au-delà de la pantalonnade et montrer la souffrance que peut engendrer une vie non réussie».

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Le personnage du roman le plus marquant aux yeux du public est sans doute l’écrivain Fabrizio Ciba. A travers Ciba, Ammaniti décrit le stéréotype de l’écrivain célèbre et se livre à quelques commentaires à son sujet : « Je me suis beaucoup amusé à me moquer de moi-même avec Ciba, à jouer avec un stéréotype à travers le filtre de l’ironie. Ciba est un concentré de tout ce qu’il y a de pire chez moi, des mesquineries, des petitesses, des réactions liées au succès et à la peur de le perdre. En fait – précise Ammaniti en souriant – si j’ai ajouté quelques éléments autobiographiques à mes personnages, ce n’est peut-être que le pire de moi-même. Ciba n’est pas méchant, il est juste désespéré et prêt à tout pour conserver intact son succès. Je crois, finalement, qu’il est le personnage le plus négatif que j’aie jamais créé. C’est pour cela, peut-être, qu’il est aussi celui que j’aime le plus».

Dans “La Fête du siècle”, Ammaniti a abandonné ses thèmes de prédilection (l’adolescence et les rapports père-fils) qui avaient fait le succès de ses précédents ouvrages, pour créer cette fois une comédie aux intentions grotesques, dans laquelle les limites entre le vice et la vertu, le bien et le mal, ne sont pas évidentes. Mais, au fond, personne n’est ni bon ni méchant dans ce récit et chaque lecteur, selon son tempérament, pourra choisir le personnage auquel accorder sa faveur ou s’identifier (Fabrizio Ciba ou Mantos ?) – exactement comme dans un jeu-vidéo.

Le lecteur fidèle d’Ammaniti découvrira dans “La Fête du siècle” un Ammaniti plutôt inédit, mais en reconnaîtra le style incomparable grâce à l’excellente traduction française de Myriem Bouzaher. Cette dernière réussit à conserver intact l’univers créé par l’auteur malgré les difficultés que présente la traduction du dialecte romain et de certaines tournures expressément vulgaires dans la version originale : «Traduire Ammaniti est pour moi une torture, à chaque mot, mais c’est aussi un bonheur parce qu’il s’agit de beaux livres – commente en plaisantant Myriem Bouzaher. Les mots ouvrent des mondes et traduire signifie ouvrir les mêmes mondes que ceux créés par l’auteur mais avec des mots différents. Quand on traduit, c’est comme si l’on faisait un deuil interprétatif. Voilà, traduire Ammaniti, c’est traduire des images, surtout dans ce dernier roman où chaque mots évoque des images très fortes ».

Quelle impression gardera alors le lecteur de “La Fête du siècle”? Celle d’une fiction qui surpasse la réalité. Celle d’un Ammaniti qui, derrière la fiction, prend pour cible la société italienne d’aujourd’hui en montrant les excès et les limites d’un monde caché derrière de faux idéaux et perdu dans le culte de l’apparence. Un «portrait impitoyable» de l’Italie d’aujourd’hui à travers tous les milieux sociaux vus dans leurs infinies petitesses. Le tableau d’un pays où la machine du spectacle et de l’apparence a étouffé la culture. «La satire de la société italienne n’était pas le but principal de mon roman – explique Ammaniti – mais elle a fini par transparaître entre les lignes. En tout cas, je n’envisageais pas un jugement moral. Disons que je raconte un énorme cirque forain, plausible, mais déguisé en une extraordinaire fête mondaine».

Bien entendu, l’aspect satirique de ce dernier roman de Niccolò Ammaniti sera plus évident pour le lecteur italien ; tout en étant amusé, il rira d’un rire amer. En revanche, le public français profitera d’un divertissement – probablement – plus simple.

Silvia Ricca

La fête du siècle (Che la festa cominci). Traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Robert Laffont, 394 p., 21 euros.

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