A propos des Arts premiers et de leurs musées

J’écris ces réflexions suite à l’article de Barbara Musetti (“Arts premiers. Le pavillon des Sessions du Louvre fête ses dix ans”) paru récemment sur ce site.

J’ai une grande estime pour Barbara M. et pour son travail, et elle est par ailleurs une amie, qui m’est chère. Or, parfois, les amis peuvent avoir des opinions différentes, ce qui, d’ailleurs, est salutaire. C’est justement le cas ici, car – disons-le de façon claire et simple – je n’aime vraiment pas les arts “premiers” : pas plus que les arts “primitifs” , dont ils reprennent le même vice, mais avec une touche de politically correct fort agaçante, ou encore le “futurible” art “primordial”, qui m’apparaît franchement grotesque. Non, je ne les aime pas, et je n’aime pas non plus, évidemment, les musées qui les ont “créés”, installés en France: le pavillon des Sessions du Louvre, d’abord ; puis son apothéose, le quai Branly.

ymago_17672.jpgLe Louvre. Le pavillon des Sessions. Collections du Musée du quai Branly

ArtPremier.jpgCollections du Musée du quai Branly

Je ne les aime pas ? Déjà je dois soupeser mes mots : aimer renvoie au sentiment, à la beauté, à sa présence ou à son absence, et mon problème n’est pas d’ordre esthétique – en l’occurrence, je trouve certains des objets exhibés d’une émouvante beauté, je les aime, les ayant connus dans d’autres contextes, notamment en Egypte, et surtout aux Antilles et au Mexique. Mon malaise est d’ordre culturel, “idéologique”.

Du reste, ce malaise – mais il faudrait peut-être employer un mot plus fort – n’est que la variation personnelle du sentiment, plus général, éprouvé par de nombreux ethnologues et historiens – et c’est en ce sens qu’il est peut être intéressant d’en expliquer la genèse. Pour mieux comprendre les termes d’un débat qui est loin d’être “clos” et semble même s’être radicalisé sur des positions irréductibles.

C’est dans cette perspective, de toute façon, que je me suis décidé à écrire. Il ne s’agit pas ici d’une polémique individuelle, qui n’intéresserait personne – mais de l’explication du point de vue des disciplines ethno-historiques (j’entends par là tout simplement l’ethnologie – mais aussi sa “grande soeur”, l’anthropologie, bien que son statut soit plus difficile à définir – et l’histoire). Ces disciplines, chacune à sa façon, s’efforcent d’étudier dans leur contexte les cultures et les objets des “primitifs” (je choisis volontairement le plus mauvais des termes à disposition, qui a au moins l’avantage d’avoir été utilisé par de grands savants), contrairement à l’histoire de l’art (mais je devrais plutôt dire l’histoire des “arts premiers”), qui voudrait considérer et rassembler les oeuvres selon des critères exclusivement esthétiques.

Le problème de fond réside précisément dans ce type de rassemblement. C’est là que prend sa source le malaise. Cela a-t-il un sens d’arracher des objets à leur contexte culturel, pour les recontextualiser de façon à “satisfaire” à un besoin “universel” de beauté ? Un ethnologue, un historien ne peuvent répondre à cette question que par la négative, et ce pour deux raisons différentes.

La première est d’ordre général. Même en admettant qu’il existe un sentiment universel de la beauté, les critères, eux, varient selon les époques, les cultures, ils ont une histoire, et pour pouvoir mieux profiter d’un chef-d’œuvre, qu’il s’agisse du “Souper d’Emmaüs” de Rembrandt, au Louvre, ou de la tête de Néfertiti, à l’Altes Museum de Berlin, on aura intérêt à les connaître, ces critères, et à essayer au moins d’approcher les contextes culturels très différents dans lesquels ils sont nés. On aura beau chercher une trace, fût-elle minime, de cette approche dans le projet “Arts premiers”, on ne la trouvera pas : l’élan universalisant aspire en fait à sortir de l’histoire.
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La deuxième raison est celle qui a le plus de poids. Il faut souligner que ce que nous appelons Art – et cela vaut pour un tableau d’un peintre hollandais du XVIIe comme pour un buste de l’Egypte ancienne –, c’est une activité qui trouve sa finalité, ou du moins sa finalité la plus profonde, en elle-même, gratuitement, dans le plaisir esthétique qu’elle suscite. Bien sûr, la nature de cette “gratuité” varie d’un contexte à l’autre, elle peut être plus ou moins “pure”, ou entremêlée avec d’autres intentions, mais tous les produits que nous appelons artistiques ont en commun, en fin de compte, de… ne servir strictement à rien !

Or, justement, la grande majorité des objets qui se trouvent au pavillon des Sessions du Louvre ou au quai Branly ont été fabriqués pour servir à quelque chose. Si nous les abstrayons de cette fonction, si tout simplement nous l’ignorons, ou survolons le contexte qui rendait une telle fonction significative, nous ne pouvons plus les comprendre. Nous nous mettons ni plus ni moins dans la même attitude extasiée que la Cour d’Espagne accueillant Colomb et ses pittoresques “Indiens”, avec leurs perroquets aux couleurs éclatantes, et les autres objets merveilleux fraîchement rapportés de son premier voyage. C’est à peu près ce qui se passe avec les Arts premiers et leurs musées.

(Bien sûr, on pourrait objecter qu’une statue égyptienne, ou même grecque, pour ne pas parler des vases, avait une destination rituelle, utilitaire… : mais d’un côté, à des degrés différents, la question esthétique est désormais au centre de la fonction, fait partie en d’autres termes de la fonctionnalité de l’objet ; de l’autre, surtout, qu’elles soient considérées ou non comme de l’art à part entière, il ne viendrait à l’esprit de personne, dans un musée, de séparer les statues grecques ou égyptiennes d’autres aspects de la même civilisation. Surtout… : car ce ne sont pas les fondements de l’art en soi qui m’intéressent ici, mais leur éventuelle utilisation “idéologique”. Du reste, d’un point de vue purement artistique, on pourrait aussi s’interroger sur les marges d’utilité sociale, ou religieuse, des tableaux d’un Rembrandt, ou une messe de Mozart. C’est à dire sur l’ “utilité” de ce qui baigne dans la beauté divine…)
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Et puisque pour la deuxième fois j’utilise le mot “idéologique”, il faut que je m’explique. En descendant, pour ainsi dire, sur le “terrain”.

J’ai visité à deux reprises le pavillon des Sessions, au début des années deux mille, puis j’en ai étudié les catalogues, avec ceux d’autres musées et expositions, dans le cadre de mon travail de recherche sur le complexe chassé-croisé qui s’est produit dans la pensée européenne à partir du XVe siècle, avec la découverte et la conquête du Nouveau Monde et la redécouverte de l’Ancien grâce au travail philologico-historique des humanistes. De façon plus ciblée, j’ai travaillé sur les Taïnos, ce qui a abouti à un cycle de conférences à l’EPHE (2000/2001), et puis à un article sur le Journal des Américanistes (2003, 89-2 : 7-66… maintenant aussi en ligne, http://jsa.revues.org/index1468.html – on pourra d’ailleurs y trouver, avec beaucoup plus de détails et de nuances, des éléments que je ne peux aborder ici que de manière fugace et schématique).

Commençons par les termes, qui ne sont pas anodins. Peu importe que l’on parle de “primitif”, de “premier”, ou de “primordial”. Au-delà du problème éthique (“primitif” impliquerait un jugement de valeur, ce qui ne serait pas le cas avec les deux autres termes), l’attitude est la même : ces cultures sont implicitement conçues comme étant une étape première, préhistorique, ou du moins proche d’une préhistoire de l’humanité refaçonnée avec désinvolture pour notre usage et selon nos étalons, dans un long parcours historique qui porterait enfin à notre civilisation. Que l’on déprécie ces civilisations “primitives” ou que l’on en admire extatiquement la “beauté”, il s’agit bien là de la vieille conception évolutionniste, que l’histoire, l’anthropologie, l’ethnologie ont remise en cause depuis longtemps. C’est d’ailleurs cette remise en cause – avec par conséquent l’idée, constamment réaffirmée, qu’il faut parler des civilisations, plutôt que de la Civilisation – qui avait abouti dans les années 30 à la création du Musée de l’Homme.
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Le pavillon des Sessions du Louvre (tout comme le quai Branly) n’entend évidemment pas réhabiliter l’évolutionnisme. S’il pèche de façon manifeste, c’est plutôt parce qu’il verse dans un certain esthétisme “anhistorique” et “exotisant” ; pourtant le résultat est là : l’esprit artistique est universel, mais cette « universalité » prend son sens à partir de nos catégories esthétiques – ce n’est pas un hasard si le Musée de l’Homme a fini par être démantelé et fermé, au profit “concret” du projet “pavillon des Sessions / quai Branly”, qui dans son chemin triomphal en a récupéré les plus “beaux” objets. Ce qui est pour le moins regrettable, ne serait-ce que pour les conséquences tangibles : dans ce transfert d’un lieu à l’autre, beaucoup d’objets qui ne rentraient pas dans ces critères esthétiques ont fini … dans la cave. C’est le cas notamment d’une grande partie de la production matérielle des Inuits, et des autres cultures indiennes du Canada : où et quand, dans quelles conditions, pourra-t-on la revoir ?

En faisant un pas de plus dans cette direction, je voudrais aussi souligner que, plus généralement, d’un point de vue historico-religieux, la recherche du “primitif”, pur et originel, “originaire” (car le présent est insignifiant, seules les origines sont significatives), révèle à des degrés différents, et avec un degré variable de conscience, une option d’étude bien connue dans le milieu de la recherche, et dont les résultats scientifiques ont toujours été, quoique parfois flamboyants, très fragiles: je me réfère aux divers courants dits “irrationalistes”, avec leurs chercheurs immanquablement happés par une profonde nostalgie pour “l’âge d’or”. Il s’agit donc d’historiens des religions et d’ethnologues, bien sûr, mais aussi, parfois, d’historiens de l’art qui s’improvisent tels (i.e. : historiens des religions et ethnologues) – et souvent avec de puissants alliés: car cette perspective, loin d’être innocente, peut cacher une option politique bien déterminée.

Pour illustrer mon propos, je reviendrai brièvement aux Taïnos, que j’ai déjà évoqués, et qui ont fait l’objet, avec l’approche du cinquième centenaire de la découverte de l’Amérique, d’un véritable engouement médiatico-culturel: entre musées, expositions, littérature critique et de divulgation, vers la fin du deuxième millénaire, ils sont devenus vraiment à la mode.

object55A_t.jpgLes Taïnos habitaient les Bahamas et les Grandes Antilles à l’arrivée de Christophe Colomb. Ils ont donc été les premiers indigènes du Nouveau Monde que les Européens aient rencontrés et connus: « nos » premiers Amérindiens. Ils ont été aussi les premiers Indiens d’Amérique à disparaître, d’une manière rapide et radicale: vers la moitié du XVIème siècle, en pleine conquête militaire et spirituelle du florissant univers mésoaméricain, il ne reste d’eux pratiquement plus aucun signe de vie. Que pouvons-nous dire de cette culture? Bien sûr, il y a des traces, des indices archéologiques : surtout les mystérieux zemis, ces objets en pierre, en bois, en coquillages, aux formes multiples, qui ont tant frappé l’attention des observateurs occidentaux, du XVI siècle jusqu’à nos jours. À ces matériaux, qui, seuls, sont difficilement interprétables, nous pouvons ajouter des témoignages écrits. Comme la plus grande partie de la documentation concernant les cultures précolombiennes, il s’agit toutefois de témoignages rédigés après l’arrivée de Colomb : ils posent par conséquent une série de problèmes exégétiques complexes, bien connus de ceux qui travaillent dans ce domaine. Et dans le cas des Taïnos, les problèmes se révèlent même encore plus graves : les documents sont peu nombreux, ils sont élaborés hors de toute contribution indigène, et de plus ils ne sont qu’en partie le reflet d’une observation directe, en raison du déclin rapide de ce peuple.

object55D_t.jpgConsidérons maintenant à titre d’exemple le catalogue de l’exposition que le « Museo chileno de arte precolombino » leur a consacré il y a une vingtaine d’années (Los descubridores de Colón, […], exposición del 17 de noviembre al 31 julio de 1989, 1988). Les zemis y ont la part du lion, mais sous ce nom on trouve seulement les zemis “anthropomorphes” (16-18, Constantino Manuel Torres, Ph.D. – ecco… – en Histoire de l’Art: 9-22), définitivement “personnages” ; les zemis non “anthropomorphes” sont classés différemment, ou simplement ignorés, non exhibés; ensuite, on explique leur multifonctionnalité en rapport avec le « chamanisme » et l' »esprit des morts », en postulant éventuellement, avec Eliade, un « retour à l’utérus de la vie primordiale, pour renaître à une condition chamanique ou mystique ». Justement leur « religion » est centrée sur ces zemis, qui sont évidemment des « divinités » (9). Et c’est une « religion » – je cite la présentation du catalogue: 7 – « fondée sur des idées et des croyances religieuses qui concevaient les objets comme munis d’âme [c’est moi qui souligne] ». Voilà. C’en est fait du « groupe ethnique » rencontré par Colomb, et décrit par des chroniqueurs qui souvent s’étaient montrés plus prudents dans leurs interprétations. Mais le public a ce dont il a besoin: les Taïnos désormais sont définitivement adaptés à son goût et à ses idées.

Chirac_QuaiBranly.pngDans cette même optique et avec ce même genre de « philosophie » est né le projet du pavillon des Sessions du Louvre, inauguré par Jacques Chirac en avril 2000. Inauguré et – faudrait-il dire – fortement voulu : pour cela il a pu compter sur le travail de Jean-Michel Wilmotte (qui a conçu et aménagé l’espace) et, surtout, de Jacques Kerchache, le véritable inspirateur et “idéologue” (avec le même Chirac) de toute l’opération. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que la fascination “primitive” de l’ancien Président de la République – partagée avec Jacques Kerchache – datait déjà de quelques années, et avait démarré, justement, avec les Taïnos: le Musée du Petit Palais leur avait consacré une exposition entière, en 1994, toujours sous le patronage de Chirac, avec la collaboration de Jacques Kerchache. (A propos de cet homme à la personnalité complexe, “sulfureuse”, comme on a pu le dire, il faut par ailleurs signaler qu’il était collectionneur ou marchand, éventuellement historien de l’art – sûrement pas anthropologue, dont il n’avait ni la formation ni les caractéristiques.)

En tant qu’“ambassadeur” du futur quai Branly, le pavillon des Sessions réunit les « arts primitifs » (ainsi du moins étaient-ils encore définis, et sans les guillemets, quand je l’ai visité) de l’Afrique, de l’Asie, de l’Océanie et des Amériques (au pluriel). En étudier à fond la logique est donc “doublement” fécond, d’autant plus que l’ “ambassadeur” a eu un tel succès qu’il est resté en place, comme Musée autonome, même après l’ouverture du quai Branly (2006). On peut ici indiquer rapidement deux pistes possibles de recherche, en rapport avec ce qui vient d’être dit ci-dessus, selon que l’on voyage diachroniquement ou synchroniquement.

Le temps. Le Musée met ensemble sous la rubrique de « primitif » (sans guillemets: le choix du terme n’a pas besoin de commentaires) des produits d’époques différentes. Ainsi, en Afrique, nous allons de l’Egypte prédynastique (4.500 av. J.-C.) à la culture Zouloue du XIX-XX s. Les « primitifs » renverraient-ils à la préhistoire de l’humanité? Il n’y a pas beaucoup à dire: cette hypothèse évolutionniste et édifiante (pour l’Occident) a déjà été abondamment démontée…

L’espace. Le Musée pêche dans les cinq continents (sans compter évidemment l’Antarctique). Les choix ne sont pas clairs. Par exemple, en Asie, on retrouve la présence de l’Inde, bien qu’elle soit très peu “primitive” – mais rien de la Chine. On soupçonne fortement qu’un des critères soit (volontairement ou non) d’inclure les produits des cultures qui ont été colonisées par l’Occident à un moment donné, mais (si possible) avant cette colonisation. De les prendre, justement, dans leur état “pur”, originel. La Chine, elle, n’a jamais été “touchée”.

h2_1979_206_611.jpgLa section des Amériques est en ce sens particulièrement intéressante. Elle est ouverte justement par les Taïnos (c’est la troisième fois que nous les rencontrons dans ces quelques lignes). Il s’agit, bien sûr, de Taïnos « purs », non contaminés: leur production s’arrête à 1492, quand Colomb met les pieds aux Antilles. Or, il ne s’agit évidemment pas de nier la portée dramatique du génocide qui les a littéralement anéantis, mais de comprendre qu’une partie importante des frêles traces matérielles qui nous restent de cette culture est née justement dans la “contamination”, comme tentative désespérée, mais hautement créative, de comprendre (dans tous les sens) la culture de l’envahisseur. Le même raisonnement d’ailleurs pourrait être fait pour les “Aztèques”, qui sont arrêtés en 1521: c’est la chute de Tenochtitlan… Comme si ces deux cultures avaient cessé d’être telles, de penser, dès la rencontre fatale avec l’Europe, mieux encore, avec l’Espagne… il y a là plus d’un clin d’œil à la “légende noire”. Car, au-delà de l’horreur intégrale du massacre des Amérindiens (je viens de le dire, je le répète pour éviter les malentendus), ce que vise la philosophie de ce musée est autre chose : en élevant au niveau d’un paradigme une inexistante “pureté” originelle, exempte de métissage, on fige l’Autre dans une sorte de fantasmatique présent hors du temps, arrêté à jamais au seuil de la Modernité (cf. A ce propos André Desvallées, Quai Branly : Un miroir aux alouettes ? A propos d’ethnographie et d’ “arts premiers”, L’Harmattan, 2008). En effet, que nous est-il raconté de l’histoire des Taïnos ou des Mexicas, si riche en contacts, en échanges, en métissages ? Niente, le Musée se tait ! Comme si cette histoire n’avait jamais existé… Ainsi, de ces cultures – les Taïnos, les Mexicas, mais la même logique est à l’œuvre, bien sûr, pour tous les continents traversés par le musée – nous sommes condamnés à ne rien comprendre (N.B. Oui, Mexicas, s’ils vous plaît, qui était le nom du peuple que les Espagnols ont rencontré et défait sur le sol, justement, mexicain : “Aztèques” renvoie à leurs ancêtres légendaires – comme l’a souligné Serge Gruzinski, c’est comme si on appelait les Romains… Troyens ! — v. par ex. Boris Jeanne, “Entretien avec Serge Gruzinski, Tracés. Revue de Sciences humaines, n° 12, Faut-il avoir peur du relativisme,” mai 2007, p.195-206, maintenant aussi en ligne : http://traces.revues.org/index223.html)

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Que “les chefs-d’œuvre naissent libres et égaux”, ainsi que les hommes qui les ont fabriqués, est sûrement un beau programme, mais la réalité de l’histoire, des cultures, des sociétés est autrement complexe. Et paradoxalement, ce projet “art premier”, qui voudrait être (j’imagine…) une sorte de rédemption de l’entreprise coloniale, finit par répondre à la même logique. Un jardin zoologique des objets, la défaite définitive – sous couvert de respect, d’admiration, de tolérance – des cultures qui les ont produits.

Entendons-nous, je ne veux pas démoniser les musées “arts premiers” ni leur contester la possibilité d’organiser ici et là de “beaux événements”. Je veux dire simplement que, si les réalisations peuvent être parfois (mais pas toujours) séduisantes, voire magnifiques, la philosophie de fond qui les anime me semble une imposture, ou mieux, une idéologie sournoise, bien déguisée, plus politique que culturelle, que la séduction aide à faire passer en douce. Plaise aux “divinités” des cultures non occidentales que la France n’inspire pas le Mexique, l’Egypte, Les Etats-Unis, ou l’Italie, pour n’évoquer que les pays hébergeant les musées archéologiques ou ethno-anthropologiques que je connais le mieux.

P.S. La question dont je viens de débattre pourrait légitimement être soulevée à propos du bon discours souvent tenu aujourd’hui sur l’ “altérité”, à commencer par l’immigration. La “tolérance”, le “respect”, le “droit à la différence” sont des valeurs à la mode aujourd’hui, qui valent certes mieux que leur contraire. Mais ils révèlent finalement une attitude condescendante et moralisatrice, qui, tout en accueillant l’Autre (souvent parce qu’il n’y a pas d’autre choix), le maintient dans une condition d’infériorité, sans s’ouvrir vraiment à lui, sans le comprendre véritablement, comme si le seul problème était de supporter son étrangeté. Une autre voie – me semble-t-il – pourrait être empruntée, qui prône une sorte d’humanisme renouvelé, fait de curiosité, d’étude, de compréhension – et, pourquoi pas, d’empathie.

Giuseppe A. Samonà

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Giuseppe A. Samonà
Giuseppe A. Samonà, dottorato in storia delle religioni, ha pubblicato studi sul Vicino Oriente antico e sull’America indiana al tempo della Conquista. 'Quelle cose scomparse, parole' (Ilisso, 2004, con postfazione di Filippo La Porta) è la sua prima opera di narrativa. Fa parte de 'La terra della prosa', antologia di narratori italiani degli anni Zero a cura di Andrea Cortellessa (L’Orma 2014). 'I fannulloni nella valle fertile', di Albert Cossery, è la sua ultima traduzione dal francese (Einaudi 2016, con un saggio introduttivo). È stato cofondatore di Altritaliani, ed è codirettore della rivista transculturale 'ViceVersa'. Ha vissuto e insegnato a Roma, New York, Montréal e Parigi, dove vive e insegna attualmente. Non ha mai vissuto a Buenos Aires, né a Montevideo – ma sogna un giorno di poterlo fare.