L’effet Gomorra

Alors que la Mafia commercialise des DVD pirates du film, l’adaptationdu livre-enquête de Roberto Saviano a changé le regard des Italiens. De nombreux projets cinématographiques osent désormais poser un regard cru sur le crime organisé.

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La mise en abyme est cruelle. Gomorra, réquisitoire froid et réaliste contre la Camorra, se retrouve in fine au coeur du “Système”. Le sénateur berlusconien Maurizio Gasparri a mis les pieds dans le plat le 7 janvier : “J’ai vu Gomorra, j’ai même acheté le DVD. Mais dites-moi, quelle somme ai-je donné à ces criminels… ?” Sa réaction intervient après l’arrestation d’un troisième acteur non professionnel ayant joué dans le film de Matteo Garrone. Giovanni Venosa a été appréhendé le 3 janvier alors qu’il tentait de prélever le “pizzo”, l’impôt mafieux réclamé aux commerçants dans la région de Caserte, contrôlée par la Camorra. Il rejoint derrière les barreaux Salvatore Fabbricino, dealer à Scampia, la banlieue nord de Naples, et Bernardino Terracciano, soupçonné de faire partie du commando qui avait assassiné six immigrés africains. Ces criminels ont interprété trois “boss” de Gomorra, qui se retrouve bien malgré lui, et de l’intérieur, rattrappé par la Mafia.

La Camorra est même parvenue à anticiper la sortie officielle du DVD, prévue le 3 décembre dernier, en produisant, deux semaines en avance, des contrefaçons. Sortis tout droit des labos clandestins de Forcella, les DVD pirates de Gomorra, vendus 6 euros l’unité, sont disponibles à Naples. El Pais a révélé l’affaire, notant que l’institution criminelle n’avait pas daigné enlever l’épilogue : “En Europe, la Camorra est l’organisation criminelle qui a le plus tué : 4000 victimes sur les trente dernières années. Soit une personnetous les trois jours.” Mais Gomorra peut se féliciter d’avoir déclenché une prise de conscience massive. En témoigne son influence sur les futurs projets de films de genre. Le réalisateur Marco Risi explique : “Jusqu’à maintenant, on avait tendance à édulcorer l’image de la Mafia en Italie, on avait peur de dire la vérité.” Dans Fortaspac, Risi racontera l’histoire du journaliste Giancarlo Siani assassiné par la Camorra. D’autres films s’inscrivent dans ce traitement “néo-réaliste” des organisations criminelles. Io ricordo, documentaire de Ruggero Gabbai, réunira les témoignages de familles des victimes de la Cosa Nostra pour la première fois face caméra. Gabbai se félicite : “Ces images sont historiques. On a senti une véritable urgence, une volonté de dévoiler certaines choses.” Dans The Sicilian Girl, inspiré de l’histoire de Rita Atria, fille de parrain qui collabora avec la police, l’idée est d’en finir avec ses biopics qui “ont tendance à transfor er les mafieux en héros”, selon le réalisateur Marco Amenta. Une victoire pour Gomorra, Grand Prix au dernier Festival de Cannes et choisi pour représenter l’Italie aux oscars.

Alexis Ferenczi

15 janvier 2009

Les Inrocks.com

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