Cluny, une terre d’influences. L’abbaye fête ses 1100 ans.

Chef-d’œuvre de l’art roman, l’abbaye de Cluny (Saône-et-Loire) a célébré en 2010 son onzième centenaire en rappelant une influence qui a gagné l’Europe et notamment l’Italie du nord.

Au commencement, la vallée était gavée de forêts, sujette aux crues de la Grosne et de son affluent le Médasson, remplie de broussailles, trempée de marécages, versée dans l’élevage. Cluny est accessible par l’ancienne voie romaine, venant de Luna sur la Saône par le Haut-Beaujolais, descendant du col du Fût d’Avenas pour emprunter la vallée de la Grosne. Le domaine de Cluny est alors inclus dans l’orbite des rois de France.

Abbaye_de_Cluny2_copyrightDavid_Bordes.jpgVue sur les vestiges de la grande église©David Bordes
Crédits : Arts et Métiers ParisTech Centre de Cluny

Au tout début du Xe siècle, entre 909 et 910 (la variante est celle des historiens), Guillaume, duc d’Aquitaine, dessine les bases de l’abbaye de Cluny. Ses terres se veulent une offrande aux apôtres Pierre et Paul, soustrayant ainsi l’abbaye du pouvoir de l’évêque et des seigneurs laïcs. Bernon, abbé de Baume et de Gigny en Jura, est chargé de fonder le monastère, tandis que les moines suivent la règle de saint Benoît, dite règle bénédictine, fondée sur la recherche de Dieu à travers la psalmodie, les services liturgiques, auxquels s’est ajouté le culte des morts.

cluny_maquette.jpgMaquette de Cluny au XIe siècle

Si Cluny a la possibilité de réformer d’autres monastères, dans une Europe en quête de restructuration religieuse, l’abbaye vire en modèle spirituel dans l’Occident médiéval, et nombre de monastères se placent sous son égide. A partir de la seconde moitié du XIe siècle, elle connaît son apogée, avec près de 1 400 dépendances et environ 10 000 moines.
Surtout, Cluny démultiplie ses murs d’enceinte, s’agrandit. Avec une nouvelle église abbatiale, maior ecclesia, qui sera la plus vaste église de la chrétienté pendant quatre siècles, jusqu’à la fondation de l’église saint Pierre à Rome. Une longueur de plus de 180 mètres, des voûtes culminant à 30 mètres, cinq nefs, un chœur multiple, un grand et petit transept, sept clochers et plus de trois cents chapiteaux. Affaire de démesure. Cluny s’affiche comme une prouesse architecturale du style roman sur lequel s’adosse un vaste complexe de style classique au XVIIIe siècle. Une affaire de démesure qui succombera à la Révolution : les bâtiments sont vendus en biens nationaux, et démontés, démolis, transformés par les acquéreurs en vulgaire carrière de pierres. Aujourd’hui, restent un mur d’enceinte et ses tours, un grand et petit transept, quelques bâtiments conventuels, le cloître, un farinier. Soit 8 % de ce que fut l’abbaye. Des pans épars, des bribes, non dépourvus de solennel qui disent l’immensité des lieux.

borneparc.jpgBorne de réalité augmentée dans le parc
Crédits : Arts et Métiers ParisTech Centre de Cluny

910-2010 : la ville a célébré cette année son onzième centenaire, de juillet à septembre. Avec un presque autre visage. La reconstruction des voûtes, le dégagement des transepts, la porte dite « Richelieu » redressée, des murs abattus révélant la perspective d’origine des galeries, un cloître remis en valeur, une salle des chapitres décaissée. Point d’orgue d’une nouvelle visite, une « réalité augmentée », c’est-à-dire des installations, autant de dispositifs numériques réalisés à partir de fragments, de dessins exécutés avant la démolition, de relevés archéologiques qui rendent compte de la grandeur d’autrefois. Une grandeur qui s’étendit hors des frontières.

cluny_copright_philippe_bertheW09-0086.jpgCluny©Philippe Berthe
Crédits : Arts et Métiers ParisTech Centre de Cluny

Vers 1050, au début de l’abbatiat d’Hugues de Semur, les dépendances de Cluny se situaient essentiellement en Bourgogne, en Auvergne, le long de la vallée du Rhône, jusqu’en Provence. Puis Cluny a connu une importante influence dans toute l’Europe. En Suisse, en Angleterre, en Espagne, et très largement en Italie du Nord, principalement en Lombardie, en reformant des abbayes déjà existantes, ou en créant de nouvelles fondations.

Les sites clunisiens se distribuent ainsi sur le territoire transalpin, entre églises et cathédrales, bâtisses religieuses, comme les monastères de San Benedetto à San Benedetto Po (auparavant Polirone) et de San Nicola di Figina à Galbiate, les prieurés de San Colombano à Calco, de San Pietro in Vallate à Cosio Valtellino, de San Giacomo à Pontida, les prieurés encore de San Giovanni à Vertemate, de San Salvatore à Capo di Monte et de San Pietro in Lamosa à Provaglio d’Iseo, l’abbaye San Nicolo à Rodengo, la chapelle de Santa Giulia à Cazzago San Martino, ou encore l’église de San Martin à Rudiano. En soi, un épique et véritable circuit de l’art roman.

Jean-Claude Renard

cluny_copright_philippe_bertheW09-0070-2.jpgCluny ©CMN Paris
Crédits : Arts et Métiers ParisTech Centre de Cluny

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Abbaye de Cluny, ouverte tous les jours, de 9 h 30 à 18 h 30, Palais Jean Bourbon, 71 250 Cluny.

Pour des renseignements complémentaires, consultez le site des Monuments nationaux sur Cluny

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Jean-Claude Renard
Jean-Claude Renard, journaliste à Politis et auteur, amateur passionné de gastronomie, a notamment écrit : avec Michel Portos, "Michel Portos. Le Saint-James en 65 recettes", (Flammarion, 2011) ; avec Yves Camdeborde, "Simplement bistrot" (Michel Lafon, 2008) ; avec Emmanuelle Maisonneuve, "Mots de cuisine" (Buchet-Chastel, 2005) ; "La Grande Casserole" (Fayard, 2002). "Arrière-cuisine" est paru aux éditions de la Découverte en 2014. Il a également publié "Marcello" (Fayard, 2002), "Céline, les livres de la mère" (Buchet Chastel, 2004), "Italie. Histoire, société, culture" (La Découverte, 2012), avec Olivier Doubre et "Si je sors je me perds" (éditions L'Iconoclaste, janvier 2018). Nous avons appris avec grande tristesse le décès de Jean-Claude, survenu le 31 octobre 2022 (https://www.politis.fr/articles/2022/11/en-memoire-de-jean-claude-renard-journaliste-a-politis-44997)