« Klaxon, trompettes… et pétarades » de Dario Fo. Entretien avec Marc Prin.

Jamais jouée en France jusqu’à présent, la comédie de Dario Fo “Klaxon, trompettes… et pétarades”, dans une traduction de Marie-France Sidet, est mise en scène par Marc Prin au Théâtre Nanterre-Amandiers jusqu’au 18 décembre. Créée en 1981 par Dario Fo et son épouse Franca Rame, la pièce repose sur un jeu de sosies : victime d’un accident qui le défigure, le patron de la Fiat, Gianni Agnelli, à la suite d’une méprise de l’hôpital, sortira du coma avec le visage de l’un de ses ouvriers, d’où une série de quiproquos, familiaux et politiques, dans un contexte d’attentats et de prise d’otages.

ENTRETIEN AVEC MARC PRIN, METTEUR EN SCENE

Laetitia Dumont-Lewi : Qu’est-ce qui vous a amené à choisir cette pièce de Dario Fo ?

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Marc Prin : Après ma mise en scène de Sœur Béatrice de Maeterlinck, créée au Centre Wallonie-Bruxelles, je cherchais une pièce qui puisse se jouer au théâtre de Nanterre. J’ai choisi la pièce de Dario Fo tout d’abord parce que j’ai toujours été fasciné par l’enlèvement d’Aldo Moro. Par ailleurs, je cherchais un texte qui ait trait aux séquestrations de patrons, qui sont en recrudescence actuellement en France. Et quand je suis tombé sur le Klaxon, trompettes… et pétarades, le texte s’est imposé à moi comme une évidence, même si, à première lecture, je l’ai trouvé beaucoup trop dense et parfois un peu daté.

LDL : La pièce est très fortement ancrée dans l’actualité politique de l’époque de création. Votre spectacle est une adaptation : quels sont les éléments qu’il a fallu modifier pour la jouer en France aujourd’hui ?

MP : J’avais plusieurs solutions : soit conserver le contexte d’origine, celui de la fin des Années de plomb, soit l’adapter à notre époque, à l’Italie contemporaine ou à la France contemporaine. Quand j’ai rencontré Dario Fo, il m’a donné carte blanche pour couper et m’a suggéré de changer le personnage d’Agnelli en Berlusconi. Ce n’était pas évident pour moi, tout d’abord parce que je considère Berlusconi plus comme un homme de médias que comme le patron qu’était Agnelli. D’autre part, adapter à l’actualité, perdre du recul, cela coupe la distance nécessaire à l’universalité de la pièce. Rester dans les années 1980 et garder le personnage d’Agnelli permet d’ouvrir l’imaginaire du spectateur. Libre à lui, ensuite, d’imaginer Berlusconi ou Sarkozy à la place d’Agnelli, s’il le souhaite.

En restant dans les années 80, il a tout de même fallu faire un travail d’adaptation, couper le texte et enlever les noms trop référencés. Les seules références que nous avons gardées, ce sont les Brigades rouges, Agnelli et Aldo Moro, qui rendent nécessaire de faire un point sur l’Italie de ces années-là. Nous l’avons fait dans le programme qui sera distribué à l’entrée aux spectateurs.

LDL : Vous considérez donc que votre spectacle a besoin d’un accompagnement explicatif pour pouvoir être apprécié ?

MP : Je pense qu’il est nécessaire d’accompagner le spectateur à l’aide de documents. Par exemple, dans l’avant-programme, il y aura une lettre d’Aldo Moro, un extrait d’une interview de Dario Fo et de l’article des Lucioles de Pasolini. C’est au spectateur ensuite de faire son chemin là-dedans, sans que ce soit explicatif.

LDL : Vous avez dû faire beaucoup de recherches préparatoires. Comment avez-vous préparé votre travail en amont ?

MP : Ça fait deux ans que je travaille sur ce spectacle. J’ai commencé par lire tout ce que je pouvais de Dario Fo, par beaucoup me documenter sur l’Italie de ces années-là. Je me suis mis à apprendre l’italien pour ça. Mon idée était aussi de rencontrer Dario Fo et de lui parler de l’opportunité de monter ce texte-là aujourd’hui. Est-ce qu’on peut encore parler d’Agnelli aujourd’hui ? Est-ce qu’on peut encore parler de la figure du patron aujourd’hui ? En parlant de terrorisme aujourd’hui, ne peut-il pas y avoir un hiatus entre le terrorisme des fondamentalistes et le terrorisme idéologique des Brigades rouges ?

J’ai collaboré avec un dramaturge, Julien Dieudonné, qui a travaillé sur la farce tandis que je m’occupais de tout ce qui est historique. J’ai vu tous les films que j’ai pu sur Aldo Moro et sur l’Italie des années 1970 à 90. Je suis allé jusqu’à faire un voyage à Turin, parce que j’avais envie de voir l’endroit où se déroule l’action. J’ai aussi beaucoup lu sur les thématiques à l’œuvre dans la pièce, notamment sur la lutte des classes. En voyant, dans les manifestations d’aujourd’hui, l’apparition d’autocollants Je lutte des classes, on comprend que, contrairement à ce qu’on a pu croire, c’est quelque chose qui a encore un sens de nos jours.

LDL : Vous définissez très justement, dans votre dossier pédagogique, le théâtre de Dario Fo comme un théâtre d’intervention, un théâtre d’héritiers et un théâtre de l’acteur. Quelle est votre position artistique, en tant que metteur en scène et scénographe, si on considère ces trois axes ?

MP : On ne peut plus jouer Klaxon… comme il a été joué en 1981 par Dario Fo : l’auteur jouait la pièce devant des spectateurs acquis à sa cause. Il y avait alors une espèce de complaisance qu’on ne peut pas retrouver, ne serait-ce que parce qu’on joue dans un théâtre national. Même si je trouve que le propos est toujours d’actualité, l’intervention ne peut donc plus avoir la même forme. Nous gardons cependant, au niveau de la représentation, une forme de jeu épique à laquelle le texte invite : il y a des arrêts où le spectateur est invité à sortir du jeu. Ces moments permettent, comme je le dis souvent aux acteurs pendant les répétitions, d’emballer la machine sans laisser le train partir, c’est-à-dire sans perdre le spectateur en route.

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Klaxon, trompettes… et pétarades©Victor Tonnelli

Pour ce qui est des héritages, on est dans le jeu masqué, même si ce ne sont pas vraiment des masques de commedia. Ce ne sont pas des nez de clowns non plus ; ce sont des demi-masques en silicone, en tout cas pour la première partie qui se déroule dans l’hôpital où s’effectuent les transplantations de visages. Nous sommes partis aussi du principe que, dans la pièce, les personnages du pouvoir sont tous des figures plus ou moins masquées, et que ces masques révèlent les personnages tels qu’ils sont vraiment plus qu’ils ne les cachent. Là où l’on peut parler de la tradition aussi, c’est sur la force et la violence de la farce, puisqu’on reproduit un schéma ancestral, celui du rapport maître/valet, ici patron/ouvrier. On est dans la tradition de l’«enfarcissage» du patron, sauf que Dario Fo est plus malin que ça, il ne «farcit» pas seulement le patron mais aussi l’ouvrier, sinon ce ne serait qu’une pièce engagée, et je trouve que ça va plus loin.

Pour ce qui est du théâtre de l’acteur, j’ai vraiment conçu ma distribution comme un cadeau fait aux comédiens. J’ai choisi des acteurs qui, comme moi, avaient tous eu une formation où ils avaient abordé le clown. Chez Dario Fo, la pièce est aussi du théâtre d’acteurs parce qu’il a pensé à Franca Rame et lui en écrivant l’histoire d’Antonio et Rosa, et qu’il l’a travaillée comme une pièce pour deux comédiens. Pour ma part, j’estime que les autres protagonistes doivent exister autour d’eux, je recherche un équilibre et, dans ma mise en scène, tous les acteurs sont en jeu à chaque instant, tous ont plusieurs personnages à défendre, même les deux héros.

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Klaxon, trompettes… et pétarades©Victor Tonnelli

Je pousse la logique du théâtre de l’acteur jusqu’à permettre au spectateur de voir le comédien dans sa respiration, dans sa concentration, dans sa mue lorsqu’il change de costume : le dispositif scénographique figure sur une demi-piste de cirque et les coulisses sont à vue. Ce qui m’intéresse, c’est de voir l’acteur-ouvrier, l’acteur-travailleur.

Nous nous sommes même aperçus, au cours des répétitions, qu’à la fin de la pièce une sorte d’anarchie règne sur le plateau : les acteurs sont vidés, les costumes jonchent le sol, les éléments qui ont joué sont visibles un peu en vrac, en désordre, on est sur un chantier. L’opération a eu lieu à cœur ouvert, et on voit les poubelles ; il y a une espèce de déchetterie. Et même si le texte dit aussi d’autres choses sur le capital, sur le pouvoir, je trouve intéressant qu’à la fin, au niveau de la scénographie, on s’aperçoive qu’on est dans une sorte de bordel.

Propos recueillis par Laetitia Dumont-Lewi


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“Klaxon, trompettes… et pétarades”, de Dario Fo

Traduction : Marie-France Sidet

Mise en scène, scénographie et costumes : Marc Prin

Dramaturgie : Julien Dieudonné

Théâtre Nanterre-Amandiers

Renseignements pratiques :

Du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 15h30 (relâche lundi)

Théâtre Nanterre-Amandiers

7, avenue Pablo-Picasso

92022 Nanterre

RER Nanterre-Préfecture (ligne A)

Navette assurée par le théâtre avant et après la représentation

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