Italinscena : L’Hamblette, de Giovanni Testori

Giovanni Testori, auteur italien contemporain (mort en 1993) propose dans son théâtre une dramaturgie dont le centre de l’action est la parole, souvent protestataire et blasphématoire.

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Lorsque Giampaolo Gotti découvre ce texte, il est d’emblée fasciné par la langue, un fatras de dialectes, de latinismes, d’emprunts au lexique étranger, par une manière de passer brusquement d’une langue cultivée et recherchée à une autre vulgaire et souvent scatologique… montagnes russes qui ont su créer en lui une sensation vertigineuse.
L’écriture charnelle de Testori est aussi empreinte d’érotisme, qui se catalyse autour du Franzois (nouvel Horatio, alter ego de l’Hamblette), personnage énigmatique porteur d’éros, donc de pulsions unitives et désagrégeantes. Il amène, d’après le metteur en scène (qui cite là Artaud), une peste qui, comme le théâtre, «se dénoue par la mort ou la guérison».

D’ailleurs la question du théâtre et de la peste est au centre de ce spectacle : faire de l’art une aventure collective, voilà l‘utopie, mais un ensemble artistique n’est jamais éternel. Il faudra accepter qu’il se désagrège et que, de ces individualités, naissent d’autres ensembles, qui à leur tour se déferont.

C’est aussi le contexte social de l’Italie des années soixante-dix lorsque des mouvements terroristes noirs ou rouges ravageaient le pays entrainant la jeunesse vers une sorte de guerre civile. La mise en scène, pour faire émerger cette atmosphère, entremêle le mythe shakespearien avec les années de plomb.

Dans cette œuvre, le personnage d’Hamblette n’est pas un intellectuel mélancolique, mais un jeune désespéré, qui fait un pari mortel où il joue sa propre vérité. Interrogeant la vie, il parvient, par excès d’amour, à la malédiction de la vie elle-même. Victime d’une trahison du père (ou des pères), le héros transforme sa douleur privée en acte d’accusation et en blasphème : il sera le sacrifié, destiné à renverser la pyramide de l’ordre établi. Mais en tuant l’ancien dieu (créateur de la pyramide, responsable du statu quo du réel), il en invente un nouveau (celui de l’imaginaire).

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Le travail des comédiens s’est construit dans la polyphonie : le chant et l’improvisation, comme pour le jazz, ont permis de créer cette structure. De plus le metteur en scène a entraîné le corps des acteurs à des expériences inhabituelles, les forçant à ne pas s’en défendre, mais plutôt à les intégrer comme une possibilité d’échapper à la routine des mouvements quotidiens, créant un univers visuel où les images deviennent autonomes comme dans les rêves ou les cauchemars.

Le pari est tenu et l’objet proposé est bigarré, polymorphe et intense.

Sylvia Bagli

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Dossier L’Hamblette

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L’Hamblette de Giovanni Testori

Une variation sur Hamlet

Mise en scène Giampaolo Gotti et La Nouvelle Fabrique

Assistanat Sylvia Bagli, scénographie Estelle Gautier, lumière Benjamin Nesme, son Thibaut Champagne

avec Clément Carabédian (Le Franzois), Benoît Felix-Lombard (Hamblette), Thomas Fitterer (Polone/Laerte), Marie-Cécile Ouakil (Gertrude/Lofélie), Colin Rey (Arlong)

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Italinscena, rendez-vous d’exploration critique des nouvelles écritures théâtrales italiennes proposé par les lecteurs et traducteurs du Comité italien de la Maison Antoine Vitez en partenariat avec ALTRITALIANI.NET

Membres du comité italien: Antonella Amirante (metteuse en scène), Sylvia Bagli (comédienne, traductrice), Angela de Lorenzis (dramaturge), Eve Duca (enseignante, traductrice), Olivier Favier (traducteur), Juliette Gheerbrant (traductrice), Hervé Guerrisi (comédien, traducteur, metteur en scène), Federica Martucci (comédienne, traductrice), Amandine Mélan (traductrice),Caroline Michel (comédienne, traductrice), Antonia Proto Pisani (dramaturge), Julie Quénehen (enseignante, traductrice), Paola Ranzini (enseignante)

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