La table des Abruzzes: on dirait le Sud…

S’appuyant sur sa géographie, la table des Abruzzes décline une gastronomie forgée sur la fidélité à son terroir et ses produits. Une cuisine rustique, une cuisine de caractère. De bon goût. Article avec carnet d’adresses. Située en Italie centrale, la région des Abruzzes (chef-lieu L’Aquila) s’étend du cœur des Apennins à la mer Adriatique, un territoire en grande partie montagneux et un littoral de longues plages sablonneuses.

Montagne par ci, montagne par là. Des hauts plateaux, des vallées et vallons, des forêts, des rivières qui dégringolent cherchant la bonne pente. Un bestiaire agité, une terre fertile, tantôt ensoleillée, tantôt arrosée. De quoi favoriser la présence d’une infinité de produits. De quoi cuisiner. Forcément.
Vue sur le Gran Sasso ©Jean-Michel Véry

De fait, la région des Abruzzes offre une palette de plats, occupant toutes les places d’un menu. On pourrait parler de cuisine “pauvre”. Non parce qu’il s’agit d’une pauvre cuisine, dépourvue d’imagination et d’ingrédients, mais parce qu’on a là une table simple, humble, aux allures agro-pastorales, ingénieuse qui préfère exalter les saveurs et les arômes, tenant aux collets son produit. Ni trahison, ni esbroufe. Mais des couleurs locales qui vont des céréales aux légumes, des fromages aux cochonnailles, jusqu’aux produits d’exception comme la truffe et le safran, largement répandus dans la région, appréciés.

Une cuisine locale, typique, au sens noble du terme (c’est-à-dire qui ne cherche pas à séduire le touriste dans une formule galvaudée), qui conserve ses traits d’union entre le produit, son terroir et une histoire culturelle, sociale, économique.

Soupe de farro

En préambule, si un florilège de saucissons (telle la micischia, issue d’une recette antique de bergers, aromatisée de viande de chèvre ou de brebis), de miels et de fromages composent les antipasti, avec une déclinaison de pecorino, les uns piqués de pointes de piment, les autres rehaussés de truffe, les légumineuses sont un leitmotiv. A grands renforts de pois chiche, de lentilles, de fèves, de pois cassés, de haricots blancs apprêtés en salades, en ragoûts, chauds ou froids, seuls ou accompagnés, épaulés par un autre ingrédient (les cèpes, par exemple, ou encore la truffe), toujours caractéristiques d’une «cucina povera, contadina».

La soupe de farro, constituée de froment, joue ici le rôle de figure emblématique (joliment accommodée avec les cèpes). Au même titre que la chitarra, préparation de pâtes fraîches traditionnelles, taillées comme des cordes de guitare, régulièrement taquinées par les herbes de montagne, le safran, l’agneau, la crevette ou la ricotta.

Et dans le chapitre des primi piatti, les Abruzzes rempliraient plusieurs pages d’un Larousse gastronomique, sinon un bottin gourmand, partagé entre les gnochetti de pommes de terre, haricots et safran, les joues de truite au citron et au persil, l’aspic en gelée de jus d’orange, les salades de crevettes, les écrevisses grillées ou cuisinées au court-bouillon et un éventail de pâtes : des ravioli garnis de fromage et de poire, des tagliatelles ou des ceppe à la truffe ou aux cèpes, des paccheri aux parfums de menthe et citron, des lasagnes aux épinards, ou une “amatriciana”, fierté de Rieti, sous forme de spaghetti, de bucatini ou de rigatoni, préparés avec de la joue de porcs salée, du pecorino, de l’oignon, avec ou sans tomate selon les versions.

Le risotto au safran, ou arrosé de Montepulciano, cet autre fleuron de la région, se veut un autre plat très prisé. Et pour peu qu’on se rapproche de la mer, il n’est pas rare de trouver une calamarata al granchio, méli-mélo de calamars et de crabe ou un brodetto di pesce, une soupe de poissons relevée de tomates fraîches.

pallotte cac’ e ‘ove

Généreuse, enveloppante, la cuisine abruzzienne se plaît à rebondir sur la viande dans ses secondi piatti : tagliatelles de bœuf sur un lit de roquette, aux cèpes ou sur une fondue de pecorino, simples côtes d’agneau, escalopes de veau au citron ou au marsala, rôtis de porc au four ou encore les fameuses “pallotte cac’ e ‘ove”, des boulettes d’œufs et de fromage, plat traditionnel pauvre, cuisinées à l’étouffée, préparées avec de la mie de pain, du pecorino émietté grossièrement, des œufs battus, du persil, une sauce tomate.

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Sise delle monache

En termes d’épilogue, le choix oscille entre les dragées de Sulmona, le nougat tendre de L’Aquila, les bocconotti, petits gâteaux fourrés d’amandes, de cacao amer, parfumés au citron et à la cannelle ou encore les Sise delle monache, d’une joyeuse simplicité, symboles de Guardiagrele, petites montagnes de pain brioché farci de crème et saupoudré de sucre glace, maternel et malicieusement érotique à la fois, infantile et voluptueux, propre à se lécher le pourtour des lèvres. A goûter comme un condensé de la cuisine des Abruzzes.

Jean-Claude Renard


Miches de pain, froment et safran, l’expression d’un terroir

Martyrisée pour lui avoir refusé ses faveurs par un administrateur en charge de la pax romana dans les territoires méridionaux conquis par la Rome antique, Agathe, jeune pupille convertie au christianisme, est devenue l’une des saintes les plus adulées dans le sud de l’Italie, depuis Catane en Sicile, dont elle est la patronne, jusqu’au petit village de Castlevecchio Subequo, au cœur du parc régional du Sirente Velino. Ici, on vénère la jeune fille aux seins coupés par l’odieux centurion.

Pagnotte di sant'Agata

Les 4 et 5 février, jours de la fête votive de la sainte, chaque ménagère prépare des miches de pains en forme de seins, cuites à point. Ce sont les pagnotte di sant’Agata dégustées en marge de la procession et surtout après le bain rituel dans la source du village, à l’eau réputée réparatrice. C’est que le pain, et plus largement les céréales sont au cœur de la culture gastronomique des Abruzzes en tant qu’aliment de base mais aussi symbole de cette culture essentiellement agricole et surtout pastorale. Elles ont acquis une importance particulière pour les habitants de ces montagnes dont la vie fut longtemps rythmée par la transhumance, des plaines jusqu’aux hauts plateaux.

En premier lieu, le froment, céréale phare de l’alimentation populaire depuis l’Antiquité jusqu’au Moyen Âge, a été réintroduit au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, sans doute à une époque où la pauvreté frappait plus durement encore les Abruzzes. Outre des pains de toutes formes, il sert de base aux savoureuses soupes de farro, que tout voyageur dans la région déguste régulièrement avant le primo piatto. Mais le froment est aussi utilisé en salade, dans de nombreux desserts et surtout comme céréale de base à la préparation des pâtes confectionnées à la main dans chaque foyer.

Safran de Navelli

Enfin, autre ingrédient qui a fait la réputation des Abruzzes, le safran. Introduit en Italie au XIIIe siècle par un moine dominicain de retour du Moyen-Orient, sans doute en croisade, il fut longtemps cultivé dans toute la région. Mais au fil des siècles, cette culture, souvent en altitude, s’est concentrée autour de L’Aquila, en particulier dans la plaine de Navelli. Les fleurs de la crocus sativus sont récoltées tôt le matin, avant le lever du soleil, et avant de procéder à la défleuraison, consistant à faire sécher les pistils par une torréfaction légère. Un pot d’un seul gramme équivaut à la récolte de deux cents fleurs.

A la fois épice et produit pharmaceutique au coût assez élevé, le safran “purissimo dell’Aquila” est considéré comme l’un des meilleurs du monde et participe grandement à la réputation de la province. Le safran est particulièrement prisé comme condiment des risotti, accompagnant les entrées à base d’agneau ou d’écrevisses, les volailles et autres préparations de pasta asciutta, leur donnant une belle coloration jaune soleil.

Olivier Doubre


Carnet d’adresses

Ecrevisses ©Jean-Michel Véry
Il Salice

Via Vagna. Loc. Cirichiello – Bussi sul Tirino – Province de Pescara

Tél. 368 307 4808.

Parmi les spécialités, les écrevisses du Tirino.

Ristorante Il Salice

Ristorante Il Sirente

Antico Convento S. Francesco, via S. Pio, 67020 Fontecchio.

Tél. : 0862 853 76.

www.ristoranteilsirente.com

Aux pieds de Fontecchio, dans l’ancien couvent San Francesco, avec un remarquable cloître. Une large carte qui propose un tour d’horizon de la cuisine des Abruzzes. Chitarra maison, petites boules de mozzarella, chicche di patate, carciofi et zafferano, risotto au montepulciano, agnello alla griglia…

La Braceria, e non solo !

Via Gramsci, 15 Bussi sul Tirino

Tél. : 366 644 25 34.

Excellente adresse fleurant bon la cuisine régionale. Spécialité de grillades.

Ristorante La Braceria e non solo

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LE PECORINO

Pecorino et miel

Si tous les producteurs possèdent leur technique et leurs secrets de fabrication de ce fromage partout répandu dans les Abruzzes, celui de Farindola, bourg de moins de 2 000 habitants, vaut bien le détour pour son savoureux fromage. Un fromage de brebis élevées sur le versant oriental du parc national du Gran Sasso, à Farindola même et dans d’autres communes limitrophes. Le lait est travaillé cru, présenté en forme de un à deux kilos, avec une présure provenant de l’estomac de porc. Durant l’affinage, les formes sont retournées, massées et arrosées d’huile d’olive vierge et de vinaigre pour qu’il ne sèche pas et de sorte à éviter la formation de moisissures.

J.-C. R.

Renseignements : www.pecorinodifarindola.it

LES CEPPE

Ceppe aux cèpes

Symboles de Civitella del Tronto, au nord de Teramo, les ceppe comptent parmi les meilleures pâtes des Abruzzes. Elles relèvent d’un mélange classique d’eau, d’œufs et de farine, reposé dans une terrine huilée pendant une trentaine de minutes. La pâte est alors divisée en de nombreux petits morceaux de pareille dimension allongés ensuite d’environ 15 centimètres chacun et enroulés l’un après l’autre autour d’une fine aiguille à tricoter pour obtenir une espèce de macaroni. Les ceppe sont servies en ragoût avec différentes viandes ou des cèpes, saupoudrées parfois d’un pecorino.

J.-C. R.

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Jean-Claude Renard
Jean-Claude Renard, journaliste à Politis et auteur, amateur passionné de gastronomie, a notamment écrit : avec Michel Portos, "Michel Portos. Le Saint-James en 65 recettes", (Flammarion, 2011) ; avec Yves Camdeborde, "Simplement bistrot" (Michel Lafon, 2008) ; avec Emmanuelle Maisonneuve, "Mots de cuisine" (Buchet-Chastel, 2005) ; "La Grande Casserole" (Fayard, 2002). "Arrière-cuisine" est paru aux éditions de la Découverte en 2014. Il a également publié "Marcello" (Fayard, 2002), "Céline, les livres de la mère" (Buchet Chastel, 2004), "Italie. Histoire, société, culture" (La Découverte, 2012), avec Olivier Doubre et "Si je sors je me perds" (éditions L'Iconoclaste, janvier 2018). Nous avons appris avec grande tristesse le décès de Jean-Claude, survenu le 31 octobre 2022 (https://www.politis.fr/articles/2022/11/en-memoire-de-jean-claude-renard-journaliste-a-politis-44997)

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