Sale août, comédie triste en quatre actes, de Serge Valletti

Qu’est-ce qu’un Français ? un Italien triste ! dit ce vieil adage un tantinet roublard. C’est peut-être pour cette raison que Serge Valletti a donné à «Sale août», sa pièce à l’affiche jusqu’au 23 janvier à la MC 93 ce sous-titre : «Comédie triste en quatre actes». De fait, c’est bel et bien à une tragédie à laquelle on assiste à travers la petite société de nantis qui en est témoin et dont les états d’âme et les errances ne sont pas sans rappeler les personnages de Tchékhov.

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Il fait chaud, très chaud en ce 15 août 1893 à Aigues-Mortes, la bien-nommée. C’est la fête de l’Assomption et l’atmosphère est lourde, électrique, malgré la liesse populaire. Ce n’est pas tant la sécheresse qui embrase les esprits que les conditions faites aux saisonniers italiens, obligés de travailler deux fois plus que les ouvriers agricoles locaux. La méfiance dès lors s’installe dans les marais salants d’où l’on extrait le sel qui fait la prospérité de la région et de sa bourgeoisie. Et l’inéluctable se produit.

La chasse aux Italiens éclate ; c’est le hallali dans toute la ville. Le pogrom durera deux jours et se soldera par la mort de huit d’entre eux et plus de cinquante blessés – tous Italiens. Les assassins seront acquittés et l’affaire enterrée. La Cité nationale de l’Histoire de l’Immigration a voulu sortir du silence cet événement longtemps occulté – sur lequel s’est penché l’historien Gérard Noiriel -, qui nous interpelle sur l’émigration contemporaine en France. Elle a proposé à la MC93 d’en faire du théâtre et le texte a été commandé à l’auteur marseillais.

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Patrick Pineau avec sa troupe d’acteurs et techniciens fidèles l’interprètent dans une mise en scène résolument moderne mise en valeur par le dépouillement du décor – souligné par des éclairages magnifiques – et, ce faisant, par le jeu des comédiens. Ceux-ci (Gilles Arbona, Nicolas Bonnefoy, Hervé Briaux, Célia Catalifo, Laurence Cordier, Jean-Charles Di Zazzo, Pierre-Félix Gravière, Mathilde Jaillette, Laurent Manzoni, Benoît Marchand, Sylvie Orcier) sauront être très convaincants dans l’évocation de cette bourgeoisie affairiste et déclinante que le drame va révéler. Confrontés à leurs lâchetés et à leurs propres rêves avortés, tous devront se mesurer à leur culpabilité. Personne n’y échappera, pas même le fils de famille, imbu d’idées socialistes, et rabroué par Monsieur Fournier, son oncle, lequel sombrera dans la folie car il est le seul «condamné»… à payer une amende de dix francs pour ne pas avoir voulu ouvrir les grilles de sa résidence aux migrants poursuivis par la foule en colère !

Cette société, à l’orée d’un nouveau siècle que le progrès devait délivrer une fois pour toutes de la violence et de la pauvreté, rappelle la nôtre. A plus d’un siècle de distance, les élites, engoncées dans leurs privilèges, se cachent la tête dans le sable pour ne pas voir la crise dont ils sont les premiers responsables.

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C’est tout l’intérêt de ce texte sobre et retenu, trop peut-être, qui hésite toutefois à donner à entendre l’autre versant de cet assourdissant silence. A cet égard, le soliloque de Mario dans sa langue maternelle tombe à point nommé pour dire la douleur de ces déracinés, sacrifiés sur l’autel du profit. Sa colère sourde est sans doute le moment le plus émouvant de la pièce et aussi le plus tragique. Mais aussitôt, cette colère retombe curieusement dans le silence, comme si cette parole devait demeurer à jamais indicible. C’est sans doute la limite de cette pièce néanmoins forte qui aurait dû se terminer sans ce codicille explicatif du quatrième acte.

C’est la seule critique que l’on peut faire à l’auteur qui a su tirer, et avec quelle aisance, toutes les ficelles de la dramaturgie ; du théâtre classique où l’on évoque le drame sans jamais le montrer, jusqu’au vaudeville en passant par la mise en abîme pirandellienne. Autant de qualités qui viennent conforter la morale de cette pièce. Car personne ne sort indemne de la violence en s’en lavant les main. C’est aussi l’éternelle leçon de notre humanité.

Fulvio Caccia

Renseignements pratiques :

Sale août, «comédie triste en quatre actes»

du 04 Janvier au 23 Janvier 2011

Du lundi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30 – relâche le mercredi- durée 1h30

Auteur : Serge Valletti

Metteur en scène : Patrick Pineau

Avec Gilles Arbona, Hervé Briaux, Célia Catalifo, Laurence Cordier, Pierre-Félix Gravière, Laurent Manzoni, Sylvie Orcier, Nicolas Bonnefoy.

Coproduction MC93 Bobigny, Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, Conseil Régional Conseil Régional Languedoc-Roussillon, Scène Nationale Evreux-Louviers, Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau , Compagnie Pipo.

Pour réserver : MC93


2010 Bande-annonce SALE AOÛT – Valletti – Pineau – MC93
envoyé par MC93Bobigny. – Films courts et animations.

N.B. Lundi 17 janvier à 19h : Rencontre-lecture avec Patrick Pineau pour «Sale août» à la librairie italienne La Libreria – 89, rue du Faubourg Poissonnière, Paris 9e. Entrée libre.

Présentation de La Libreria :

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La MC93 a passé commande d’une pièce à Serge Valetti, écrivain marseillais d’origine italienne, pour sortir du silence un événement longtemps occulté : 17 Août 1893, l’un des plus sanglants « pogroms » de l’histoire française.
Avec le partenariat de la Cité Nationale de l’histoire de l’Immigration, ce texte est actuellement mis en scène à la MC93 à Bobigny par Patrick Pineau et sa troupe fidèle.

Vous vous souviendrez peut-être que le 5 mars dernier, nous avions reçu l’historien Gérard Noiriel pour son livre-enquête passionnant autour de ce terrible épisode et la soirée s’était prolongée jusque tard, tant l’attention était grande.

L’équipe de la Libreria est donc très heureuse de vous convier à une rencontre avec Patrick Pineau qui nous lira des extraits du texte de Serge Valletti (publié aux éditions de l’Atalante), prolongement idéal de la rencontre avec Gérard Noiriel, tout à la fois témoignage et réflexion pour une meilleure compréhension de l’histoire et du comportement de l’homme d’aujourd’hui face à ce qui est différent.

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Fulvio Caccia
Poète, romancier, essayiste, Fulvio Caccia est l'un des fondateurs du magazine transculturel canadien ViceVersa ; de l'Observatoire de la diversité culturelle et de LinguaFranca, une association dédiée à la promotion de la littérature transnationale.